Je suis Mason, je suis le temps qui passe…

21 février 2015 0 Par Catnatt

Wallpaper-BOYHOOD-be-1366x768
 
Nous avons regardé Boyhood avec les enfants. Pour Charlotte, « c’est pas mal ». De toute manière avec elle, là, on est au summum de l’enthousiasme ; Elisabeth II forever. Mais Baptiste…
 
Baptiste, lui, a rencontré le premier film important de sa vie. Charlotte, c’était « Edward aux mains d’argent ». Quand j’emploie les termes « film important » je fais référence à un impact personnel, quelque chose qui leur parle profondément, quelque chose qui les bouleverse, les retourne. À chaque fois, moi aussi, ça me retourne parce que cela m’apprend quelque chose d’eux, probablement une part manquante, ce que je n’ai pas perçu ou pas voulu percevoir. Edward pour Charlotte c’est une solitude j’imagine, la sensation d’être décalée, un peu hors du monde, étrangère sans mode d’emploi. Elle me le dit régulièrement qu’elle se sent désemparée en soirée, ne sachant pas trop comment se mouvoir avec les autres : « est-ce que toi aussi Maman, tu te sentais seule à ce point-là ? » Oui, ma chérie, je me sentais seule à ce point-là.
 
Baptiste a passé son temps pendant « Boyhood » à dire qu’il était Mason, qu’il serait Mason quand il serait grand. Ce film l’a bouleversé parce qu’il s’est totalement projeté et c’était tellement beau à voir, si vous saviez… Ça dit chez Baptiste un rapport au temps qui passe. Il y a presque trois ans, il voulait l’arrêter, le temps, à présent ça ne l’effraie plus trop, mais il reste une nostalgie, une mélancolie élégante, un vague à l’âme ; doux-amer, sucré-salé. Le réalisateur dit d’ailleurs quelque chose de très juste : « A la fin de Boyhood, Mason a accès à cela : être pleinement dans le présent, être conscient du moment qu’il vit. A 18, c’est un bel accomplissement car on doit bien souvent se battre très longtemps pour arriver à cette simple conscience d’être au monde. » et c’est ça je crois qui tente Baptiste.
 
De Mason, il a aussi les grands yeux clairs et la bouche gourmande, les jeux vidéo et une maladresse, une timidité, rêveur et sensible, les cheveux dans les yeux et les copains. Mes deux enfants ont quelque chose de bancal et je trouve ça bouleversant. Je ne sais pas si je préfèrerais qu’ils soient vierges de drames, la vie aurait pu les épargner un peu plus, j’aurais pu les épargner un peu plus ; mes choix sont devenus leurs conséquences, c’est ainsi. « Il n’y a pas de garde-fous dans la vie » dit Mason Sr. Mes enfants ne le savent que trop bien, les remparts sont fragiles entre soi et la folie des autres et encore plus chancelants entre soi et ses propres fêlures.
 

Et il y a la mère. Je crois que Baptiste a reconnu quelque chose de moi, cette façon d’exposer ses enfants, cette manière de les protéger quoi qu’il arrive et le choix à la fin de rester seule parce que tout ce cirque des relations amoureuses épuise. Est-ce que je vais m’effondrer lorsque mon fils, après ma fille, quittera la maison ? Je ne crois pas. Prise entre sa vie de mère célibataire et sa construction professionnelle, Olivia n’a pas eu le temps de réfléchir à ce qui se passerait après. Dévorée par le quotidien, elle n’a pas anticipé, ce qui n’est pas mon cas.
 

Et il y a le père. Dans « Boyhood » il est présent, irresponsable mais présent ; dans la vie de Baptiste, il est absent. Mon petit garçon m’a regardée et m’a dit « je suis jaloux » lorsque Ethan Hawke joue avec ses enfants. Un « je suis jaloux » dépourvu de colère, de rancoeur, un « je suis jaloux » comme un constat tranquille. J’ai la faiblesse de croire qu’il n’y a plus de fantasme à ce sujet chez mes enfants ; c’est accepté : il n’y aura jamais de week-ends fun, jamais de parties de bowling, de cache-cache, jamais de complicité. C’est trop tard. Sur le moment, si ce genre de choses pouvaient s’acheter, j’aurais dépensé une fortune pour acquérir un père pour mon fils, pour mes enfants. J’aurais rempli ce sac désespérément vide de bonbons et d’anecdotes, d’aires de jeux et de rires, de ballons et de Mcdo. Il n’y a pas eu non plus de beau-pères défaillants. Il y a eu un homme pendant quatre années qui a été gentil avec mes enfants. Baptiste s’en souvient avec tendresse, je crois. Finalement, peu importe ce que traverse Mason, ce ne sont pas les évènements qui sont importants pour mon fils, même si le postulat est le même – mère célibataire avec deux enfants – c’est la personnalité de Mason qui emporte le coeur de Baptiste. Il est son enfance, une part ou toute son âme et l’espoir, une perspective.
 

Je dépose ce billet ici comme tant d’autres pour me souvenir. Lorsque votre enfant rencontre un film de manière personnelle, il faut savoir attraper ce moment et le garder. C’est une indication de leur destin.
 

« Je suis Mason ; je serai Mason Maman ». C’est tout le mal que je te souhaite, mon chéri.
 
MAJ du 21 février 15h38 : je passe devant la salle de bain, je m’arrête, esquisse un sourire. Charlotte se prépare sur la musique du film. Peut-être qu’elle aussi… Qui sait ?
 

« Let me go, I don’t wanna be your hero, I don’t wanna be a big man »