#Striptease : de la compassion à géométrie variable

3 juillet 2012 15 Par Catnatt

Hier soir, une partie de twitter s’est offert une conscience sur le dos de l’émission #striptease sur fond de lutte des classes.

 

La polémique a duré tout ce jour entre ceux qui s’indignaient de la diffusion du « documentaire » d’hier (une famille d’agriculteur qui paie une agence roumaine pour trouver une « bergère » à l’héritier) et ceux qui, effectivement avaient parfois ri et défendaient l’émission.

 

Le principal défaut relevé ici ou là serait que Striptease offrirait à des CSP+ une bonne séance de voyeurisme et leur offrirait en pâture les classes défavorisées. Rappelons que cette émission est basée sur un documentaire non commenté, le principe même propose une lecture libre des évènements.

 

J’ai regardé hier soir et ce avec ma fille. Je n’ai jamais choisi de mater ce genre d’émissions, je tombe dessus et les réactions sur twitter m’ont vite amenée à rallumer ma télé. J’ai ricané. J’ai été touchée. J’ai été fascinée. Striptease me convoque à une autre réalité du monde, celle à laquelle je n’ai pas accès. Celle à laquelle je n’ai pas envie d’appartenir. Mais il en est de même pour certains reportages sur des riches menant une vie soi disant de rêve mais dont la détresse affective est palpable. Ce que je veux dire c’est que je ne vois absolument pas le rapport avec une soi disant lutte des classes, la moyenne se foutant de la gueule de celle en dessous. Qui plus est, sur twitter la règle c’est que tout passe au mixer du lol et les mêmes qui s’indignent aujourd’hui étaient les mêmes qui se tiraient la bourre pour un bon mot sur Zahia, le live stream de l’affaire Mohamed Merah, le cocufiage d’Anne Sinclair, la taille ou le physique de Sarkozy ou de Carla Bruni, les candidats de la téléréalité, Michael Vendetta, la prise d’otage de chais plus quoi et j’en passe et des meilleures.

 

On me rétorquera que la plupart des exemples cités ci-dessus sont des personnalités publiques et qu’en quelque sorte, elles « méritent ». Autrement dit il s’agit d’empathie à géométrie variable ou mieux encore de compassion inversement proportionnelle au degré de « célébrité » ou aux revenus. Là, ça devient intéressant parce qu’en l’espèce il ne s’agit plus de compassion, puisque ce sentiment s’adresse à l’humanité toute entière normalement – et surtout le doc de striptease soulevait la question de la détresse affective… A moins que celle-ci n’existe absolument pas dans les classes favorisées, il fallait me prévenir… surtout veillez à me fournir votre avis d’imposition avant que je compatisse à votre sort – donc il s’agirait de lutte des classes. Les pauvres seraient fatalement bons et les riches fatalement mauvais. Si ce n’est une vision bêtement binaire du monde, je ne sais pas ce que c’est.

 

J’avoue que je me demande qui est le plus condescendant dans l’histoire : le csp+ qui s’est moqué et a été aussi touché (parce que oui, on oscillait entre les deux hier soir sur twitter) ou le csp+ qui fait quasi barrage de son corps à cette humiliation que consisterait Striptease. A savoir qu’en filigrane, il y a quand même la question du consentement éclairé. Chez les indignés, le propos sous jacent n’est jamais loin de ça : ces agriculteurs ne seraient pas intellectuellement équipés pour avoir réellement appréhendé l’impact de l’émission sur leur vie. Entre nous Striptease existe depuis plus d’une dizaine d’années, je me demande si la France entière n’a pas regardé au moins une fois…  France 3 aurait dû se rendre compte et refuser de diffuser. Si je caricature encore plus loin, les pauvres seraient trop cons pour réaliser que s’exposer à la télé dans une émission non trafiquée fera la joie de ces connards des classes moyennes ou supérieures qui n’attendent évidemment que ça… Je crois que depuis l’avènement de la téléréalité qui date de plus de dix ans, les « pauvres » sont suffisamment intelligents pour avoir percuté, voyez-vous. Je crois que je ne commets pas l’erreur de les sous estimer. Et je crois surtout que dans toutes les classes sociales, il y a des exhibitionnistes et des voyeurs. Ce n’est pas l’apanage de certains groupes sociologiques, c’est celui de l’humanité.

 

Moi, je pars du principe qu’il s’agit d’adultes parfaitement consentants qui ont accepté d’être filmés parce que quelque part, cela devait leur sembler intéressant de participer à cette aventure. Peut-être tout simplement d’ailleurs qu’ils voulaient partager. Et ce que nous avons partagé hier était effectivement dérangeant. Personne n’a envie de vivre cette réalité-là et pourtant, c’est la leur. Doit-on cesser de la montrer ? Ou la montrer mais la mettre en valeur ? Genre « le bonheur est dans le pré » avec des agriculteurs « fréquentables » ? C’est plus digeste pour tout le monde ? Et d’ailleurs, si on part du principe qu’ils souhaitaient partager ce moment inhabituel, doit-on refuser de le diffuser parce qu’on ne veut pas de cette réalité là ? Mieux, si l’on suit le raisonnement jusqu’au bout, la réalisatrice et France 3, après avoir filmé donc, auraient dû dire à cette famille : « non finalement, on ne va pas diffuser parce que ce que l’on voit est dérangeant. Vous passez pour des abrutis ». Je vous laisse imaginer la suite…

 

Finalement le refus est aussi ambivalent que le rire. Entre les deux ? L’empathie.

 

Pour finir, twitter est une caisse de résonance. Mais l’indignation d’hier me semble quelque peu faux-cul. Parce que twitter de par son fonctionnement est cruel et sans pitié. Dois-je rappeler le sort réservé au hashtag « j’ai été violé(e) » où le lol a fracassé toute l’initiative ou quasi ? Il y a eu peu d’indignation. Beaucoup trop peu. Au début, ça me rendait dingue mais à force j’ai fini par comprendre : rien n’est sacré sur twitter. Tout peut être défoncé, c’est comme ça. Et ceux qui s’indignent aujourd’hui seront ceux qui ricaneront demain, moi la première.

 

On le sait tous, le rire est une défense, une manière de mettre à distance les évènements. On a tous une manière particulière de gérer notre rapport au monde mais, au fond, si on y réfléchit vraiment, que ça soit les ricaneurs ou les indignés, demain… Personne n’en aura plus rien à foutre de Damien et de sa solitude affective.

 

Et, ça c’est bel et bien la réalité.