Les névroses

7 juin 2009 2 Par Catnatt

George Grantham Bain Collection

Et puis, parfois, il n’y a aucune rencontre, aucun humain. Juste une somme de névroses qui s’entrechoquent. Des aliénations qui s’emboîtent. Des symboles dans lesquels nous mettons amour amitié, peur, désir, toutes les émotions ambivalentes que nous envoie l’inconscient. Auquel nous obéissons aveuglément, à plus ou moins forte intensité.

 

Certains sont submergés. On les retrouve errants dans un couloir d’hôpital psychiatrique. Pour les autres, on les retrouve, errant dans une vie. Pas mieux ? Même ceux qui ont l’air le plus normaux. Nous sommes, parfois, traversé par un éclair de lucidité. Nous savons réellement pourquoi nous agissons l’espace d’un instant. Pour mieux replonger dans le noir.

 

Nous sommes tous produits d’une névrose familiale. Le malentendu a commencé probablement à l’aube de l’humanité. Et de génération en génération se transmet. Evolue. Se modèle sous l’impulsion d’une invasion étrangère, une pièce rapportée.

 

Qu’est ce que nous mettons vraiment dans nos histoires d’amour, nos rapports à l’autorité, nos enfants ? Je veux dire, vraiment ? Au-delà du vocabulaire et des gestes ?

 

Je suis un homme. Aimer une femme alors que je sais que c’est interdit me permet, de maintenir le lien avec l’ancienne. De ne jamais reconstruire vraiment. Ma vie balisée par mon ex, parce que je me sens tellement coupable d’avoir rompu la promesse. La promesse d’aimer toujours, envers et contre tout.

 

Je suis une femme et je ne laisse pas l’homme que j’aime dormir jusqu’au bout dans mon lit. Le prétexte ? Les enfants. En fait, je ne laisse pas l’autre complètement s’installer dans ma vie. Parce que j’ai peur, parce que le lien toxique qui s’est tissé avec l’ex est plus fort que tout. Une peur qui prend racine dans l’irrationnel, dans l’inconscient.

 

Je suis un homme. Mentir. Éviter. Contourner. Pour protéger. Pour maintenir une paix factice. Et voir mon enfant emboîter le même chemin. Reproduire le schéma. Alors que j’aime cette enfant plus que tout et que je m’en suis toujours merveilleusement occupé.

 

Je suis une femme et je tombe sincèrement amoureuse d’un homme et je réalise que mon inclinaison était dictée par la protection car je le domine complètement. Et qu’après avoir beaucoup souffert, j’ai fait un choix inconscient d’économie affective. Et que c’est précisément cela qui m’a poussé vers lui. Car je n’étais pas en danger cette fois-ci. Et maintenant, que l’aube d’une nouvelle vie arrive, ce couple ne fonctionne plus.

 

Je suis un homme et je me ne suis pas senti aimé enfant, et je m’acharne à construire des relations impossibles pour me prouver que c’est bien moi qui ne suis pas digne et que mes parents avaient bien raison. Parce qu’il est infiniment douloureux de m’apercevoir que c’est juste eux qui ont merdé. Alors plutôt que d’accepter cela, préférer les échecs amoureux pour endosser la faute.

 

Je suis une femme. J’en ai pris plein la gueule, enfant. Depuis, je me méfie des autres, je les soupçonne toujours du pire. Je ne fais pas confiance. Je prétends que oui. Et je m’arrange pour trouver de bons clients pour ma théorie. De bons clients qui me prouveront à quel point je suis dans le vrai. Sans voir que c’est moi le dénominateur commun. Que c’est moi qui les choisi pour remplir leur fonction : renforcer ma défiance car je la connais bien celle-là. Et que la confiance est un territoire inconnu.

 

Je suis un homme. Et je suis passé de femme en femme. Elles m’ont toute quitté. Toutes abandonnés. Comme ma mère quand elle est partie. Je ne pleure jamais. Jamais sur mon sort de petit garçon. Jamais sur mon sort d’homme. Ma mère est morte, brisée par sa folie. Et je fais comme si c’était digéré. Alors que cela qui m’a dirigé.

 

Je suis une femme. Et ma mère vient de m’annoncer des choses terribles alors que je m’apprête à devenir mère. Parce que je ne serai plus la fille de, mais la mère de. Et que ma génitrice ne le supporte pas. Pour me maintenir la tête sous l’eau du déséquilibre. Et moi de dire que ce n’est pas si grave.

 

Je suis un homme. Je m’effondre sous les reproches de mon amoureuse, jalouse, car j’ai eu le malheur de plaire. Je suis envahi par le doute, je me soupçonne. Je suis un allumeur, c’est moi qui provoque cela. Et je regarde mon amie me répéter que ce n’est pas de ma faute. Ce n’était pas ma faute si mon grand-père m’a abusé sexuellement. Non. Ce n’était pas ma faute. Ce n’était pas ma faute !

 

Je suis une femme. Et je m’enferme dans mes principes rigides comme un garde-folie. J’exécute les mêmes figures rigoristes que mes parents. Les mêmes à qui je mentais, plus jeune, parce qu’il m’empêchait de respirer, de vivre. Et je deviens plus dure qu’eux.

 

Plus je vieillis, plus je sais que nous sommes tous au bord de la folie. Une folie cadrée, enfermée dans un joli appartement, un mariage, des enfants, des amis, des prétextes, et des théories agencées.

 

J’éprouve tous les sentiments communs à mes semblables. Les humains. Mais je ne perds jamais de vue, que je suis prisonnière de schémas inconscients. Que l’amour, la colère, le désespoir, l’allégresse ne sont que des leurres. Que je n’en finis pas de régler mes comptes avec une névrose familiale qui est devenue personnelle. Que j’ai faite mienne. Différente. Et pourtant.

 

J’essaye toujours d’aller au-delà. De voir plus loin. De proposer une autre lecture des événements. Ce n’est pas pour autant que ma névrose disparaît. Elle est un moteur autant qu’un handicap. C’est juste que je tente de l’apprivoiser, de la décortiquer, de la démonter.

 

Alors, je fais comme tout le monde. Je vis, je ris, j’ai mal, je me soigne, on me soigne, je vais bien, je vais mal. Je prends des coups, par hasard ou provoqués. La plupart du temps, je suis dans la mêlée de nos aliénations. Je me fais marcher dessus, sur mes sentiments, mes espoirs, et mes rêves sans que, probablement, je ne sois tout à fait innocente. Je laisse faire ou je combats. Je ressemble parfois au monstre de mon déséquilibre. Je cours après le sens de ma vie. Je sers de cible à ceux qui courent après le leur. Je me casse la gueule, je me relève. Mais, parfois, je m’élève tout simplement et je vois tout cela de haut.

 

Aujourd’hui, je plane au-dessus de la folie des hommes.

 

Des rencontres, des humains, des névroses. Évidemment…

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