Cher Dieu, t’habiterais pas vraiment à Bruxelles par hasard ?

15 avril 2016 10 Par Catnatt

Dieu

Dieu


Cher Dieu,

Ça fait un ptit moment qu’on se fréquente toi et moi et hier soir je me suis demandais si t’habitais pas vraiment à Bruxelles.

Pourquoi Bruxelles ? À cause de ce film que ma fille et moi on a adoré « Le tout nouveau testament ».

On l’a trouvé d’une poésie folle, drôle et grinçant, émouvant et réfléchi. Toujours est-il qu’hier soir comme cela nous arrive de temps en temps, on a discuté toi et moi. Je ne te demande jamais rien ou quasi, pour moi ça marche pas comme ça, les discussions avec toi, enfin mes monologues où je tente d’imaginer tes réponses sont plutôt un temps de recul, de réflexion. Hier soir je t’ai demandé si ça te faisait marrer de me faire galérer comme ça tout le temps. Et qu’évidemment tu avais bien dû ricaner en t’arrangeant pour que ça soit hier, le jour où je suis défaite, en pleine défaite, que j’ai peu dormi et beaucoup pleuré pour qu’évidemment…

Je ne me repose jamais, je suis un genre de François Perrin, j’enchaîne galère sur galère, problème sur problème. Demandez à mes amis, c’est proprement stupéfiant. Je m’en sors toujours, mais mon mode de vie est celui du combat. Je te vois d’ici : règle n° 576943 Nat aura toujours des problèmes de plomberie ; non en fait loi n° 576944 Nat aura toujours des emmerdes ET des problèmes de plomberie, voilà, c’est mieux.

Je me mets à pleurer quand je regarde la vue de chez moi, cet appart perché en plein ciel qui a désespérément besoin de travaux. Ça fait 12 ans que nous habitons là, c’est la maison de la reconstruction, le cocon, la maison de mes enfants. 12 ans de rire, de joie, de larmes aussi. L’école en face, le parc des Buttes Chaumont à côté, Virginie à 10 numéros. Je me mets à pleurer quand j’arpente les rues parce que c’est chez moi. Je suis morte de peur à l’idée d’être mise à la porte avec les enfants, je sais que la dégringolade commence comme ça et que ça n’arrive pas qu’aux autres. Mais je sais aussi que j’ai de grandes chances de m’en sortir, je suis entourée, j’ai un réseau, je suis débrouillarde, je ne suis pas une mère célibataire au smic isolée. Il y a largement pire que moi.

Quand les copains de Charlotte ont appris la nouvelle, ils ont demandé ce qu’allait devenir le canapé ; ce canapé défoncé, ce canapé d’angle ultra confortable, ce canapé où ils ont squatté si longtemps, des histoires de la primaire à celles du lycée. Cet appart qui ne ressemble plus à rien, mal foutu mais qui nous va si bien, tous les potes des enfants l’ont toujours adoré et c’est une part de leur enfance, de leur adolescence qui s’en va avec notre départ. J’imagine qu’il y a eu des premiers baisers, des premières conneries, c’est le lieu des premières fêtes pour eux, c’était le refuge pour l’une d’entre elles, les premières discussions sérieuses, c’est du souvenir. Je me mets à pleurer aussi quand je pense à ça.

Mais je sais aussi que le temps du changement a commencé il y a un petit moment. Rien ne dure jamais. C’est ma fille qui réagit le plus mal au fait que nous soyons foutus à la porte avec un papier d’huissier. À quel moment cela n’a pas traversé l’esprit des propriétaires de passer un coup de fil à leur locataire depuis 12 ans ? D’humaniser tout ça ? Je comprends qu’ils veuillent le récupérer, mais pas de cette façon-là, c’est dégueulasse.

Je sais que c’est un nouveau cycle de vie qui commence, qui a commencé depuis un moment, je le sens, je le respire, je sais qu’il y a de fortes chances pour que ça soit bien, pas parfait loin de là, mais chouette. J’oscille entre espoir et crises de panique et c’est épuisant. Les enfants ont peur aussi. Ma fille surtout, Baptiste, lui, a une aptitude extraordinaire pour fermer les écoutilles. Charlotte a dormi avec moi hier soir, ça faisait une éternité que ça n’était pas arrivé. Mon fils lui s’est borné à me dire « J’ai confiance en toi, tu vas trouver une solution ». Sa foi inébranlable en moi sur ce genre de sujets…

Il faut à nouveau se mettre en mouvement, je crois que c’est que tu essayes de me dire, Dieu ou si tu préfères que je t’appelle comme ça, cher hasard, cher destin. Rien ne dure jamais, c’est ainsi. La vie c’est de la bousculade.

Je ne sais pas ce que j’ai fait pour que tu me bouscules tout le temps, mais je suis sûre d’une chose, c’est qu’à chaque fois j’apprends et je gagne en humanité. Je peux partager avec les autres mes expériences, j’essaye d’apporter de l’aide, je développe mon empathie parce que je peux dire souvent « t’inquiète pas, ça m’est arrivé et je m’en suis sortie ». Je continue à commettre des erreurs, je suis souvent à côté de la plaque. J’essaye… Présentement telle que tu me vois, je suis morte de peur, mais je prends sur moi comme je peux. Ça faisait très très longtemps que je n’avais pas eu peur comme ça, j’avais presqu’oublié cette sensation viscérale qui te prend au ventre et te donne envie de courir dans les rues en hurlant « On va tous mourir ! »

J’aurais préféré me consacrer autre chose qu’à une bataille pour trouver un appartement viable pour ma famille. J’ai fait une promesse et je la tiendrais. Je vais tâcher de mener de front ces deux combats. Je suis morte de peur, toi tu habites probablement à Bruxelles, j’ai peur de ce changement, j’ai envie et je n’ai pas du tout envie de changement, toi ça te fait sourire, tu continues de me pousser dans mes retranchements, mais peut-être que toi et moi, on rira franchement dans un an de cette énième galère qui m’aura amené quelque part, mais toujours sur ce chemin, cette quête de sens, oui, cette éternelle question qui me travaille au long cours :

Est-ce que ma vie a un sens ?