L’ascenseur : le politique et la twittas

4 novembre 2012 8 Par Catnatt

« Et merde ! »

 

Pierre Pailleron secoua la tête, accablé. Ce n’était vraiment pas le moment. Valentine se retint d’éclater de rire. Coincée dans un ascenseur avec le fameux Pierre Pailleron, homme politique, récemment élu à l’Assemblée Nationale, sous une étiquette aux idées semblables aux siennes – à l’origine – ne manquait pas de saveur. Elle s’était fendue de quelques tweets agressifs concernant certains propos surprenants de cette nouvelle figure de gauche. Elle se demandait si c’était lui qui tenait son compte.

 

Il appuya comme un enragé sur le bouton d’alarme. L’échange qui s’en suivit fut des plus classiques à base de « vous ne vous rendez pas compte ! », « vous savez à qui vous parlez ? », « important », « indispensable », « vital », « inadmissible » entrecoupé de phrases tout faites de la part de la maintenance.

 

Valentine se colla dans un coin et laissa Pailleron s’agiter comme un fou. Il transpirait, finissait par bafouiller de rage. Las, il finit par prendre son parti de la situation. Vingt minutes s’étaient écoulées. Valentine se laissa glisser au sol, Pailleron l’observa et se décida à faire de même.

 

« Je crois qu’on va devoir passer quelques temps ensemble.

 

Valentine releva la tête, elle était déjà en train de faire part de son infortune sur twitter.

 

– Je ne me plains pas, au regard de qui vous êtes, je suis sûre que votre staff est déjà en train de s’agiter pour nous sortir de là…

 

– Ha, vous m’avez reconnu ?

 

Pierre Pailleron se rengorgea. Valentine le nota mentalement.

 

– Oui mais ne le prenez pas comme un compliment.

 

Il accusa le coup.

 

– Je ne vous apprécie pas, j’ai horreur de vos sorties, je vous ai déjà pris à partie sur twitter pour être tout à fait honnête.

 

– Je vois… Laissez-moi deviner, Front de gauche ? Un malheur n’arrive jamais seul décidément…

 

– Je vous retourne le compliment, mais non pas Front de gauche, de gauche simplement et croyez-moi, c’est pas la situation la plus confortable actuellement. Si seulement, j’étais écolo ou Front de Gauche comme vous dites ou même au NPA, ce serait plus simple. J’aurais un angle à défendre, quelque chose. Mais là…».

 

-Pas simple de déterminer l’adn du PS hein ?”

 

-Si vous même, vous n’y arrivez pas, nous sommes une cause perdue.”

 

L’atmosphère était tendue dans ces tout petits m2. Pailleron et Valentine évitèrent de croiser leurs regards pendant dix minutes. Leurs portables étaient là, meublant l’espace qu’il restait. Elle souriait régulièrement en lisant son téléphone.

 

« Ce n’est pas moi qui tiens mon compte, finit par lâcher Pailleron. Le silence lui faisait horreur depuis trop longtemps pour qu’il tienne à ce petit jeu-là.

– Non, sans déconner ?

 

Il se marra.

 

– Vous n’êtes pas très détendue…

 

– Non, je ne suis pas du genre détendue comme fille, effectivement. Vous êtes fin psychologue quand vous voulez.

 

– Mais qu’est-ce que vous me reprochez exactement ?

 

Valentine soupira et posa son portable par terre. Elle fixa longuement Pierre Pailleron.

 

– Je vous reproche d’avancer et de reculer sans arrêt, je vous reproche de vous être fait élire les uns et les autres sur des promesses que vous ne tiendrez pour la plupart jamais. Je vous reproche d’avoir utiliser le mot « rêve » n’est-ce pas, il faut “réinventer le rêve français” pour nous expliquer quelques mois plus tard qu’il faut plutôt négocier avec la réalité, je vous reproche de nous avoir vendu le changement et de pratiquer une certaine forme d’immobilisme. Je vous reproche, comme aux autres, de faire dans la surenchère. Vous déformez les mots, vous les videz de leur sens. La droite de la gauche, la gauche libérale… Vous vous rendez compte de ce que vous sortez comme âneries ? Maintenant, 39-45 est convoqué tous les quatre matins et en face c’est la « résistance face à Robespierre » ou mieux encore la droite qui veut descendre dans la rue ! On marche sur la tête. On nous a vendu la communication, c’est de l’escalade oui !

 

– Vous ne me citez que des dérapages de droite là.

 

– Qu’à cela ne tienne, quid de Valls qui n’a aucun problème avec la fameuse une du Point sur l’Islam ? C’est une réalité dit-il.

 

Pailleron soupira

 

– On a le droit au sein d’un même mouvement d’exprimer des sensibilités différentes.

 

– Certes, mais ça fait vingt ans qu’on espère la gauche au pouvoir. Que faites-vous de cette espérance ?

 

– C’était une espérance démentielle, intenable sans parler du contexte de crise.

 

– Et ça justifie les allers-retours ? Le manque d’humilité ?

 

– Parce que vous croyez vraiment que l’on peut exister en politique sans sortie de route ? Vous connaissez beaucoup de politiques posés, raisonnables, sans petites phrases ? Citez moi un exemple !

 

Le visage de Valentine exprima sa perplexité. Pailleron profita de son avantage :

 

– La politique n’existe plus dès lors qu’elle est dans le champ du pouvoir ou plutôt vous confondez politique et idéaux. Il faut un ego démesuré pour être persuadé de pouvoir apporter une solution à une ville, un département, un pays ! Vous pensez vraiment qu’il est possible à l’heure actuelle de cumuler modestie, humilité et destin politique ? Regardez-vous, c’est quoi votre pseudo sur Twitter ? Combien de followers ?

 

– Quelques milliers.

 

– Et vous êtes toujours impeccable, vous ne dérapez jamais pour le plaisir de vous faire remarquer ?

 

Valentine haussa les épaules,

 

– Si, forcément. Mais il y a des fondamentaux auxquels on ne touche pas.

 

– Je vous accorde peut-être cela. Mais on n’est pas élu pour ses convictions de nos jours. Ceux qui ont des convictions, ils ont même pas les moyens de rembourser leurs campagnes. Et toute l’ironie de la chose, c’est que le peuple que vous aimez tant ne vote pas pour des convictions, sinon ça ferait longtemps que Lutte Ouvrière aurait des députés. Non, les gens votent pour qui incarne à un instant T, pas celui qui vit ses convictions. Et le peu de fondamentaux qui reste après des années à vouloir se faire élire, croyez-moi, ils ne tiennent pas longtemps quand on a les mains dans le cambouis. Regardez Valls. Il espère soi-disant pratiquer une politique humaine vis à vis des sans-papiers. Mais concrètement, les expulsions continuent. Le terme même, expulsion, ne peut être humain quand on y réfléchit vraiment. Il y a un paquet de termes en politique qui ne sont pas humains d’ailleurs. La politique est inhumaine quelque part, il y a toujours des laisser pour compte. Vous savez quoi, il faut être quelque part suicidaire pour faire de la politique de nos jours.

 

– C’est la séquence pulsion de mort ?

 

– Quelque part il y a de ça mais vous savez, vous avez l’impression sur twitter d’avoir les mains bien propres et la conscience bien tranquille mais je mets ma main à couper que les plus purs d’entre vous ne feraient pas mieux une fois au contact du pouvoir. Vous êtes un tribunal de l’instant.

 

– C’est censé justifier quoi exactement votre tirade ?

 

– Ce n’est pas une question de justification mademoiselle. Twitter est l’espace de l’instantané, la politique devrait, j’ai bien dit « devrait », être l’espace du long terme. Nous ne sommes pas faits pour nous entendre de toute manière, nous sommes incompatibles finalement et nous sommes, pourtant, obligés de faire avec vous.

 

– Vous, les politiques, vous ne dites que ce qui vous arrange et encore quand ce ne sont pas purement et simplement des mensonges ou des chiffres, considérations erronées. Au moins, certains sur twitter relèvent vos erreurs.

 

-La petite séance sur Rachida Dati, c’était le relevé de compteur ?

 

Valentine accusa le coup.

 

-Ne mélangez pas tout.

 

-Ha bon ? Pourtant il me semble avoir aperçu quelques tweets mélangeant allègrement considérations sur sa vie sexuelle et positions politiques.

 

-Je vous l’accorde. Mais là, n’est pas le sujet. On devait assister à l’adoption du droit de vote des étrangers aux municipales et puis finalement, c’est la grande reculade. On devait faire faire des récépissés aux policiers en cas de contrôle et finalement vous abandonnez. On passe notre temps depuis quelques mois à assister à des sorties personnelles de ministres qui se font aussitôt recadrer. Le message est brouillé. Depuis que vous êtes élu, ça n’arrête pas. Couac time.

 

Pailleron sourit.

 

-J’en sais rien, on a probablement le comportement d’un chien dans un jeu de quilles. Vingt années à espérer…Tout le monde a l’ego au taquet. Tout le monde veut bien faire mais tout le monde veut exister. Nous sommes les chiens, les médias sont les quilles. C’est pas la même chose sur twitter ?

 

Valentine prit le temps de réfléchir sérieusement.

 

– Si, il y a de ça. Peut-être que nous sommes à notre tour les quilles et les médias les chiens. La mécanique est somme toute la même, créer la réaction, c’est engendrer l’existence. A chaque fois que je m’aventure sur le terrain de la polémique, je récupère du follower.

 

– Nous c’est pareil finalement. Au début, on tâche d’être cohérent avec ses convictions et puis on se heurte à une réalité extrêmement complexe, parallèlement, on s’aperçoit que l’autre à côté se fait remarquer, grande gueule, charisme, réseaux, polémiques éventuellement et ça marche. Alors adieu la discrétion et la mesure, on fait dans la surenchère pour se créer un destin politique. Sarkozy a laissé des traces, inconsciemment tout le monde a intégré qu’il fallait créer le plus d’aspérités possibles pour pouvoir exister médiatiquement. Regardez Bayrou, pas d’angles, pas de vote. Même Sarkozy n’a fait que suivre le mouvement, il a juste poussé le curseur un peu plus loin. Mais ça a commencé avant. Je ne sais pas quand exactement mais avant. Peut-être le jour où la France entière a voté Chirac au nom d’une seule conviction : celle que le FN ne pouvait pas passer, peut-être que ce jour-là, finalement a sonné le glas d’un vote à l’ancienne. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a quasiment plus de fond et la couche supérieure diminue d’année en année. Reste la surface de réaction.

 

– Si ça peut vous rassurer, je fais 5 clics sur un article de fond sur la géopolitique syrienne et 465 sur un truc de cul.

 

– C’est quand même gonflé de votre part, je veux dire twitter, du moins en France. Vous êtes incapables de faire du fond, vous reprenez ad nauseam les petites phrases des uns et des autres et vous nous reprochez d’en faire. Alors que c’est précisément nous qui nourrissons votre machine. On dit bien « tu ne mordras pas la main qui te nourrit », c’est bien ça ?

 

Valentine éclata de rire

 

– Bien vu !

 

– Vous savez, je finis par me dire que là où le bât blesse chez nous, c’est que nous tremblons face à la polémique. Vous nous avez aidé quelque part à accéder au pouvoir mais nous savons que vous nous guettez en permanence. Ca crée un climat assez anxiogène. La droite n’a pas ce problème là. Quand la droite s’est décomplexée, elle s’est décomplexée à ce niveau-là aussi. Elle n’a plus peur de la polémique, celle-ci la fait par définition exister d’autant plus qu’elle est dans l’opposition maintenant. Résultat : nous sommes paralysés et maladroits parce que nous sommes censés incarner « le bien », la droite, elle ne fait pas dans les bons sentiments, elle peut déraper, finalement ça fait partie du folklore. Vous pensez qu’une gauche décomplexée, ça marcherait mieux ?

 

– Honnêtement, je ne comprends pas très bien pourquoi on culpabilise, du moins on peine à assumer d’être de gauche et de vouloir diriger un pays. A quel moment de notre histoire, a-t-on décidé que le raisonnable était de toute manière le libéralisme et que l’humain devait passer après le marché ? Ce qui est fou c’est que cette doctrine a tout envahi. Et elle est celle qui paralyse notre gouvernement actuel, comme si la plaisanterie avait suffisamment duré : « Okay les gars, vous nous avez élu avec un programme de gauche, enfin de social-démocrates, hein, on a bien déconné mais là on va improviser un truc à la sauce libérale. C’est la crise, vous comprenez. Non mais on rêve, vous le saviez pas ou quoi ?

 

– On ne s’attendait pas à se faire attaquer de partout comme c’est actuellement le cas. Le pire de tout étant que les réseaux sociaux qui nous sont plutôt favorables accouchent des #Pigeons. Ils ont ouvert la route, les grands patrons se sont engouffrés. Et ils nous demandent à nous ce qu’ils n’ont jamais osé demandé en dix ans à la droite, vous y croyez, vous, à ça ?

 

Pailleron avait l’air sincère. Valentine lui fit un clin d’œil.

 

– Remarquez vous pouvez le prendre comme un hommage, comme une preuve de confiance.

 

– Il doit y avoir trop de CO2 dans cet ascenseur, vous perdez le sens commun

 

Ils éclatèrent de rire ensemble. Pailleron reprit.

 

– Combien de followers ?

 

– 4900

 

– Et vous faites dans quoi ? C’est quoi votre créneau si j’ose dire ?

 

– Politique, société, live tweets d’émissions de téléréalité. Du lol, du cul, de la polémique comme je vous disais tout à l’heure.

 

Pailleron s’absorba dans ses pensées.

 

– J’imagine que c’est la même chose finalement chez vous : vous devenez une caricature de vous-même, quelque part, vous vous spécialisez et vous finissez immanquablement par vous fatiguer, tout ce cirque vous dégoûte un peu mais finalement vous continuez parce que quelque part vous avez l’impression d’exister : cette montée d’adrénaline quand votre propos rencontre « un public ». Vous voulez vous faire croire que vous agissez pour le bien commun, le partage, n’est-ce pas mais c’est bel et bien, c’est uniquement de vous dont il s’agit. Comme nous. Vous êtes tous incapables de vous incliner face à des objectifs communs. Vous devez faire entendre votre petite musique.

 

– Honnêtement ? 95% du temps, c’est le cas. Mais j’aime à croire qu’il y a 5% d’ »œuvres collectives », un truc pour Amnesty International, une manif, quelque chose qui a du sens.

 

– Faire de la politique, c’est pareil mademoiselle. Mais ça n’intéresse personne. On a fait des choses bien au gouvernement et à l’Assemblée Nationale, vous savez. Mais personne ne s’y attarde. Vous pas plus que les autres. Les commentaires sont ailleurs. Avant on les subissait de l’opposition et des médias, maintenant on se tape en plus ceux des influents des réseaux sociaux qui finalement nous doivent quelque part leur existence. Sans politique quid de twitter ? Vous réclamez du sérieux, de la pondération et c’est finalement les sorties de route qui créent du lien social. Vous vous mettez tous à discuter entre vous alors que vous êtes pas foutus de parler à votre voisin. Le lien social se crée sur du contre, pas sur du pour de nos jours. C’est dingue, non ? C’est peut-être pour ça que notre société se délite, incapable de construire qu’elle est. La cause commune, ça n’est plus le bien commun mais le mal commun, pour le reste chacun plaide pour sa cause, incapable de la dépasser pour la collectivité. On s’est battu pour avoir la démocratie, regardez ce qu’on en a fait, politiques, médias et électeurs. Un exemple simple : le même jour, on lance les emplois d’avenir, quasiment pas un mot mais il y a eu du monde hein pour commenter la sortie d’Ayrault sur les 35 heures. C’est pénible. Faut-il être maso pour continuer ce métier… »

 

Des bruits se firent entendre, la maintenance avait réussi à débloquer l’ascenseur, coincé entre deux étages. Bientôt Valentine et Pailleron sortirent. Techniciens, entourage du député, concierge les accueillirent. Ils discutèrent tous ensemble pendant quelques minutes. Mais Valentine décida de partir. Elle s’achemina vers la sortie d’un pas pressé, il s’en fit la remarque. Elle appuya sur le bouton de la porte d’entrée pour sortir de l’immeuble.

 

« Attendez ! Juste une question !

 

Elle se retourna, l’observa d’un regard interrogateur :

 

– Vous croyez qu’on peut se pardonner de n’être pas devenu ce dont on rêvait ?

 

Elle esquissa un sourire.

 

– Franchement ? Non… Jamais vraiment, on s’habitue, c’est tout ».