La maison comme un hôtel

17 juin 2018 1 Par Catnatt

Mary Haizlip was the second women in the U.S. to receive her commercial pilot’s license and held the world’s speed record for women for seven years. She was the first woman pilot inducted into the Oklahoma Aviation and Space Hall of Fame circa 1930,Locati

Hier soir, seule à la maison, je souriais. Seule à la maison, je me préparais à diner et je m’apprêtais, pour être honnête, à jouer à Horizon toute la soirée. On repassera pour la réputation.

Seule à la maison, je fumais une cigarette ; j’ai sorti une assiette, une fourchette, un couteau et un verre.

Seule à la maison, je réalisais que c’était le début d’une longue série de soirées où je déciderai du silence ou du bruit, où je donnerai le tempo, l’occupation ou le désoeuvrement.

Mes enfants s’en vont.

C’était la seconde soirée de la semaine ainsi. Charlotte fait sa vie et ne me préviens que lorsqu’elle rentre. J’exagère. Elle me dit toujours où elle est, mais elle n’est plus à la maison. J’y étais habituée depuis qu’elle est partie en Australie. Le changement, c’est Baptiste qui l’amorce et l’achève, il commence à sortir, c’est chouette. Il a quinze ans et quand j’ai commencé à écrire il n’en avait que 5. Je le revois à cette soirée de blogueurs où sans scrupules, je l’avais largué dans les bras d’Audrey. Pardon Audrey, mais j’étais tellement confinée que j’avais besoin d’air.

Mes enfants ont grandi et sur ces pages et dans la vie. Je ne dis pas qu’ils prennent la maison pour un hôtel car justement cette phase est utile. Oui, la maison devient un hôtel pour eux avant qu’elle ne soit plus qu’un déjeuner dominical.

Je l’ai entendu cette expression, vous l’avez entendu, mais au final, je n’ai jamais compris pourquoi c’était si terrible. Cette période que tant de parents vivent mal est nécessaire avant le départ. Il faudrait le voir comme une transition nécessaire et non pas une épreuve subie.

J’aime qu’ils prennent la maison pour un hôtel parce que ça me laisse le temps de m’habituer à leur absence. Leur absence… Rien que de l’écrire c’est étrange, ils ont été tellement là, trop là. Ça se dit trop là ? Oui, lorsque l’on est mère célibataire sans répit. Et lorsqu’ils ne seront plus assez là ?

Ces soirées seule à la maison arrivent au moment où je peux constater que je n’ai pas fait trop de la merde avec eux. Charlotte a été admise aux Gobelins son rêve depuis toujours. Il suffit juste de trouver une entreprise qui l’accepte, elle la première année. Et Baptiste a déjà son brevet, les examens qui arrivent ne sont là que pour une mention. Il m’a récolté le maximum de points sur Afflenet, il ne pouvait pas faire plus. Ma sourde angoisse de ne pas savoir ce que je fabrique exactement avec eux depuis 15 ans s’apaise. Le vertige d’avoir à structurer 2 êtres humains ; de la matière pas si malléable que ça, pilote sans heures de vol, architecte, sans diplôme ni permis, d’une structure en perpétuelle construction.

Au McDo, j’ai regardé mon fils et je lui ai dit : j’arrête de dîner avec toi, ça finit par me coller des angoisses. Je pose sans arrêt les mêmes questions et j’obtiens inévitablement les mêmes réponses, je meuble, je comble, je porte à bout de bras. J’arrête.

C’était brutal. Baptiste ne s’est jamais vraiment habitué à ma brutalité, Charlotte s’en est accommodée et l’a même adoptée, mais Baptiste, oh non, ça le heurte à chaque fois. Il se replie, recule là où je ne peux plus l’atteindre. Je ne me suis jamais vraiment habituée au silence de mon fils, ce qui pourrait passer pour de la désinvolture, ses je ne sais pas comme une litanie ancestrale. Ça me heurte à chaque fois.

Il a crié. Il m’a criée dessus. Je me suis arrêtée net. J’ai baissé la voix immédiatement. J’ai dit ok, j’ai dit je t’écoute. Tu es venu t’excuser une demi-heure après, tu n’avais pas besoin de t’excuser, tu étais à bout. Je t’ai dit que c’était bien aussi que ça sorte. Baptiste est d’une gentillesse folle, d’une douceur discrète. Je ne sais pas faire avec la douceur, je le suis rarement, ou si, lorsque l’autre en a vraiment besoin. Baptiste est doux et distant, secret et sensible, ce que j’étais il y a fort longtemps. J’avais presque oublié.

Il a menti pour me protéger de son chagrin.
Mon fils m’a protégé de son chagrin pendant des mois et ça me brise le coeur ; c’est le sien qui était brisé par sa première peine de coeur.

Après le McDo, Baptiste est devenu plus accessible, je crois que ça l’a choqué que j’avoue mes angoisses vis à vis de lui, qu’il réalise que son silence finissait par détruire notre relation à petit feu. J’ai réalisé qu’ignorer une immense partie de la vie de mon fils sans qu’il me laisse le moindre accès n’était pas forcément le signe annonciateur de la catastrophe. On s’est reconnecté, le fil est ténu, mais bien là. On a vite fait de perdre ses enfants. Ce n’est pas comme avec Charlotte où tout reste globalement fluide ; nous avons entamé cette longue conversation il y a 19 ans et elle n’a jamais cessé. Baptiste, c’est la parenthèse, une ponctuation, des ponctuations en cet amour silencieux. Nous nous sommes reconnectés et je crois que tout ira bien.

Je n’ai plus forcément besoin que quelqu’un me dise que tout ira bien. Je me le dis toute seule.
J’ai grandi.
Eux aussi.

Seule à la maison, je me préparais une pizza, buvait quelques gorgées d’un vin rosé et je souriais. Seule à la maison, je me disais que je me débrouillais pas trop mal pour négocier avec la vie. Seule à la maison, je pensais à mes deux enfants, ma conversation et mon silence, ma force et ma fragilité.

Seule à la maison, étrangement, j’entrevoyais plus ce qu’ils deviendraient… que ce qu’ils avaient été.

Est-ce ainsi que l’on sait qu’ils ont vraiment grandi ? Leur absence à leur enfance ? Et la maison comme un hôtel ?

Seule à la maison, j’y souriais.