Limousine « II », voyage hallucinogène…

7 février 2012 0 Par Catnatt

 

 

 


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Et elle lut sur l’acier : « Tes guides seront guitare, saxo, clavier et batterie. Tu seras seule malgré tout et toi seule pourra décider de revenir ».

 

C’est charmant… La voix du professeur Robert retentit dans le laboratoire à moitié vide :

 

« Je suis convaincu que la musique est importante pour ce genre d’aventures, mais l’expérience a démontré qu’elle devait être instrumentale. Les paroles influent beaucoup trop le sujet ; son désir et ses projections se retrouvent fatalement parasitées par le chant. J’ai découvert Limousine en 2005 avec leur premier album. C’était exactement ce qu’il me fallait pour mes expériences. De la musique cinématographique, proche du travail d’Angelo Badalamenti *. Vous connaissez ? »

 

Marion répond par la négative. Elle regarde, fascinée, le scientifique s’activer. Bientôt des électrodes recouvrent ses tempes, elle devient mi humaine mi robotique.

 

« Vous allez adorer, c’est le meilleur des compagnons de voyage. Leur second album s’appelle II. Des musiciens « classiques » disons à l’origine, avec des projets très différents et ici, l’objet c’est de créer des ponts. Un peu comme ce que je fais ici. Des ponts entre la réalité et le rêve, cette dimension et les autres. Eux le font entre pop et trip hop, entre jazz et rock, entre musique expérimentale et bandes originales. Ils sont au carrefour de plusieurs mondes et jouent un rôle de passeur. C’est pour ça qu’ils sont parfaits pour ce que je leur demande. Des passeurs d’émotions. »

 

Elle écoute vaguement le monologue, elle se demande si elle ne devrait pas plutôt fuir en courant. Il l’incite à se lever pour se diriger vers le bloc de fer, gris à l’origine, verdi par le temps.

 

« Tout va bien ? »

 

Elle sourit, acquiesce, elle est enfin installée dans le caisson rempli d’eau. Elle aime cette sensation, cette berceuse aquatique, les mouvements devenus totalement fluides. Dire qu’elle n’a pas peur serait mentir, mais la curiosité l’emporte. L’excitation et le frisson. Il se penche vers elle, le petit carré à bout de doigt, elle ouvre la bouche, avale. Ne pas réfléchir, surtout ne pas réfléchir.

 

Son corps qui flotte ; ses pensées qui dérivent.

 

La porte du caisson se referme, ne restent que les bruits d’eau et la musique en fond sonore. Limousine. C’est curieux ce nom de voiture de luxe pour un groupe. Les deux guitares flirtent ensemble, s’entortillent, le rythme feutré de la batterie se propage. Elle se concentre sur tous ces détails nichés dans une portée de notes à l’apparence si simple.

 

« Tes guides seront guitare, saxo, clavier et batterie. Tu seras seule malgré tout et toi seule pourra décider de revenir ».

 

Combien de temps cela prend-il pour décoller ?

 

Elle se détend, les cheveux longs épars dans l’eau formant une auréole. Elle espère tellement le retrouver. Une sensation étrange au creux de sa main, le caisson qui s’agrandit, se déforme légèrement. La guitare douce lui prend la main, les claviers marchent dans ses pas et le saxo la tempère. Elle ferme les yeux mais ne s’endort pas.

 

L’Odyssée d’un genre un peu particulier peut commencer. La drogue fait son effet, elle lâche prise, rêve ou réalité, peu importe.

 

Elle bascule, tunnel de temps, tunnel lunaire et rouvre les yeux : Elle est toujours vêtue de cette tunique légère, miraculeusement sèche ; allongée dans l’herbe, elle lève les yeux au ciel : des cimes d’arbres immenses, vert, la lumière qui passe à travers, persiennes naturelles, jaune ; des oiseaux qui chantent d’une drôle de façon, à moins que ça ne soit encore Limousine. La musique influence ses visions, c’est certain. Elle tourne sur elle-même sans fin, 360° à l’infini et retombe, entame son périple. Les arbres les plus hauts qu’elle n’ait jamais vu. Des souffles d’air sans fin, saxo, chauds et douillets. Le son cristallin des gouttes de pluie, claviers, qui vient perturber l’harmonie du son de la forêt. La ballade la plus reposante qu’elle n’ait jamais faite, même enfant, tout fait sens, tout est profond et pourtant aucune trace de Maxime.

 

Vit-il dans ce monde ? Elle lui jalouserait presque cette paix.

 

Elle aperçoit un arbre, pénètre naturellement à l’intérieur. L’antre forme une salle de spectacle, un Guignol se dresse. Un homme en haut de forme et smoking lui demande de prendre place. Les rideaux s’ouvrent et le spectacle commence : une ombre qui danse gracieusement, saxo oriental, rythme léger, à peine effleuré, encore une ombre, guitare, qui se mêle au ballet. Violet. Chorégraphie et musique sont hypnotiques, elle s’enfonce dans son fauteuil, envoutée par l’ambiance.

 

« La vie est comme une Ghaziya, elle ne danse qu’un instant pour chacun. » **

 

Elle ne s’était pas aperçue de sa présence. Maxime. Elle n’est même pas surprise qu’il soit là. L’antre s’agrandit, se transforme en une piste de danse, orange, des lampions diffusent une lumière tamisée, rouge. Des formes se précisent, des couples ont envahi l’espace. Il la prend dans ses bras, l’enlace, l’entraîne dans un slow. Elle se serre contre lui, ce corps si tangible, le touche, il est bel et bien là. Elle voudrait parler mais elle en est incapable. Il n’y a que la fluidité des gestes, son corps contre le sien. Les sensations sont décuplées, tout est lancinant et mélancolique. La substance sûrement. La musique, évidemment. Elle voudrait que ce moment dure toujours mais…

 

Maxime lui glisse entre les doigts et s’évapore en fumée.

 

Elle chute, lentement, très lentement. Des stalactites se forment au rythme du son d’un orgue. C’est magnifique, ces sels qui se cristallisent sous l’air doucement, ce paysage de glace qui se forme sur l’impulsion des instruments. La transparence des sentiments. Maxime n’en finit pas de murmurer à son oreille, elle comprend ce qu’il dit mais il n’est que notes de guitare. Une mélopée. Ce sont des mots d’amour enroulés les uns sur les autres, une boucle d’émotions, boucle d’affection. Elle parcoure tout un monde, un univers, des kilomètres de banquise, la beauté du givre, ne marche pas, se déplace peut-être à la vitesse de la lumière.

 

La voix de Maxime se dissout dans le néant.

 

Et le nuit envahit tout, une ombre gigantesque se dessine le long des parois. Les pas tonitruants d’un géant percussionniste, noir, la musique angoissante. Brutalement elle a peur. Et si elle ne revenait jamais de ce voyage ? L’angoisse qui monte, lui sert la gorge. La batterie lourde, tellement lourde. Qu’est-elle venue chercher ? La panique qui monte, résonne, se marie avec la guitare. Maxime est mort, elle a voulu savoir et pour cela le rejoindre dans le néant, et voilà qu’elle s’y perd. Elle va mourir. Elle court, de plus en plus affolée. Elle aperçoit quelque chose au loin et s’y raccroche.

 

Maxime est redevenu une ombre, chimère, utopie impossible. Il est comme un feu follet en noir et blanc, une créature dont elle ne sait si elle doit en avoir peur. Il se cogne contre les murs, comme les doigts contre la basse, des murs qui n’en finissent pas d’onduler, murs de taule anthracite, murs de son ; Elle tente de l’attraper. Elle lui court après, accélère, ralentit. Elle est venue pour lui demander, pour savoir, pour ne pas rester ainsi, dans l’inconnu. Savoir quoi ? Elle ne sait plus vraiment. Les claviers comprennent son affolement, l’entourent et l’apaisent. Cesser d’avoir le diable à ses trousses. Respirer à nouveau, enfin.

 

« Tes guides seront guitare, saxo, clavier et batterie. Tu seras seul malgré tout et toi seul peut décider de revenir ».

 

Soudain tout s’apaise. Quelqu’un lui fait signe joyeusement, Maxime apparaît en entier, lui sourit. Les questions s’évanouissent et une jolie valse rythme leurs retrouvailles : elle, lui, les instruments. Il lui caresse la joue, « Je t’aime » et c’est tout ce qu’il y à savoir ; le monde est blanc, apaisé, angélique. Tant de tendresse. Il l’enlace encore, ils marchent doucement. La prière des claviers, tout est si aérien, la musique se déploie, envahit le monde, monte en puissance. Elle n’a besoin de rien, elle sait. Elle sait la marche des âmes. IL lui sourit une dernière fois, dans un bruit de basse doux, fragile. Elle sait qu’elle ne le reverra plus, elle sourit pourtant, elle aussi et Maxime disparaît.

 

« Tout va bien ? »

 

La tête penchée du professeur Robert. La réalité du caisson. Elle se lève péniblement. Combien de temps a-t-elle été absente ? Combien de temps cela a-t-il duré ? Des heures d’après ce qu’elle comprend. Le temps passe tellement vite, cet album est bien trop court. On la raccompagne chez elle en voiture. Les rues qui défilent, l’expérience intransmissible. Personne ne lui pose de questions d’ailleurs, comme s’ils savaient. Encore Limousine en fond sonore. Curieux ce morceau énergique pour conclure ce disque. C’est le seul.

 

Puis soudain, le bruit, le bruit de la tôle, la brutalité : un bip écorcheur qui la renverse et qui l’aspire, un bip qui dissipe le monde ; un bip qui ne provient pas de « II » , cela elle en est certaine, il est bien trop écorchant.

 

Peu à peu, elle reprend contact avec la réalité. Ses écouteurs sont encore logés dans ses oreilles et lui font un peu mal. Elle relève péniblement la tête et son premier contact avec le nouveau monde est ce peigne, ce peigne qui illustre la pochette de l’album de Limousine. Elle maudit alors ce rêve et en même temps le chérit. Elle est à nouveau chez elle, dans son corps, dans sa vie. Enfin, elle croit. Elle se sent comme purifiée. Seule une question, dissimulée au plus profond de sa gorge, génère encore un soupçon de malaise :

 

Qui est Maxime ?

 

 

 

>> Limousine « II »
Sortie 16 janvier 2012
Eos Records / Ekler’O’Shock


>> Pour l’écouter en entier, cliquez ici


* Extrait du cp
**Proverbe egyptien
Remerciements à Fringe. Et aussi à Benjamin Fogel pour la conclusion