Un enterrement, des retrouvailles et une filleule

24 avril 2014 3 Par Catnatt

(Un billet à chaud, à froid, pour ne pas oublier.)

 

L’enterrement de Jérôme, la cérémonie à l’Eglise, Fred à ma gauche, Yvan à ma droite ; mais avant l’arrivée, le trajet en métro, Sébastien Tellier, Miossec, Villagers, tourner dans la rue, apercevoir la foule, faire demi-tour, traverser, chercher Yvan et Sly, faire encore demi-tour, je perds mes moyens, je me sens flancher ; mes deux potes m’aperçoivent et je m’effondre dans les bras d’Yvan : « Deux secondes, s’il te plait, deux secondes…Trouve une connerie à dire ». Sly : « Alors t’as pas mis ton collier de perles ? ». Eclater de rire en pleurant.

 

La cérémonie légèrement décalée par rapport à ce qu’était Jérôme. Je me sens pas à l’aise, moi qui ai quitté l’Eglise catholique en claquant la porte, mais le prêtre aura ses mots : « Qui que vous soyez, quelle que soit votre position vis à vis de la foi, de l’Eglise, vous êtes tous les bienvenus ». Merci. Le fou-rire nerveux qui m’attrape quand je l’entends dire « la vie n’est pas un long fleuve tranquille » et les images du film qui s’interposent. M’effondrer dès que Jérôme est évoqué. Le bébé de Yann que l’on entend babiller ou pleurer tout le long de la cérémonie. La vie quand même.

 

La fin très émouvante ; quelque chose qui ressemble vraiment à Jérôme. Ses potes du Sénégal qu’il aimait tant, présents. Le défilé autour du cercueil pendant que quelqu’un joue de la kora.

 

Sortir de l’Eglise et soudain, tous les voir : Adri, Yvan, Sly, Besé, Yann, Olivier, Dud, Régis, Va, Thierry, Vincent, Djam, Vincent, Jacques, Djé A, Cyril, Sab, Julien, Fred, Romane, Julien, Joao, Tonio, Stan, Juliette, Nina, Caroline, Seb, Cathy, Amélie, Alix, Maud, Arnaud, Vincent, Anthony, Denis, Manue, Maude, Sté, Christophe j’en oublie, forcément, j’en oublie.

 

Dud qui marche vers moi ; dix ans que je l’ai pas vu, je pleurniche dans son épaule, je le sers dans mes bras. Juste avant, Régis. Vous ne savez pas, mais nous le fameux Régis de Canal, on l’avait en vrai : un jour de l’an, ils faisaient tous la fête, Régis a, on ne sait par quel truchement, trouvé judicieux d’ouvrir la porte qui conduisait à la cave, un escalier à pic, dangereux. Il était tellement bourré qu’il s’est cassé la gueule et ils l’ont retrouvé le lendemain matin. Il a été trépané avec ses conneries. Régis était pourtant loin d’être un con, il est sensible, intelligent et tendre, mais voilà il était frappa dingue quand on avait vingt ans. Le voilà entre Adri et moi, vingt ans plus tard. Ca ressemble à plein de moments qu’on a déjà vécu tous les trois.

 

-« T’es célibataire Nat ? Pas de mecs ?
– Bizarrement depuis la dernière fois, je suis bien calmée…
-C’est sûr que… Enfin… T’as pas eu de bol, quoi… »

On se regarde tous les deux et le fou-rire nous attrape. « J’ai fermé le magasin Régis, je suis en liquidation judiciaire ».

 

La voiture des pompes funèbres démarre.

-« Va pas te faire écraser, c’est pas le moment »

Adri et moi, on ricane. « Tu fais dans l’humour noir, toi maintenant ? » Je lui souris tendrement.

 

Des souvenirs de Jérôme qui passent. Lui qui était capable en teuf à deux heures du mat de partir avec Cyril à Londres en scooter avec un casque de ski ; j’aurais donné cher pour voir la tronche des douaniers. Son frère, extraordinaire dans ces circonstances, il tient, je ne sais pas comment il fait, mais il tient ; ma main sur sa joue. Val qui tient encore debout par miracle, un peu absente. Leur dignité à tous les deux. J’aperçois la fille de Jérôme que je ne connais pas et je ne crois pas qu’elle ait réalisé.

 

Yvan me console, je console Fred, Fred me console, je console Adri, on se console tous en deuil d’un humain qui prenait tant de place si vous saviez…

 

La crypte. Laisser un mot. Le café lavasse, du coca et des petits gâteaux.

 

Bertonche, mon premier Olivier. Le prendre dans mes bras, le serrer fort. Je pleurniche à chaque fois que l’un d’entre eux, un peu plus important que les autres arrive près de moi : Olivier, Dud, Régis, mes anciens colocs. « Je suis content qu’il en reste certains de gauche », je souris à Olivier « Tu sais bien que s’il doit en rester une, ce sera moi ». M’expliquer avec Besé : « mais t’es dingue Nat, pourquoi tu m’as pas appelé ?! ». Se faire un câlin. Yann qui demande à voir son filleul, mon fils , Yann inchangé, le chagrin bien planqué qui se conduit comme s’il était en train de négocier Dieu seul sait quoi avec le prince Albert. On le regarde avec Dud et on rigole tous les deux : « Tain mais c’est pas vrai, il arrive à faire des RP même là ! ». Ma petite Alix qui a toujours 12 ans pour moi et qui en a en fait 33.

 

Je m’en défends, mais je les ai tant aimés si vous saviez… Je les aime tant encore maintenant. Une bande de potes pareille où n’importe quel évènement nécessite de la place pour 40, si tu n’as pas eu ça dans ta vie, tu ne sais pas ce que c’est. Elle s’est dessinée dès l’enfance, la maison à Hossegor et puis le 17ème, collège, lycée et les études supérieures, le moment où je débarque, 19 ans, la succursale bordelaise et Nation. La bande des aînés dont je faisais partie et la bande des petits dont Adri faisait partie ; le temps passant les frontières de l’âge s’effacent.

 

On est tous au bar en train de picoler, je suis à jeun, deux verres de blanc, je me sens partir un peu. Les rires fusent, les anecdotes s’enchaînent, presque rien n’a changé ; presque rien. On pourrait prendre une photo de nous tous le 24 avril 2014 et la comparer à un 24 avril 1994, on aurait des rides en moins, l’ambiance serait la même. A peu près… Stratégie d’évitement entre Titia et moi, mais c’est okay. Sly est là « Je te récupère, t’inquiète ».

 

Et Adri. Adri qui me regarde: « J’ai quelque chose à te demander, mais pas tout de suite, la semaine prochaine ». Je sens bien que c’est pas un truc anodin. « Aligne Adri, j’ai pas envie de psychoter sur ton truc pendant une semaine, c’est quoi l’histoire ? »

 

« Tu veux bien être la marraine de ma fille ? Je sais bien que t’es déjà marraine et que tu vas probablement refuser, mais bon… »

 

Je me mets à pleurer. Ca fait vingt ans que j’attends ça : Adri est la marraine de Charlotte, ma fille. Evidemment que j’accepte. Je la prends dans mes bras et on pleure un coup ; de joie ; de peine ; d’émotions.

On trinque, les verres se lèvent :  » à Jérôme ! ». Toute la soirée, je vais dessiner la silhouette de Jérôme, son visage, quelques gestes dans ma tête, je l’imagine souriant à nous voir tous ensemble.

 

J’ai le sourire aux lèvres, je vais être la marraine de la fille de mon amie ; j’ai la larme à l’oeil, j’ai perdu mon pote.
 
Jérôme, mon passé ; Maxine, mon avenir.

 

Un enterrement, des retrouvailles et une filleule ; les choses de la vie.