L’écologie des sentiments (the waves)

2 novembre 2018 0 Par Catnatt

School girls with puppies at the municipal girl’s school in Söderhamn, Hälsingland, Sweden

Ça fait un petit moment que ça me travaille, cette notion, l’écologie des sentiments. Ce qui va suivre est probablement brouillon, inabouti, superficiel, mais je crois vraiment que pour un court moment, ce serait intéressant de pousser la logique jusqu’au bout quitte à rejoindre l’absurde.

On est tous plus ou moins d’accord que l’écologie est nécessaire avec tout ce que cela comporte : développement durable, tri des déchets, dépollution de notre environnement etc. Ceux qui sont contre ont au moins pour eux une logique implacable et destructrice et une aptitude au déni qui me laisse pantoise, mais ma foi, que voulez-vous que je vous dise…

Je fais ce que je peux au quotidien pour tenter de préserver mon environnement. Je pourrais faire plus et mieux. Mais j’ai la faiblesse de croire que je n’ai pas l’écologie à géométrie variable et que je tente de l’appliquer aussi aux sentiments depuis quelques années. J’ai échoué bien des fois : par égoïsme, lâcheté, facilité. Après tout je ne suis qu’un être humain. Mon horizon est cependant constitué de principes auxquels je crois fondamentalement.

Ce serait quoi l’écologie des sentiments ?

Peu ou prou appliquer les principes de cette idéologie à nos interactions affectives car :

Tout est affectif.

Tout est personnel.

Tout est politique.

Lorsque l’on dit que l’argent et le sexe font tourner le monde, je suis toujours perplexe car je crois que ces deux-là ne sont que des problèmes de forme, des manifestations tandis que le problème de fond reste irrésolu : le manque d’amour. Nos décisions les plus absurdes sont toujours liés à ce vide qu’il soit réel ou fantasmé.

Mais pour revenir à l’écologie des sentiments, par exemple, quand je lis les dix principes de la charte de l’environnement en France (2005), si je le tourne vers nos relations, ça pourrait donner ça :

« Art. 1er. – Chacun a le droit de vivre dans un environnement affectif équilibré et respectueux des émotions.
« Art. 2. – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration du bien-être affectif de tous.
« Art. 3. – Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter au bien être affectif ou, à défaut, en limiter les conséquences.
« Art. 4. – Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause au bien-être affectif des autres, dans les conditions définies par la loi.

etc etc

Même le Boutan qui a érigé le bonheur national brut en principe n’évoque pas la sphère émotionnelle comme critère. Et pourtant…

Je rêve, vous me direz. Évidemment. Mais je ne vois pas trop comment on peut sauver cette planète sans s’interroger aussi sur nos interactions affectives. Quelqu’un qui est maltraité psychologiquement que ce soit au travail ou dans sa vie personnelle, par son supérieur hiérarchique ou son père, sa soeur, allez pourquoi pas son enfant ne peut pas vraiment respecter le vivant alors qu’il opère pour sa propre survie psychique. Idem pour le maltraitant. Et je trouve que certaines personnes écologistes convaincues font vite l’impasse sur leur propre comportement avec les autres.

Il ne s’agit pas de tous devenir une espèce de Jésus (remplacez ce symbole par ce qui vous convient) au quotidien. On en est extrêmement loin, moi la première. Mais ça pourrait devenir un idéal. Penser l’écologie sans tenir compte de la sphère privée, c’est croire à tort que tout se résout aux apparences finalement. Étrange, non ?

Par exemple quand on parle de développement durable, on évoque généralement une exploitation intelligente et raisonnable des ressources. Nos sentiments sont-ils une ressource ? Pour moi, c’est limpide. Sans sentiments et par là-même sans empathie, point de siècle des lumières, point de déclaration des droits de l’homme. L’empathie c’est le début de notre chère (à mon coeur) devise : liberté, égalité, fraternité. L’empathie c’est le moteur de l’écologie, c’est penser au delà de « après moi le déluge », c’est penser l’autre. Nos sentiments sont une ressource inépuisable de progrès.

Qu’est-ce que l’empathie ? « L’empathie est la reconnaissance et la compréhension des sentiments et des émotions d’un autre individu, et aussi, dans un sens plus général, de ses états non-émotionnels, comme ses croyances. » Respecter le vivant est impossible sans ce point de départ. Respecter et protéger les animaux passe par leurs « émotions » – je ne sais pas si je dois mettre des guillemets; on ne torture pas les animaux, on ne les abandonne pas. En principe. De grandes campagnes ont été diffusées sur le sujet. Il est intéressant de constater que par contre on peut abandonner ses enfants et leur mère sans que pour autant on fasse des spots publicitaires à ce sujet. Pourquoi ? 2 millions de mères célibataires en France… Alors sans comparer ces femmes à des animaux (comprenez bien que ce n’est pas le propos, j’en suis une hein…) il est considéré comme finalement acceptable de les abandonner. Pourquoi ?

Est-on vraiment certain que c’est Benji qui va être abandonné ?

Ce serait quoi le développement durable affectif ? Si je prends la définition de l’AFNOR et que je la plie à mon parti pris, ça donnerait un équilibre dans la satisfaction des besoins essentiels affectifs qui passerait par l’ empathie, le respect, la verbalisation et l’écoute sans que pour autant ça condamne qui que ce soit à une situation fixe. On a le droit de ne plus aimer, on peut partir bien sûr, mais on peut s’attacher à l’article 3 : « prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter au bien être affectif ou, à défaut, en limiter les conséquences.« 

Acheter vos oeufs bio produits par des poules élevées au grand air. Des animaux vivant dans un environnement sain, spacieux, au grand air seront meilleurs à consommer. Poussons jusqu’à l’absurde : pourquoi ne nous posons pas vraiment la question au sujet des humains ? Des personnes vivants dans un tel environnement ne seraient-elles pas beaucoup plus productives ? Puisque le fin mot pour l’un comme pour l’autre c’est le taux de productivité finalement, ne nous faisons aucune illusion. Pourquoi un label rouge certifié AB n’est-il pas proposé au sujet des entreprises ? Et pitié pas à coup de table de ping-pong, baby-foot ou week-end intégration…

Pourquoi personne ne tente de changer la nature des animaux et pourquoi certains pourtant essayent d’imposer le silence à celle d’autres être humains ? Est-ce que quelqu’un va tabasser un bonobo parce qu’il a une relation sexuelle avec un autre du même sexe ? Au début du XXIeme siècle, il y avait des zoologues assez cintrés pour castrer et lobotomiser certains animaux parce qu’ils avaient un comportement homoérotique (on ne parle pas apparemment d’homosexualité chez les animaux du fait que nous connaissons mal ou pas leur psychologie), mais plus personne ne fait ça aujourd’hui (enfin j’espère – remarquez certains n’ont besoin de rien pour frapper et maltraiter, c’est gratuit) Imagine-t-on des camps pour ces animaux comme il en existe à présent en Tchétchénie pour les homosexuels ? Et si ça existait, imagine-t-on le nombre de signataires d’une pétition pour exiger la cessation immédiate d’une horreur pareille ? Il y a une capacité d’indignation à propos des animaux démesurée si on la compare à celle concernant nos congénères. Allez voir sur un site de pétition, c’est dingue. Est-ce à dire que nous partons tous plus ou moins du principe que l’humain mérite moins parce qu’il serait mauvais par nature tandis que l’animal serait pur ? Qu’est-ce que ça dit de nous ?

Dépolluer notre environnement affectif. La question reste compliquée car on le sait certaines personnes sont toxiques. J’en ai connues, vous en avez connues. Parfois elles le sont intrinsèquement quelle que soit la relation, d’autres c’est l’interaction entre deux êtres qui le génèrent. Si nous opposons systématiquement et tous ensemble une écologie des sentiments, l’on pourrait rêver d’un changement de comportement. Si les leviers ne marchent plus, il faut bien s’adapter. Et on pourrait rêver plus loin encore en imaginant que la prochaine génération serait nettoyée des rapports de force. C’est du fantasme évidemment. Ou malheureusement. En fait ça parait utopique parce que nous partons tous plus ou plus moins du principe que l’humain n’est pas bon. C’est un constat et une condamnation. Et inversement. L’oeuf et la poule.

L’écologie des sentiments n’intéresse personne car cela ressemble à une bataille perdue d’avance, c’est ça le fond du problème. L’écologie tout court semble possible car la terre, les animaux, les plantes sont envisagées comme des entités innocentes en quelque sorte. Dès qu’il s’agit d’humain, c’est terminé. Mais je crains que tout le monde se berce d’illusions si on passe trop vite sur cette question. L’un ne va pas sans l’autre.

Peut-on être écologiste et sur tinder ? Oui, encore une fois c’est absurde comme question. Et pourtant… Faire du shopping sur un site pour assouvir ses besoins sexuels et/ou affectifs comme on parcoure le site de H&M est bizarre. Consommer de l’être humain en scrollant est toujours quelque chose d’extrêmement étrange. Toujours plus d’inscrits, toujours plus de croissance. Nous assistons à ce paradoxe ultime : là où on parle beaucoup de décroissance économique, nous n’avons jamais connu une telle croissance sur nos relations. Les réseaux sociaux qu’ils soient généralistes ou spécialisés nous amènent à consommer frénétiquement de l’être humain. C’est dingue, non ? Nous sommes jugés parfois sur le nombre, il en faut toujours plus pour être crédible (ex linkedin). À croire que nous sommes tous de grands adeptes du capitalisme dans ce cas-là. Pourquoi ?

Le deal est parfois très clair dans les bios sur tinder, mais pas toujours. Se pose-t-on la question des déchets que nous laissons au détour d’une relation mal gérée ? Ceux et celles qui « ghostent » ( du fait de ne plus jamais répondre ou donner de nouvelles à quelqu’un sans la moindre explication) se posent-ils cette question lorsqu’ils votent la main sur le coeur au premier tour pour un parti écologiste ?

Trier ses déchets affectifs : reconnaitre le mal que l’on fait, que l’on se fait, présenter des excuses, s’exprimer plutôt qu’opposer le silence, faire des examens de conscience non pas sous le coup de notre juge intérieur, mais plutôt une présence bienveillante qui nous tire vers le haut. Le jour où j’ai réussi pour la première fois de ma vie à dire à quelqu’un calmement : je ne veux plus de relation avec toi, non pas parce que tu es une mauvaise personne, mais simplement parce que tu ne me conviens pas ; j’estime que nos interactions sont nocives pour nous deux et je te souhaite le meilleur à venir. Ce jour-là, j’ai été bêtement fière de moi. Parce que la rupture ne créait pas de déchets. Il y avait eu empathie, écoute, respect et verbalisation. Remarquez ça était la seule fois, ne vous méprenez pas, je ne suis pas une grande écologiste des sentiments, j’ai la leçon facile, l’apprentissage plus aléatoire…

Recycler ses expériences et les utiliser au mieux pour faire mieux. Tenter de ne pas répéter les mêmes erreurs de comportement vis à vis des autres.

Pratiquer le minimalisme relationnel. Avoir peu et prendre soin.

Protéger l’environnement affectif de l’autre. Car l’autre c’est moi et moi c’est l’autre ; toujours. Protéger ne sous entend pas se contraindre au nom des sentiments de l’autre, c’est juste tenter de donner toutes les raisons qui parfois nous conduisent à prendre des décisions qui affectent les autres. J’ai fait ça pour moi et non pas contre toi.

Nous aurons toujours de la peine, nous serons toujours heurtés par les autres, mais l’écologie des sentiments normalement nous conduirait à exprimer toutes les frustrations, les colères, les peurs qui nous amènent au désastre ; avant le désastre précisément. C’est là tout le point. Et qu’est-ce que l’écologie tout court à part éviter le désastre de la destruction de notre environnement ?

Si l’affectif était considéré comme une ressource et non pas comme une entrave (parce que c’est un peu le cas finalement), on pourrait arriver à conceptualiser une écologie des sentiments. Je sais que c’est un peu niaiseux comme théorie, mon billet n’est certainement pas à la hauteur de mes ambitions, mais encore une fois je trouve que l’écologie s’arrête trop vite aux apparences. Elle n’est finalement motivée que par la survie puisque l’on a commencé à s’y pencher en constatant que nos ressources n’étaient pas inépuisables. Panique à bord. Et au delà de la survie ? J’ai dit plus haut que l’empathie était le moteur de l’écologie, mais à l’instant je viens de l’attribuer à l’instinct d’autoconservation. Quelle est notre réelle motivation ? Tout le monde voit l’urgence climatique, moins celle humaniste, pourtant l’extrême-droite revient. Ne croyez-vous pas qu’il est plus que nécessaire de nous interroger ou de nous réinterroger ? Et si l’écologie tout court représentaient nos devoirs et l’écologie des sentiments nos droits ? Puisque la déclaration des droits de l’homme est apparemment un concept dont nous sommes blasés, réinventons-le.

Cette cohabitation en nous me fascinera toujours : entre empathie et rapport de force, l’être humain oscille. Notre amour est finalement toujours égoïste, rarement il dépasse cette limite. Pouvons nous être plus ambitieux ?

« Sister jury, brother judge
In you I recognize this grudge
Buried deep beneath the sands
Of these ridiculous demands
No time for innocence, or sitting on the fence
What are you gonna do?
What are you gonna do? »