La trentaine

1 mars 2009 0 Par Catnatt

James Jowers (American b. 1938)

À l’origine, il y a le billet de Lau à propos des mères célibataires. À l’origine, il y a une réalisatrice de documentaire, penchée sur le sort des trentenaires. À l’origine, il y a Epidemik.

 

Je reçois un mail un beau jour :

 

« Bonjour,

 

Je suis réalisatrice de films et je tourne en ce moment un documentaire pour Canal+ sur les trentenaires. Je suis tombée sur votre blog via le texte sur les mères célibataires écrit par parasite extérieur. Je suis à la recherche de jeunes femmes trentenaires pour apparaître dans mon film et témoigner. Je recherche, comme vous l’avez deviné, notamment une jeune femme, mère célibataire qui doit gérer le quotidien, le boulot, les soirées, etc. J’espère que vous aurez un moment pour me répondre. Merci d’avance, Michèle ».

 

Ma réponse est spontanée : « C’est mouaaaaaa ! ». Lol ! Je fais partie des trentenaires mais plus pour très longtemps. Je me souviens comme si c’était hier quand j’ai eu 30 ans. J’étais heureuse, j’espérais cet âge-là depuis si longtemps. Petite fille, je pensais en mon for intérieur, que trente ans, c’était le plus bel âge de la vie. J’en étais convaincue et la vie ne m’a pas déçue.

 

Je me réveille un beau jour, un joli 22 janvier et j’ai 30 ans. Je suis mariée et maman. Je ne travaille pas, je m’occupe de ma fille. J’ai 31 ans et je travaille avec mon mari. J’ai 32 ans, je suis doublement maman, ça va très mal avec mon époux. J’ai 33 ans, c’est la merde, j’ai quitté ce que j’avais construit, et je rame. J’ai 34 ans, je suis mère célibataire, j’ai un super job et un appart sympa. J’ai 35 ans et je retombe amoureuse. J’ai 36 ans, ma vie est super compliquée. J’ai 37 ans, je conjugue ma vie à tous les temps et je suis, en plus, une blogueuse. J’ai 38 ans et je m’éclate. Je ne regrette rien, c’est une décennie enrichissante, j’ai tenté de bâtir des choses au long cours et j’ai souvent échoué. J’ai fait des promesses auxquelles je croyais dur comme fer et que je n’ai pas tenues. Et par rapport à mon entourage, j’ai tout fait deux fois plus vite. C’est pourquoi, je suis une trentenaire sans l’être. Comme si j’avais été perpétuellement en décalage. Mes 20 ans auront été mes trente, mes 30, mes quarante. Mais j’ai commis les mêmes erreurs, je suis tombée dans les mêmes écueils, et j’ai vécu 1000 joies, les joies de ceux & celles qui sont encore jeunes et prennent le chemin de la vie adulte.

 

À 20 ans et les années qui suivent, vous êtes généralement perdus, en recherche, papillonnant d’un humain à l’autre, d’études en changements. Vous pensez noir. Vous pensez blanc. Vous vous êtes échappés de l’enfance et vous courez partout, ivres de liberté. À 30 ans, nous grandissons. De gré ou de force. Nous construisons. Nous nous engageons. Oui, je crois que c’est bien cela. La décennie de l’engagement. Pour toujours ou provisoirement. Nous nous installons dans la vie active définitivement. Le travail est là, sans retour en arrière possible. Du moins, il faut, enfin, subvenir à nos besoins. Peu de chance que notre destin devienne exceptionnel comme nous l’escomptions. « I am invisible ».

 

Non, nous ne serons pas star de cinéma, vedette de la chanson, ou brillant footballeur. Nous aurons une vie banale. Mais, pour la plupart, le deal nous convient. Et nous prenons confiance en nous. Nos premiers salaires dignes de ce nom nous portent à croire que nous sommes des adultes. Nous estimons être des adultes. Sauf qu’il y a maldonne. Cette décennie-là sert précisément à le devenir, et non à l’être. Adulte, c’est généralement vers 40 ans, que ça se profile vraiment. Nous avons décalé les échéances. C’est un jeu de rôles en fait. « Toi, tu serais un adulte, et l’on dirait que moi aussi ». Sans voir que nous sommes encore la proie de nos illusions. Nous avons foi en nos rêves, en nos chimères, nous ne croyons pas encore tout à fait en nous, nous faisons semblant. « I am invincible ».

 

Oui, nous nous sentons invincibles comme à nos 20 ans mais sur du rationnel. Invulnérable pour mener à bien une vie ordinaire. Nous défions les statistiques. Nous pensons que nous réussirons là, où la plupart ont échoué. Pas au sein de grandes choses. Rien d’extraordinaire. Mais, oui, c’est sûr, nous remporterons une victoire éclatante sur le quotidien, sur tous les passages obligés : professionnel, amoureux, familial, amical. « I am transcendental ».

 

Oui, nous satisferons toutes nos ambitions personnelles, c’est évident. Surtout sentimentalement. Les femmes essentiellement. La trentaine, c’est le temps de l’horloge biologique. Tic Tac. Il faut construire et se reproduire. Enfin…Reproduire tout simplement…Mais ça, ça se règle avec un psy… « Il est temps » nous chuchote à l’oreille la société. Alors, nous nous mettons en quête de The one. Nous papillonnons, nous rencontrons, nous vivons ensemble. Nous nous épousons. Ceux qui disaient « Je ne me marierai jamais » cherchent leurs bagues pendant des heures et coupent à deux leur pièce montée. « I am sentimental ».

 

Oui, nous avons cédé à tous les clichés en les trouvant merveilleux. Nous installons deux noms sur la boîte aux lettres. Nous faisons des enfants sans vraiment réaliser qu’une porte a claqué derrière nous. Il nous faudra des soucis, des nuits blanches et des fièvres pour se rendre compte. Nous achetons au fur et à mesure notre première jolie bagnole, l’ipod, l’iphone et nous nous réveillons deux ans plus tard avec le break et le chien. « I am respectable« .

 

Oui, nous avons pignon sur rue. Nous achetons nos premiers tailleurs, costumes tout en continuant notre collection de converses. Nous nous surprenons à ressembler à nos parents. Mais nous préférons toujours les potes. Parfois, nous avons peur. Certaines nuits, nous nous demandons comment nous en sommes arrivés là. Mais nous balayons vite les doutes. Car nous accumulons, après avoir éventuellement voyagé, tout ou en options, une jolie femme, un mec bien, un, des enfants, une vie agencée, et puis tant qu’à faire, de beaux objets, un crédit immobilier, un patron qui a misé sur nous. « I am responsible ».

 

Oui, le temps de s’effrayer de cette accumulation sera pour plus tard. Après 40 ans, temps de la middle life crisis, de la mort qui se rapproche car nous avons fait la moitié du chemin, nous le savons bien. Alors 30 ans. Nous accumulons les signes extérieurs de réussite. Nous regardons d’un oeil critique et tendre les amis qui résistent : l’éternel célibataire, la bonne copine qui accumule les échecs amoureux, la dilettante, le chômeur. Le temps des reproches sera pour plus tard. La scission entre ceux qui respectent les échéances sociales et ceux qui batifolent. Ils ne veulent pas de tout ça. Ils restent des éternels adolescents mais habillés en Hugo Boss ou Maje. C’est la même vie qu’avant sauf que c’est plus Arcachon mais Saint Trop pour les vacances. Le temps n’a pas de prise sur eux. Quant à nous, la majorité, nous capitalisons, nous superposons les bonnes couches sociales. Nous jouons aux legos grandeur nature. C’est la course à la construction. Nous nous surprenons à croire à des schémas d’une simplicité déstabilisante. Moi, ce moi si prépondérant à 20 ans, qui devient un « nous » conjugué à deux, puis trois, voire quatre. « I am universal ».

 

Oui, nous faisons partie du système. La plupart abandonnent leurs idéaux de gauche à la première feuille d’imposition. Car nous devenons réalistes. Et que nous ne voulons pas renoncer au confort que nous sommes en train d’acquérir. Celui qui nous faisait marrer à rien branler de toute la journée, chômeur par intermittence, nous le regardons un peu de travers. Mais nous continuons de le dépanner. Pour bien dormir la nuit. Ces nuits que nous partageons avec un autre être humain dorénavant. Nous ne croyions pas vraiment qu’un seul être pourrait nous satisfaire, et, pourtant, nous sourions le matin à la même personne, depuis 2, 3, 4, 5 années. Nous faisons l’amour de mieux en mieux, moins en fièvres, plus en sensualité. Moins désordonnés, moins en apprentissage, avides d’expérience, plus sûrs de nous, de notre corps. « I am so sexual« .

 

Oui, nous nous abandonnons un peu. Nous sommes plus généreux, moins égocentriques, la parentalité aidant éventuellement. Nous comprenons que le couple, c’est une somme de compromis, d’indulgences. Et parallèlement, nous nous achetons de nouveaux principes tout neufs. Nous sommes plus droits dans nos bottes. Avec notre vie « fragilement parfaite », que nous brandissons comme un étendard de raison, nous savons. Nous croyons savoir. Ce qui est bien, ce qui est mal. Ce qui se fait, ce qui ne se fait pas. Nous jugeons. Pas viscéralement comme à nos 20 ans. Mais abrités derrière notre réussite, nos valeurs. Froidement. « I am inflexible ».

 

Oui, nous devenons raisonnables. Pas tout le temps. La trentaine, c’est ça, être à cheval entre deux destinées, celle de l’enfant que nous étions et de l’adulte que nous serons. Parfois, nous régressons. La sensiblerie de la jeunesse revient par à coups. Nous mettons de l’affectif dans le boulot. Nous apprendrons à coups de tartes dans la figure, que ce n’est pas la solution. Nous jouons au con dans notre couple, parfois. Nous mettons tout cela en péril. C’est le temps des premières crises. Des premières tromperies avec enjeux que nous pardonnons. Nous pleurons encore souvent. « I am so sensible ».

 

Oui, c’est le temps où ce n’est pas encore complètement ridicule de chialer devant ses potes. Nous leur posons encore des questions : « Tu crois que je fais une connerie en l’épousant ? ». « J’ai peur, qu’est ce que je fais ? ». Car nous le savons bien que la trentaine, c’est un sursis. Un sursis où la société vous observe, vous soupèse pour voir si vous êtes rentable. Elle vous rejettera sur les rivages de la quarantaine si vous l’avez défiée de trop. À la fin de cette décennie, nous devons être en couple, avec enfants, un boulot digne de ce nom, propriétaire, tout cela ou au moins l’un de cela. Il faut affronter cette pression-là. La réaliser et capituler. Renoncer à une certaine forme de liberté. C’est le temps où notre innocence agonise. Ça nous brise le cœur. Parfois, nous luttons pour ne pas la perdre, au risque d’être déraisonnable, incohérent pour mieux rentrer dans le rang. « I am irrational ».

 

Oui, il arrive que nous soyons encore extravagants. Toujours écartelés entre deux horizons. L’avenir est devant nous, l’éternité, toujours, nous avons la faiblesse d’y croire encore. Même si le doute s’installe. Nous nous enflammons, nous quittons parfois des jobs en or pour nous lancer dans la carrière dont nous rêvions en secret, de trader à antiquaire. Nous partons vivre à l’étranger. Nous quittons celui avec lequel nous étions depuis notre jeunesse. Parce que nous ne nous reconnaissons plus et malgré les avertissements : « A 32 ans, tu le quittes mais t’es dingue, comment tu vas faire pour avoir des enfants ?! ». Nous tombons amoureux. Nous laissons encore échapper des mots comme « toujours » et « jamais ». « I am so passional ».

 

Nous mettrons 10 ans pour en sourire.

 

Oui, 30 ans, c’est c’est le temps de la contradiction, mais aussi de l’engagement car c’est un sursis. Un voyage. Un voyage pour apprendre ce que nous sommes vraiment, quelles sont nos véritables envies, faire des choix. Des choix hasardeux, faits aveuglément, ne nous leurrons pas. Une épopée des temps modernes, une aventure de dix années pour réaliser que ces décisions nous correspondent. Ou pas. Avec une quarantaine pour valider ou exploser. Une décennie à forte conséquence. Nous ne pourrons plus revenir en arrière sur certaines décisions. C’est le temps où il est, déjà, parfois, pour la première fois, trop tard.

 

30 ans, c’est le temps où nous sommes tous jeunes et beaux, et à la fois moins idiots et plus expérimentés. Une parenthèse enchantée. Nous avons pleinement conscience du temps qui passe mais nous dévorons la vie à pleines dents. Une période unique. Et même si chaque âge a sa raison d’être, la trentaine, c’est une époque bénie, riche de rencontres, d’expériences sans être effrayé. L’inconscience et l’irresponsabilité, c’était avant. La peur, la méfiance, ce sera pour plus tard. Un joli voyage vers le monde des adultes.

 

La trentaine, j’en suis, j’y reste. Encore un peu. Juste avant d’attaquer une nouvelle période. Quoi qu’il en soit, quel que soit notre âge, le temps n’est pas un ennemi. Dans notre société où l’on s’acharne à nous faire peur, où le jeunisme est un dieu adulé de tous, réconcilions nous avec le temps qui passe. Car ça n’est que de l’amour. Nous connaissons tous la fin. Ça va mal finir. Nous mourrons tous. Mais tâchons de disparaître plus sages, forts de notre vie, forts de nos 20, 30, 40, 50, 60 ans, génération après génération.

 

« Time is love »

 


Time is love B.alone
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