La fin d’une quête, le début d’une nouvelle ?

22 juillet 2013 13 Par Catnatt

Il y a dix ans, le 14 mai 2003 (nous ne noterons pas que la date de naissance de ma mère est en mai…) je quittais mon futur ex-mari, mes deux enfants sous le bras et trois valises. Je prenais soin de mettre environ 500 kilomètres entre lui et moi, ce qui n’empêcha pas qu’il soit monté à Paris, ce qui n’empêcha pas des anecdotes absolument priceless dont je vous fais grâce aujourd’hui. Cela n’a rien empêché, ça a simplement limité la casse.

 

Je me suis levée un matin, je ne savais pas que je partirai deux heures après. A dix heures, allez savoir pourquoi, impulsion ou longue maturation, j’ai décidé qu’on avait suffisamment rigolé #ahem et que j’arrêtais mes conneries.

 

Bref, je suis partie et mise à part un seul aller-retour pour qu’il voie les enfants, je n’ai plus jamais remis les pieds dans cette baraque. Par conséquent, je n’ai jamais pu récupérer la majorité de mes affaires. Et là où je me fascine encore, c’est le choix apparemment anarchique des choses que j’ai emmenées : je n’ai pas oublié les robes de ma mère mais j’ai laissé tous mes journaux intimes. Je n’ai pas oublié deux livres qui appartenaient à ma mère mais j’ai laissé l’intégralité de tous mes bouquins accumulés en des années de lecture. Je n’ai pas oublié le vieux sweat-shirt usé de ma mère (encore) mais j’ai laissé ma robe de mariée. J’ai laissé derrière moi tous mes disques. Je me demande encore comment j’ai pu faire un truc pareil mais l’inconscient est chose puissante, que voulez-vous que je vous dise… Par la suite, mon ex-mari a jeté tout ce qui m’appartenait. Enfin, c’est ce que j’ai fini par conclure puisque d’une part, il ne m’a jamais rien rendu et je doute qu’il ait eu les moyens de tout conserver et par ailleurs, quelqu’un m’a dit (que tu m’… en fait non) que tout ce qu’il y avait dans la maison avait terminé dans une décharge.

 

En fait, je ne me suis pas aperçue tout de suite de mes choix étranges. Je n’ai pas pris toutes les pièces vestimentaires de marques mais j’ai emmené ma vieille chemise blanche usée elle aussi achetée à N-Y et que je trimballais depuis dix ans. Je n’ai pris que des choses sentimentales dérisoires. Des choses usées. Pas ce à quoi je tenais vraiment, du moins en apparence.

 

Je n’ai pas oublié la boîte consacrée aux photos ratées #wtf mais j’ai laissé tous les albums photos des enfants, de mon enfance et de mon adolescence. Et c’est là où je veux en venir aujourd’hui.

 

Il paraît que c’est quelque chose dont je parle souvent. Je n’avais jamais réalisé à quel point ça avait été violent pour moi. J’ai pris très vite le parti de « si j’ai abandonné tout ça, c’était pour me délester de mon passé encombrant. » Ce qui est vrai en partie. J’avais besoin d’une zone vierge, d’un temps sans passé concret mais avec souvenirs dans ma tête, probablement pour me reconstruire, me défaire d’une légende, d’une malédiction, en tout cas quelque chose que je ressentais comme tel. Et pendant dix ans, à part deux photos chopées au coin d’une vidéo, il n’existait que moi à partir de 32 ans. Avant, rien. Comme si j’étais née à ce moment-là. (le premier qui me dit que j’aurais pu avoir la classe en attendant 33…) Cela a eu comme effet bénéfique que je ne me suis pas vue vieillir, c’est assez étonnant. Je n’avais plus de point de comparaison : j’avais toujours eu plus de trente ans et Charlotte n’avait jamais été un bébé ( ça aussi, on pourra en parler un jour…). J’ai fait une croix définitive sur ces images du passé, c’était comme ça, il n’y avait rien à faire.

 

Toujours est-il que ce que je croyais à jamais disparu, ces photos, ces images de ce que je fus, ont commencé à réapparaître grâce aux réseaux sociaux neuf ans après la perte : l’année dernière Angélique me scanna des photos de Charlotte, bébé. Puis Christophe mon ex de mes vingt ans posta deux, trois photos. Cette joie de me voir à cet âge-là. J’avais oublié ! Puis une chose en entraînant une autre, Fred prit le temps de m’envoyer ce qu’elle avait.

 

Ma jeunesse m’était quelque part restituée. Mais cela restait insuffisant.

 

Huit ans sans voir ma sœur aînée. La perspective de la revoir m’a plongée dans de sérieuses angoisses. Finalement, ça a tourné court mais curieusement au même moment, elle fit passer un dossier de vieilles photos scannées à ma nièce.

 

Et je reçus un mail un matin de juillet 2013. (Nous ne noterons pas que ma mère est décédée en juillet car nous avons décidé à l’unanimité de moi-même que nous éviterions pour l’instant une bonne vieille psychanalyse transgénérationnelle…)

 

Je me suis décomposée.

 

J’ai pleuré. Beaucoup.

 

Moi dans les bras de Maman à la maternité. Moi tenant dans mes bras ma nièce. Moi à 5 ans. Moi à 12. Moi à 7.

 

Moi, enfant.

 

Ca peut sembler délirant comme ça mais j’avais oublié que j’avais été une enfant même si je suis littéralement obsédée par les traumatismes de mon enfance. Je ne sais si vous comprendrez la nuance. Je ne sais comment expliquer. Et je ne sais même pas quand ma sœur (que je remercie en passant) a consacré tout ce temps pour sauvegarder tout ça.

 

Je suis arrivée en vacances chez mon père il y a trois jours. Je me suis fait piquée par des bestioles, des araignées. J’ai décidé de nettoyer de fond en comble la chambre dans laquelle je dors pour éventuellement déloger ces dames.

 

Je suis tombée sur des photos. Les bras m’en sont tombés.

 

La fameuse photo de mes vingt ans que je n’ai eu de cesse de réclamer à Adriana. La fameuse photo de moi à trois ans dont je parle dans ce billet.

 

C’est curieux comme dix ans après, comme une fin de cycle, tout cela m’est restitué. Je trouve ça absolument dingue ! Et la question que je me pose, parce que je ne sais pas faire autrement, c’est est-ce que je n’ai pas voulu chercher ou est-ce que la vie est super bien foutue et attend que tu sois prêt pour te rendre des choses ?

 

Ce que je veux dire, c’est que pour moi, la vie est faite de cycles, de chiffres. C’est ma petite superstition à moi.

 

Ma mère est morte en 1987, l’année de mes 16 ans. J’ai enfin commencé une vie qui ME convenait vraiment un peu plus de 16 ans après mais pas 17 ans après. Ca fait un peu plus de dix ans que je me suis reconstruite et on me rend enfin ma jeunesse, cette jeunesse que j’avais refusée pendant tout ce temps-là. Je ne crois pas au hasard, je crois en la vie et en mon inconscient.

 

Certaines personnes pensent que la vie est faite d’un seul cours, quelque chose d’ininterrompu, qu’on avance, qu’on est obligé d’avancer, qu’il n’y a qu’un seul fleuve, un seul souffle. Je n’y crois pas. Je crois aux chemins de traverse qui te ramènent, certes, toujours vers une route mais tu quittes régulièrement celle-ci pour chercher ce dont tu as besoin.

 

Pour moi, la vie est faite de cycles, il y a des temps pour tout et parfois il faut perdre pour mieux gagner après. Je n’ai jamais la sensation de stagner parce que j’ai l’impression de commencer quelque chose de différent à chaque fois. Et aujourd’hui, en ayant mis la main sur tout ça, j’ai vraiment la sensation de conclure une période, la sensation d’être prête pour autre chose.

 

Refermer l’album.

 

Dix ans pour me reconstruire, dix ans pour m’aimer, dix ans avec au bout la réconciliation.

 

Et je suis impatiente de voir à quoi ce nouveau cycle va ressembler, quelle va être ma quête car je me connais, il y en aura encore une. Je n’en ai pas la moindre idée mais cette nouvelle aventure m’excite.

 

C’est une manière, je crois, de rester en vie. Vraiment en vie. C’est une manière, je crois, que la vie garde toujours un sens. C’est une question de point de vue. Et si jamais un jour vous avez l’impression de piétiner, d’être coincé dans un espace-temps qui ne vous convient pas, n’oubliez jamais qu’il y aura toujours un signe, un clin d’oeil, un petit caillou semé sur votre chemin – que vous verrez ou non, mais c’est toujours vous qui décidez – pour vous ramener chez vous, ce que vous êtes vraiment, ici et maintenant.

 

 

3 ans

 

 

20 ans