Qui me dira « tout ira bien » ?

9 mai 2013 20 Par Catnatt

 

Seine net fishermen: Sarasota, Florida

 

Il y a quelques années, j’avais écrit ce texte sur mon père chez Mr Olivier (Chanson pour danser éternellement avec mon père), prémisse de ce que je savais inéluctable : mon père vieillit.

 

Ca n’a l’air de rien comme ça mais c’est tout de même très étrange de voir ce « Dieu indestructible » pour moi redevenir humain, trop humain. Il m’appelle quatre à cinq fois par semaine, la plupart du temps pour des questions à la con mais je sens bien que ce qui se joue vraiment n’est pas là. Les rôles se sont inversés. C’est moi qui le rassure, c’est moi qui le console, c’est moi qui lui murmure « Tout ira bien Papa ».

 

Qui me dira « tout ira bien » ?

 

Mon père n’a plus la gniaque, je ne sais comment exprimer autrement cette intuition. Ca ne veut pas dire qu’il ne va pas bien, ça signifie simplement que je le sens légèrement décrocher de la vie. Et dire que je pensais qu’il était le genre de personnes à enterrer tout le monde autour de lui…

 

Oh Papa est loin d’être un saint. Il y a des tas de choses dont je ne parle pas à son sujet. Des vieux comptes à régler, en suspens, entre lui et moi. Des choses dont j’ai cessé d’espérer qu’on puisse les mettre sur la table sereinement sans créer de séisme familial. Et cette tempête, je n’en ai plus envie. Car si mon père a été un parent défaillant par moments, je lui reconnais une chose, c’est d’être devenu un formidable grand-père pour les enfants : un référent masculin particulièrement casse-couilles, à qui je pardonne ce que je ne pardonnerais à personne d’autre mais toujours à leurs côtés quoi qu’ils fassent. Mes enfants n’ont jamais été punis par Papa. Il leur trouve toutes sortes d’excuses touchantes. Et je les regarde vivre tous les trois, entre matchs de rugby, premières leçons de golf et réflexions sur la présence envahissante du « zinzin » (l’ordi).

 

Pendant ce temps-là, on me, je me positionne comme chef de famille. Je suis devenue – un peu grisée au début, écrasée par la suite – le pivot qui fait tourner cette famille « italienne », sanguine et passionnelle à peu près rond. En tout cas, le peu qu’il en reste…

 

Et malgré tout ce qu’il a pu faire et surtout pas fait, il est hors de question que mon père ressente la moindre solitude pendant sa vieillesse. Tant pis, s’il m’appelle au bureau n’importe quand, tant pis s’il me traite de gauchiste enragée et d’aveugle, tant pis s’il m’ignore quand on discute en famille d’économie. Je reste l’éternelle adolescente rebelle à ses yeux. Papa me fête mon anniversaire mais ne compte plus les années depuis longtemps : sa surprise quand je lui dis, au détour d’une conversation, que j’ai 42 ans. Et oui…

 

Je veux que mon père sache que je suis près de lui comme il a été à mes côtés (et reste encore, à sa façon, maladroite et matérielle). A 82 ans, il reste encore en colère après sa mère qui ne lui a jamais appris à exprimer ses émotions ou manifester son affection. Il en rêve encore. Il en cauchemarde encore. C’est fou ! On ne se remet jamais vraiment de son enfance, hein…

 

Mon père est un homme bourré de défauts, qui s’est planté au sujet de sa famille un paxon de fois. Il est comme la plupart de ces gens qui ont vécu la guerre, envoyé chez les jésuites, à qui on a expliqué que s’ils ramenaient un salaire à la maison, c’était suffisant. C’est un mec de devoir. Je crois qu’il m’a transmis ça. Et c’est précisément pour ça, même si ça me bouffe, que je lui accorderai attention et affection tant qu’il en manifestera le besoin.

 

Je me pose des questions que je ne me posais pas avant : que faire s’il se retrouve trop diminué et obligé d’aller en maison ? Le laisser à Béziers près de ses amis ? Le rapprocher de nous ? On est loin d’en être là mais il n’a plus la gniaque… Je le sens fragilisé. Il se fait hospitaliser pour quatre jours (de simples examens) et je suis loin. Trop loin…

 

Je ne veux pas que mon père se sente seul. Je refuse ça parce que la chose qui me terrorise le plus, et avec laquelle je suis obligée de négocier, c’est que mon père ne sera plus là un jour. La perspective d’être « orpheline » me tue.

 

Qui me dira « Tout ira bien ? »…

 

Et si la dernière chose que je peux faire pour lui, c’est de l’entendre rouspéter après Hollande et ces socialos-communistes et d’autres choses nettement plus borderline, ou me répéter pour la 150ème fois la même anecdote ou subir ses petits arrangements avec la vie, je le ferai. Papa est insupportable mais je l’aime.

 

Sa part de lui en moi…

 

On a tous auprès de soi un référent(e), plus âgé(e) dont on sait que si l’on se retourne juste avant d’avancer, juste avant de choisir, juste avant de nous élancer, l’on sait que cet être humain sera derrière nous, souriant et réconfortant, râlant parfois, mais oui, derrière nous, quoi qu’il arrive et dont on entend la voix nous rassurer, même s’il doute en son for intérieur, mais nous rassure quand même, oui, quoi qu’il arrive : « tout ira bien ». Une personne dont on sait que même si elle n’est pas d’accord, elle sera là pour nous récupérer ; l’inconditionnalité, cette notion fondamentale qu’une famille est censée porter malgré les clashs, malgré les mesquineries, malgré la vie.

 

C’est ce que je tente d’offrir à mon père : une inconditionnalité… Je veux qu’il sache, qu’il soit certain, que quoi qu’il arrive et jusqu’au bout,  s’il se retourne, je serai là. Quoi qu’il m’en coûte.

 

Voir vieillir ses parents dans une société qui fait semblant d’ignorer que la mort existe est extrêmement compliqué. On nous vend des séniors performants jour après jour mais la vérité, c’est que le couperet tombe fatalement. On les regarde un beau matin, on sent qu’ils ont perdu leur ressort : cette pulsion de vie qui offre une éternité illusoire. On rentre dans le compte à rebours.

 

Il faut savoir le voir et en profiter. Savourer le fou-rire partagé, la confidence d’un ancien enfant devenu un vieux monsieur, les souvenirs évoqués, l’histoire de Marius et l’orphelinat de Jeanne, les regrets et les remords, le sous-marin de Pascal et le bateau de Guy : la vie d’un homme…

 

Qui me dira « tout ira bien » ?