Le trolling de locataires existe

8 août 2013 12 Par Catnatt

 

Laundry opening Creator: Adolph B. Rice Studio Date: June 18, 1955

 

Je vais vous raconter une histoire vraie. Bon, comme ça, ça fait un peu Pierre Bellemare, mais cette anecdote m’a fait hurler de rire pendant 48 heures.

 

Une femme que je connais loue un appart en Espagne. Ils sont six personnes en tout. Cette femme est un peu maniaque, son kif, c’est de faire des machines de linge. Donc le lave-linge est un truc fondamental pour elle, tu vois ?

 

Son totem se situe dans la salle de bains. Les toilettes aussi. Là, tu te dis « mais pourquoi me raconte-t-elle tout ça  la mère Catnatt, j’en ai rien à branler ! ». Je sais mais si je ne te situe pas le contexte, tu ne pourras pas saisir toute la descente aux enfers qu’a connue cette personne…

 

Le premier jour vu que son ex s’est pointé avec 25 chemises et 6 pantalons sales (non, là, je ne te préciserai pas pourquoi son ex est dans les parages) (pourquoi cet homme a fait ça, ça reste un mystère irrésolu. L’envie de faire chier ?), cette femme que pour plus de commodités nous appellerons Victoire, se lance dans son activité favorite même si elle pense là tout de suite que son ex est vraiment un gros con (non, n’insiste pas, je ne te raconterai pas). Elle met donc du linge dans la machine, sélectionne un programme et appuie avec conviction sur le bouton marche. Précision importante : le lave-linge démarre effectivement. Elle sort de la salle de bains.

 

Quelques heures plus tard, ils reviennent, Victoire va s’occuper de sa lessive et constate avec dépit qu’elle n’est pas terminée. Ca fait tout de même trois heures ^^. Elle ressort de la salle de bains. Elle se dit que ça se trouve, la machine vit à l’heure espagnole donc elle décide de revenir plus tard. Vraiment plus tard… Pour autant, le mystère reste entier puisque ENCORE quelques heures plus tard, Victoire constate avec déception ( tu noteras la variété des émotions de l’héroïne) qu’elle n’est TOUJOURS pas terminée. Victoire décide de passer outre, ouvre ce satané truc, le linge n’est pas essoré. Tant pis, elle le fait à la main. Elle observe la machine : pleine de bonne volonté, elle se dit qu’elle a l’air bien petite et que ça se trouve elle a mis trop de vêtements.

 

Le lendemain, elle décide de lancer une autre machine mais avec trois culottes, un pantalon et deux chemises. Elle sélectionne un programme et appuie avec conviction sur le bouton marche. Précision importante : le lave-linge démarre effectivement.

 

Ils partent l’après-midi entière. Quand elle revient, elle se précipite dans la salle de bains, c’est vrai quoi, ça l’angoisse ce truc de la machine.

 

La machine n’est toujours pas terminée…

 

Victoire, à ce moment-là, connaît un vrai moment de solitude. « Pourquoi ? » Perplexe, elle se dit que ça se trouve, il faut qu’elle remette de la lessive et de l’adoucissant parce que ça se trouve la quantité de produit aide la machine, ça doit être espagnol comme truc. Victoire ne réfléchit plus, elle est désespérée. Elle remet ça. Elle décide de surveiller la chose. Elle rentre à maintes reprises dans la salle de bain, parfois brusquement pour prendre en flag le lave-linge en train de rien foutre (les machines espagnoles, ça doit être comme les chats, des branleuses), parfois elle se colle à la porte, respire doucement et ouvre très discrètement (le reste de la famille l’observe perplexe) et à chaque fois le constat est le même :  le lave-linge fait du bruit démontrant par là-même qu’il effectue un cycle. Victoire passe sa soirée à faire ça parce qu’entre elle et cette foutue machine, c’est devenu personnel. D’ailleurs, on ne va pas se leurrer, Victoire à ce stade de l’aventure fait du racisme anti-hispanique. L’adversité, ça rend les gens moches, que voulez-vous que je vous dise…

 

Au bout de trois heures et demi, la machine est terminée. Il est 23h30.

 

Victoire danse la danse de la joie autour du lave-linge.

 

Le lendemain, confiante, pleine d’espérance et souriant à la vie, Victoire décide dans un instant de délire de faire une autre machine. Je rappelle qu’ils sont six personnes dont trois enfants, autant dire que ça dépote niveau conso de fringues surtout par temps de canicule. Victoire est acculée comme qui dirait. Elle fait les choses soigneusement, elle met trois maillots de bain, une robe et deux chaussettes, triple les doses de lessive et d’adoucissant – on sait jamais, ça accélère peut-être le processus, plus tu mets de produits, plus la machine est contente, va savoir. Victoire n’ose pas appuyer sur le cycle rapide, ça pourrait vexer la bête, Victoire A PEUR OKAY ?! Les espagnols, c’est susceptible, tout le monde le sait  – et  elle parle à la machine pour maintenir le dialogue fragile qui s’est établi entre elles. Elle sélectionne un programme et appuie avec conviction sur le bouton marche. Précision importante : le lave-linge démarre effectivement. Elle sort de la salle de bains.

 

Victoire va à la plage. Elle se sent comme une femme libre, indépendante, épanouie. Elle secoue ses cheveux dans le vent et s’élance dans les vagues. Victoire est heureuse, si elle pouvait elle lancerait des colliers de fleurs au monde entier. Elle rentre à la location. Elle se met Robin Thicke « Blurred lines », esquisse quelques pas de danse gracieux, avance en shakant son booty vers la salle de bains, « I know you want it » chante-t-elle pour le lave-linge.

 

La machine n’est toujours pas terminée.

 

C’est le coup de massue :  la machine est encore en cours de cycle, elle fait son petit ronron agaçant, la connasse.

 

Victoire louche vers un marteau. Elle a des envies de meurtre. Elle hésite entre son ex-mari et le lave-linge. Ou peut-être Robin Thicke. Victoire traverse certaines phases du deuil : le choc, le déni, la colère et le marchandage (avec un lave-linge donc…), la tristesse et finalement la résignation (On n’en est pas encore à l’acceptation et à la reconstruction, ça ne fait que trois jours qu’elle est dans la place hein…). Victoire finit par sombrer dans la dépression, elle a besoin d’être dans le noir, elle appuie sur l’interrupteur, se laisse glisser sur le carrelage, entoure ses genoux de ses bras et sanglote.

 

Quand soudain, un truc l’interpelle…

 

Où est passé le ronron ? La machine ne tourne plus…

 

Oh bordel….

 

Est-ce que…

 

J’y crois pas…

 

Naaaan…

 

Quelqu’un pourrait être assez malade pour…

 

(Je ne sais pas si tu as déjà vu OSS 117, la scène du poulailler avec l’interrupteur on/off ?)

 

Victoire se redresse.

 

Victoire appuie sur l’interrupteur.

 

Ronron.

 

Victoire réappuie.

 

No ronron.

 

Appuie. Ronron.

 

Reappuie. No ronron.

 

Victoire a envie de tuer le propriétaire en fait et peut-être quand même son ex-mari tant qu’on y est, oui, le propriétaire, celui qui a décidé, on ne sait pas pourquoi, de relier l’alimentation électrique du lave-linge à l’interrupteur de la lumière de la salle de bains (aussi surnommé je l’ai appris entre temps, « branchage à l’espagnole »). Les enfants ont été un peu étonnés quand Victoire hurlait à chaque fois qu’ils allaient aux toilettes « PUTAIN ! Je t’interdis d’éteindre la lumière ! Touche pas à l’interrupteur, ptit con ! »

 

Mr Olivier a eu une définition pour ça quand je lui ai raconté cette histoire (que j’ai un peu romancé hein… Victoire n’a pas dansé sur Robin Thicke par exemple) : ça s’appelle du trolling de locataires. Je ne sais pas si on imagine le nombre de gens qui ont du devenir fous avec cette connerie ! Victoire a mis trois jours en vrai avant de percuter.

 

Et Mr Olivier d’imaginer un appart entier conçu de cette façon avec webcams intégrées… Comme je suis perverse, je rajoute l’option « mise en pause reliée aux ouvertures et fermetures des portes », on va rigoler.