« L’invention de nos vies » ou la grande caricature sociale

5 octobre 2013 4 Par Catnatt

1237759_534798383258020_1140762710_n

(spoiler.)

Non, soyons sérieux là…

 

Je suis rarement formelle au sujet des livres, je ne me sens pas du tout légitime ; j’aime défendre, rarement attaquer. Mais j’ai trouvé le livre de la rentrée littéraire qui me fait bondir. Quand je lis des critiques positives, je reste estomaquée. Quand je vois qu’il est en deuxième sélection du prix Goncourt, c’est une remise en question totale qui s’abat sur moi.

 

Comment ?! Mais alors comment est-ce possible de se planter à ce point-là sur un bouquin ?! Ou alors, c’est moi qui suis à côté de la plaque ? C’est terrifiant. « L’invention de nos vies » a la mécanique d’un roman harlequin et il est sélectionné pour le Goncourt. Je ne sais pas si on réalise l’ampleur du délire.

 

C’est Barbara Cartland qu’on encense, c’est un truc de fou.

 


Ou alors c’est une expérience : un roman à l’eau de rose – bon, okay j’admets – un roman à l’eau de rose un peu noircie écrit avec du style. Enfin… avec des points virgule, des tirets et des points d’exclamation par milliers. Ensemble. Je veux dire vraiment ensemble, à côté les uns des autres si vous préférez. 450 virgules et trois points. Ca c’est pour les premières pages au cas où tu aurais pas compris que l’auteure avait du styyyle, hein ? Des slashs. //////////. Oui/Oui/Des slashs/J’imagine qu’au bout d’un moment, le ; ou la , à l’échelle industrielle, ça manque d’originalité. Des mots écrits en majuscule comme lorsque tu gueules sur les internets. Des mots médiatiques de notre monde, performance. Ca devient une manie d’ailleurs dans les romans français, la grande dénonciation en capslocks.

 

C’est un ramassis de clichés, haaaaa enfin, le grand roman de notre époque : le musulman, le juif, les attentats du 11 septembre, la fille super gaulée qui fait bander tout le monde, brune évidemment et aussi la blonde hitchockienne, froide évidemment. Le maghrébin est fourbe et le juif est victimaire. Le mâle prédateur excite toutes les femmes et le faiblard n’arrive même plus à avoir une érection. Oulala, le terroriste est blond et s’appelle François mais pas de panique il est fils de mère célibataire, ouf tout s’explique. Quand on est pauvre, on l’est vraiment et lorsqu’on est riche, on l’est vraiment aussi. Le roman a l’ascension folle et la chute brutale. Evidemment la tentatrice ne se retrouve libre que moche, pauvre et seule (et les cheveux courts). Ou autre option, une vie sociale ruinée mais Papa est toujours là. Pas d’inquiétudes, les femmes si elles s’affranchissent ne seront pas heureuses. Pas d’inquiétudes, tout est bien en noir et blanc, pas de subtilités, ça risquerait d’embrouiller le lecteur. Pas d’inquiétudes, lorsque l’on ment, on paye au prix fort. La célébrité et l’argent, ça rend très malheureux. Haaaa, ce qu’on est bien avec 700 euros par mois.

 

J’exagère…Pas tant que ça mais franchement est-ce qu’on nous prendrait pas pour des jambons ? C’est de la littérature « 50 shades of grey » sociale. C’est fort tout de même ! Saluons la dernière trouvaille, l’édition ne cesse de se renouveler.

 

Non mais soyons sérieux deux secondes : c’est bien écrit, c’est technique, rien à dire, c’est si bien fabriqué… Mais l’émotion, Karine Tuil la gère à la truelle. C’est des parpaings de sentiments, un livre sponsorisé par Point P. Même les retournements de situations sont des caricatures : tu te dis « non elle va pas aller par là, c’est trop attendu », tu réfléchis, le doute t’assaille « mais non elle va pas se rendre à l’extrême opposée ? Elle oserait pas… » Ha ben si !

 

Le résumé :

 

« Sam Tahar semble tout avoir : la puissance et la gloire au barreau de New York, la fortune et la célébrité médiatique, un « beau mariage »… Mais sa réussite repose sur une imposture. Pour se fabriquer une autre identité en Amérique, il a emprunté les origines juives de son meilleur ami Samuel, écrivain raté qui sombre lentement dans une banlieue française sous tension. Vingt ans plus tôt, la sublime Nina était restée par pitié aux côtés du plus faible. Mais si c’était à refaire ? À mi-vie, ces trois comètes se rencontrent à nouveau, et c’est la déflagration… « Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir » dit un proverbe qu’illustre ce roman d’une puissance et d’une habileté hors du commun, où la petite histoire d’un triangle amoureux percute avec violence la grande Histoire de notre début de siècle. »

 

Voilà, voilà… Alors, entendons-nous bien. Karine Tuil sort son livre grand bien lui fasse, mais ce que je ne comprends pas c’est la pluie d’éloges dithyrambiques. Ca me pose question. Si ça, c’est « un roman d’une puissance et d’une habileté hors du commun » alors que je n’y vois que clichés et style totalement fabriqué, j’ai comme qui dirait un problème. Ou alors c’est politique : la confrérie des éditeurs et des journalistes littéraires aiment frissonner au rythme de pans de vie de classes sociales qui manifestement lui échappent complètement, je ne sais pas.

 

Même les scénarios des livres de Marc Levy me semblent plus subtils, c’est dire. D’ailleurs, le titre aurait pu être « Et si c’était à refaire ? » n’est-ce pas ?

 

Je ne sais pas qui hurle le plus en moi, la féministe ou la gauchiste. J’hésite.
 

« Karine Tuil qui fait partie, avec cet ouvrage, de la première sélection pour le Prix Goncourt 2013, se distingue par une écriture finement ciselée, l’utilisation opportune de vocables rares et la pratique détournée de notes en fin de page pour le moins originale. Quel souffle ! À lire absolument. » « Ce best-seller ambitieux, acclamé par la critique, est un des romans phares de la rentrée. Il a été sélectionné pour les prix Goncourt, Femina et Interallié. »

 

Sans déconner… Des romans comme celui-ci, c’est simple, on peut en construire des flopées avec un algorithme : tu rentres les grands sujets d’actualité, des catégories sociales, tu fais tourner la roue et hop. Exemple : Dimitro, un rom, (très à la mode le rom en ce moment , il a presque réussi à remplacer le musulman), a emprunté l’identité de Mohamed, un jeune homme de bonne famille qatari (c’est bon, ça le Qatar). Devenu président de l’OM (Marseille est très tendance), Dimitro cherche à retrouver Laetitia, la fille illégitime de Jean-Marie Le Pen (c’est bien le Fn, c’est porteur en ce moment) et militante Femen (Les seins nus, c’est très bien aussi) actuellement en prison en Russie car Wladimir Poutine lui en veut personnellement. Mais Manuel Valls ne l’entend pas de cette oreille car il ne comprend pas que Dimitro ait réussi à s’intégrer. Mohamed est devenu sdf entretemps mais, grâce à une vidéo postée sur youtube, il devient riche et célèbre. Son père, l’émir, le déshérite mais Mohamed s’en fout parce qu’il est libre de jouer de la guitare dans le métro. Scène de fin : il s’enfonce dans la nuit des ruelles des quartiers chauds de Marseille, près de ses « frères » de vie.
 
« TADAN » !
 
A ce compte là, dans le roman de Karine Tuil, ça aurait eu plus de gueule que le juif usurpe l’identité du maghrébin. Il y aurait eu une vraie prise de risques. Ou alors faire en sorte que les femmes, finalement, se sortent de toute cette histoire victorieuses. Je ne sais pas, je ne vais pas réécrire le roman, mais par pitié, à un moment donné, il s’agirait tout de même de ne pas accumuler tous les ressorts dramatiques éculés. Il faut savoir raison garder !

 

J’exagère encore (mais à roman caricatural, réaction caricaturale, non ?) oui, j’exagère, mais il y a de ça dans « L’invention de nos vies ». Sans compter la grande leçon de morale de la fin que je vous épargnerai, je ne vais pas spoiler jusqu’au bout.

 

Bref, je ne comprends pas. Le propos n’est pas de blesser l’auteure, j’imagine qu’elle est sincère dans sa démarche, mais si ce roman gagne le Goncourt ça en dit long et sur le monde de la littérature française et sur leur perception de certaines choses. C’est effrayant. C’est pas loin de me mettre en colère, en fait.

 

11h26 : l’émission du masque et la plume que je suis en train d’écouter résume assez bien l’ampleur du désastre (à 12mn).