Le vent l’a emporté

24 juin 2015 7 Par Catnatt

Les enfants en 2010

Les enfants en 2010


 
Tu n’es pas venu et je crois que j’ai gagné. Au tribunal ce matin, dans le bureau du juge, j’ai dû expliquer en dix minutes dix ans de vie de mère célibataire et dix ans d’absence de ta part. J’ai pas été très bonne à l’oral. Mais j’étais là contrairement à toi.
 
Tu n’es pas venu et je crois que j’ai gagné. J’aurais une réponse en septembre. Normalement je n’aurais plus de compte à te rendre ; les enfants non plus. La justice française aura acté la réalité de notre situation et tu ne pourras plus nous faire subir tes crises d’autorité parentale. Tu disparais et tu ressurgis, tes droits en bandoulière, tes devoirs à la poubelle. Que veux-tu qu’on pense de toi ?
 
Tu n’es pas venu et je crois que j’ai gagné. Pour quelqu’un qui hurle qu’il a le droit de voir ses enfants, c’est étrange, tu n’es pas venu le 10 février, le 7 avril et ni aujourd’hui le 24 juin. Tu m’as laissée toute seule une fois de plus, une fois de trop face aux responsabilités.
 
J’écris ce texte et je ne suis pas triomphante, crois-moi. Je me demandais en sortant du tribunal pourquoi je ne sautais pas de joie. Ça m’arrange que tu ne sois pas là, normalement. Mais si je voulais gagner, j’aurais probablement aimé que tu sois là uniquement pour que tes enfants sachent que malgré tes absences, malgré tes hurlements, malgré toi, tu étais venu ; tu étais venu pour toi surtout – ton égo monstrueux – un peu pour eux. Mais même pas. Ils resteront avec l’impression d’être des gadgets que tu cherches comme un fou parfois, surtout pas pour leur anniversaire ou Noël, non quand ça te prend, comme une pulsion paternelle chevillée à ton égo, ton égo toujours.
 
Ils ne pourront pas se dire « mon père est cinglé, mais il a vraiment cherché à nous voir ». Non. Ils sont un caprice de ta solitude – et elle doit être terrifiante parfois – et de ta mégalomanie galopante. C’est tout.
 
Et tu sais quoi ? Ça me fait de la peine pour eux. J’ai le triomphe doux-amer aujourd’hui. J’aurais préféré un combat si ce n’est à la loyale, je te connais trop bien pour ça, un combat de faits, mais nous n’avons eu droit qu’à une désertion. Une de plus.
 
J’ai failli t’appeler. J’ai failli t’appeler pour savoir si tu étais au moins sur Paris avant de rentrer dans le bureau du juge, j’ai failli t’appeler en sortant, comme une ultime tentative : savoir si quelque part tu restais le père de Charlotte et Baptiste. Tu n’as jamais été le père de la demi-soeur des enfants. Tu restes seulement, éternellement, le père de A… Tu es resté en 1996 en fait et j’ai fait tout ce que je pouvais pour t’en sortir. Je sais que le mois de juin est difficile pour toi : deux anniversaires, celui de la naissance et du décès de ton premier fils. Est-ce ça qui t’a empêché de venir ? J’en sais rien, je m’en fous, je sais, je me doute. Mon empathie déraille et tu l’as tant épuisée. La date de convocation était en plein dedans. J’aurais mis 9 mois, le temps d’une grossesse pour être entendue et je ne t’ai pas appelé. J’ai renoncé.
 
Tu n’es pas venu et je crois que je n’ai rien gagné. Il ne reste rien ; il ne reste rien du lien. Le vent de tes errances a tout emporté. « Ce parfum de nos années mortes ; ce qui peut frapper à ta porte ». Rien. Non il n’y a plus grand monde pour frapper à ta porte, tu as fait le vide autour de toi et je sais pourquoi. La souffrance lorsque l’on s’en fait un manteau comme un rempart peut devenir toxique et c’est ainsi que l’on bascule de l’autre côté, de victime on devient bourreau. En fin de compte, tes crises de paternité ne sont qu’une fiction que tu te racontes quand la solitude devient insupportable, j’imagine.
 
Il y aura peut-être d’autres retours, d’autres fanfaronnades, mais tout a été liquidé ce matin. C’est la sensation que j’ai ; une lame de fond.
 
Je ne sais pas ce qu’il adviendra de toi, je m’en fous un peu pour tout te dire, ce qui compte ce sont mes enfants puisque ce ne sont plus les nôtres aujourd’hui. J’essaierai de retenir de toi quelques jolis souvenirs, j’essaierai de les transmettre à Charlotte et à Baptiste même si eux aussi commencent à ressembler à une fiction ; les souvenirs pour moi, les enfants pour toi. Nous continuerons comme nous l’avons toujours fait, cette petite famille unie comme tu ne peux même pas le concevoir, ce trio quasi inséparable, ChaBaNat contre le monde entier ; ne t’inquiète pas, le vent nous portera.
 
Tu n’es pas venu et je crois que personne n’a rien gagné à part des coudées enfin franches. Je te souhaite bon vent et je te laisse avec cette chanson que nous aimions tous les deux. Elle était prémonitoire, finalement :
 
« tout disparaîtra ».