Quand les féministes se trompent de combat. #DSK

24 mai 2011 82 Par Catnatt

Gen. Jones' "FORWARD"--suffragettes

J’ai refusé de signer la pétition de « Osons le féminisme » et ce pour plusieurs raisons.

 

Sur le texte, en lui-même, j’étais d’accord, les propos qui ont été tenus cette semaine, dans un contexte d’hystérie quasi générale, révèlent une certaine misogynie.

 

Mais j’ai quand même refusé.

A cause du titre : « Quand les élites se lâchent, les femmes trinquent ». Les femmes ont subi cette semaine des propos d’un machisme confondant. Caricatural. Le titre de cette pétition est du même niveau. C’est caricatural. Tout le monde est dans le même panier. J’ai refusé de la signer pour une seconde raison. Cette pétition ne fait, à aucun moment, allusion au fait qu’il est important de porter plainte. Elle envoie encore et encore le même signal : « nous, les femmes nous avons raison d’avoir peur, regardez ce que les hommes disent. » . Il n’y a pas le début d ‘un commencement de pédagogie.

 

Ce n’est pas le fait que quatre crétins aient sorti des âneries qui est important. On s’en fout, c’est de la connerie jetée au vent. Ce qui compte, c’est que la voix des femmes qui ont été violées ou agressées n’est pas entendue. Et elle n’est pas entendue, parce qu’elles ne parlent pas. Croyez-moi que si nous étions dans la réalité en France, par l’existence de plaintes quasi-systématiques, il n’y aurait quasi plus de dérapages sans déclencher l’opprobre.

 

Je ne sais pas les phrases malheureuses que l’entourage peut sortir après un viol. Je ne sais pas la maladresse des policiers. Je ne sais pas leurs éventuels préjugés machistes. Je ne sais pas ce que c’est de répéter 4 fois le même témoignage pour que, enfin, on vous prenne en considération. Je ne sais pas ce que c’est que de se faire traiter de mythomane. Je ne sais pas ce que c’est d’être rejetée alors qu’on est victime. Je ne sais pas la honte, l’humiliation que cela engendre d’être examinée médicalement, psychologiquement. Je ne sais pas la terreur qui peut s’emparer de vous quand vous êtes face à votre violeur ou votre agresseur lors d’un procès. Je ne sais rien de tout cela. La seule chose que je sais, c’est que seule la plainte a un impact ; la douleur, la souffrance percute enfin la société.

 

Une femme de chambre a eu le courage de porter plainte. En France, à l’heure actuelle, alors que tout le monde se répand en anecdotes, et des « J’ai lu », « J’ai vu », « J’ai entendu », il n’y a aucune plainte. Il y a quelque chose qui s’appelle un commissariat de police et sans qu’il y ait plainte, il y a un autre truc qui s’appelle « la main courante ». Ce n’est pas comme si la loi n’était pas du côté des femmes en France, c’est qu’elle n’est pas utilisée.

 

Pourquoi n’est-elle pas utilisée ? Parce que les femmes ont peur. J’entends. Peur de ne pas être crue, peur de ne pas être entendue, peur de subir des représailles. Sauf, que moi on peut m’expliquer jusqu’à demain que le comportement des hommes doit changer de lui-même, je reste convaincue que ça n’est pas possible, sans que la loi s’en mêle.

 

Ca n’avancera que si les femmes cessent d’avoir peur. Tristane Banon ne portera pas plainte parce qu’elle A PEUR d’être instrumentalisée par la justice américaine soi-disant. On ne s’en sort pas.

 

Même les féministes y vont de leur discours communément admis sur le sujet. Qui dit peur, dit victime potentielle. C’est mathématique. Tenir ces propos est anti-constructif au possible. Tant que ce sera l’argument principal, la conséquence sera immédiate : il y a frayeur, donc il y a moyen d’obtenir ce que l’on veut par la violence, qu’elle soit de l’ordre du harcèlement ou du viol, voire du meurtre, et certains hommes continueront d’agir en tout impunité. Quelque part, aussi dérangeant que cela puisse paraître, il y a une forme de cautionnement par un discours qui se saborde lui-même vis à vis de ce qu’il cherche à combattre.

 

Il y aurait 75 000 viols par an en France d’après la pétition qui circule en ce moment. Seuls 8000 sont officiels. Imaginez une France où les policiers auraient à traiter 75 000 plaintes pour viols. Ne croyez-vous pas que les choses bougeraient vraiment cette fois-ci ? A chaque fois que j’ai eu vent autour de moi de ce genre d’affaires, ma réponse a été la même. On porte plainte. C’est difficile d’en parler, je le comprends, mais c’est le seul moyen. La loi est là pour faire avancer les choses. Parce que même si cela n’aboutit pas, le chiffre est rentré dans les statistiques. Cela créera débat fatalement.

 

Il va falloir que les femmes se responsabilisent elles-mêmes, envisagent le problème de manière globale, et agissent en fonction d’une seule chose : ça m’est arrivé, je dois le faire exister pour qu’aucune autre femme n’en soit victime. En ne bougeant pas, nous contribuons à maintenir un climat propice à ces actes, nous nous maintenons dans un genre d’infantilisation. Nous sommes en France. Pas dans un pays où la police serait corrompue au dernier degré. Nous sommes à l’ère d’internet. Nous sommes dans un pays où vous pouvez vous présenter dans un commissariat et vous faire prendre en charge par l’institut médico-légal. Nous ne sommes pas des femmes vivants dans une contrée où il n’y a aucun recours. Faut se réveiller là !

 

Vous savez ce que j’aurais préféré moi comme appel ? Au lieu de faire du sensationnel avec des titres provocateurs dans des médias, ce qui ne fera rien avancer, puisque c’est précisément ces sphères-là avec les politiques qui sont mises aussi sur le ban des accusés accessoirement ; J’aurais largement préféré que nous demandions cette semaine à toutes les femmes qui ont été violées, ou ont subi des violences sexuelles (en tenant compte, hélas du délai de prescription) de se présenter dans un commissariat de police. 75 000 par an ? Imaginez les milliers de femmes débarquer pour porter plainte ? Toutes ensemble. Solidaires. Des visages, des histoires, des victimes de violence incarnées ?

 

Je suis convaincue que cette démarche aurait eu bien plus d’impact. Parce que, in fine, au même titre que par absence de photos, de vidéos, de propos, Ophelia reste malheureusement un concept, avec cette pétition, toutes ces femmes violentées vont aussi rester un concept. Une idée.

 

Une idée à laquelle on pense beaucoup cette semaine, mais qui d’ici un mois, sera mise en arrière-plan. Le 8 mars dernier, beaucoup de ceux et celles que je vois s’énerver après le machisme aujourd’hui, ont expliqué que la journée des droits de la femme les ennuyait. Rue 89 en avait même fait via twitter un argument de visite sur leur site. « Nous n’avons pas traité ce sujet, venez ! ». S’il existe une journée des droits de la femme, c’est que ceux-ci ne sont toujours pas respectés et je vais faire bondir tout le monde, mais y compris par les femmes, car elles ne les utilisent pas !! Du moins rarement.

 

Je comprends les difficultés psychologiques, je comprends le traumatisme, je comprends tout ce que l’on veut mais je n’arriverais jamais à me faire à l’idée que la large majorité, 90%, reste cachée, morte de trouille. Je trouve ça révoltant. J’aimerais que les femmes se révoltent !

La loi a été un premier garde-fou et a contribué à faire peur aux hommes violents. La plainte sera un autre moyen et il ne faut pas hésiter à s’en servir. Faire bouger les lignes. La peur est le principal ennemi de la femme en définitive.

 

Mais comme me le faisait très justement remarquer M. Wyler, une copine : « j’entends bien tes critiques sur les femmes et leur silence, mais l’interrogation au delà est l’absence de moyens des politiques publiques et des associations à qui elles sont déléguées. Les directives d’accueil en milieu hospitalier et par les forces de police existent mais leur application est aléatoire, le plan de lutte contre les violences débuté en 2005 c’est achevé en 2010, pas de trace sur le site du ministère d’un renouvellement. ou d’une évaluation de ce plan. Le rôle de la société civile en cette année de campagne serait d’interpeller les candidats et de leur demander ce qu’ils comptent mettre en place comme politique publique et avec quels moyens. Quand les femmes victimes de violences se sentiront en sécurité elles parleront. Ce n’est pas le cas. »(Voir ici)

 

Deux évènements se pulvérisent l’un contre l’autre. La seule qui aurait pu éventuellement porter plainte, Tristane Banon ne le fait pas, et les féministes se rassemblent au nom de la peur et du machisme. C’est ceci qui est devenu important, pas le fait d’inciter à porter plainte ou interpeller le gouvernement sur les chiffres de la violence faite aux femmes. Je suis sidérée qu’elles ne se rendent même pas compte de ça.

 

Avec cette pétition, elles se sont trompées de combat. Le machisme s’arrêtera quand les femmes n’auront plus peur et auront les moyens de ne plus avoir peur.

 

(J’ai enfilé mon gilet pare-balles, allez-y 😉 )


MAJ de 10:53 On m’a fait justement remarquer que j’avais mis moi aussi toutes les féministes dans le même panier. C’est vrai. Je n’ai pas rectifié le texte dans un souci d’honnêteté mais Celina a raison.

 

MAJ de 13h34 Je réfléchis. Je réflechis surtout aux commentaires de Arbobo. J’aurais peut-être du signer cette pétition. Je peux toujours le faire, remarquez. Mais il y a tout de même quelque chose qui me dérange profondément. En fait Arbobo a raison, je la trouve insuffisante. Je n’ai rien contre, et surtout pas contre son contenu, juste que ça ne va pas assez loin. Après deux écoles  s’affrontent en fait, et non l’une  ne doit pas se plier à l’autre, elles sont complémentaires. Il y a ceux qui pensent qu’attaquer les propos machistes des gens médiatisés peut libérer la parole des femmes et si, de telles phrases ne sont plus prononcées, les femmes auraient moins peur. Et il y en d’autres, comme moi, qui pensent qu’il faut affronter, en dépit de réactions machistes. Aller au carton, en fait. Si les deux pouvaient arriver en même temps.

Je reconnais que j’ai peut-être été trop rentre-dedans.

 

MAJ du 25/05/11  13h38 Menilmuche m’a fait part de cet article dans le Parisien concernant Tristane Banon. http://you.leparisien.fr/actu/2011/05/24/pourquoi-tristane-banon-ne-portera-jamais-plainte-contre-dsk-8547.html