Une manière de négocier avec le monde (les rivages, l’adulte)

25 mai 2019 3 Par Catnatt
National Library of Medicine

C’est devenu un sujet depuis quelques temps. Cécile et avec elle Quentin, puis Zoé, Olivier rencontré à Bordeaux, d’autres. Ce gimmick que j’ai, répète à l’envie à chaque fois que je parle de mon blog ou de l’écriture : une manière de négocier avec le monde. J’adorerais être certaine d’être à l’origine du concept, malheureusement je crains que d’autres avant moi, probablement plus doués, plus intelligents, sûrement plus intellectuels l’aient pensé. Mais si chacun d’entre nous doit forcément avoir des socles, des postulats, des vertèbres solidement intégrées à une colonne vertébrale mentale, alors « trouver une manière de négocier avec le monde » en fait partie chez moi.

C’est fondamental. Il n’est pas question ici de parler – encore – de mon rapport à l’écriture, mon blog, mais d’élargir le sujet. Vraisemblablement la première fois que j’en parle ici, c’est en 2011 et c’est à propos de Daniel Darc. Cette joie ce matin de découvrir ça !  » Puisque l’héroïne et l’alcool lui ont sauvé la vie, manière de négocier avec un monde totalement insupportable. Alors, Daniel Darc s’en remet à la clémence, la compassion et la bénédiction.« 

Il y a eu aussi cette story où je clamais ma joie de voir mon texte à propos de Limousine et « No California » sur leur page ( quel concert au Café de la Danse !). J’ajoutais que rien ne me semble plus réconfortant de constater que mes deux enfants ont, eux aussi, trouver leur manière de négocier avec le monde, un tiret, un lien entre eux puisqu’ils ont la même : le dessin, le graphisme.

Aucun de nous n’a choisi de naître, cela s’est imposé à nous. Je ne crois pas que donner la vie soit un vrai cadeau, ce n’est pas le bon angle de vue. Lorsque nous avons un enfant, cela s’apparente au final à inviter de force un(e) parfait(e) inconnu(e) chez vous. Ça peut sembler violent ce que je dis, mais ça explique en partie les problèmes familiaux. Si vous perdez de vue l’étranger en votre enfant ( on pourrait même ajouter à propos des autres, l’enfant en l’étranger ) vous risquez de vous y casser les dents. Et au risque de me répéter, nous mettons les enfants au monde, pas à soi. Et c’est là, précisément là, que nous, parents, avons un devoir fondamental à mes yeux : celui d’aider son enfant à trouver sa manière de négocier avec le monde. Ce qui restera lorsque nous ne serons plus là.

C’est quoi une manière de négocier avec le monde ? En fait, plus j’y réfléchis plus ces mots sont de l’ordre de l’intuition, plus je réalise que cela reste un peu confus. Disons que, en ce qui me concerne, l’écriture est un écran entre moi et le reste. La vie est rarement douce. Je pourrais établir un raccourci en affirmant que c’est de l’ordre de l’artistique, mais justement, plus j’y réfléchis, plus ça me semble court comme réflexion. Par contre, avoir un moyen d’établir une distance entre le monde, notre quotidien, les évènements, un refuge me paraît plus juste. Quelque chose que personne, jamais, ne nous enlèvera quoi qu’il arrive.

Évidemment les arts. C’est la réponse la plus évidente. Mais quid des gens sans fibre artistique ? Est-ce que cela existe d’ailleurs, des personnes sans aucun appétit pour les arts ? Ça doit être un truc de fou de n’avoir aucun penchant pour la musique, la peinture, le cinéma, la sculpture, la littérature, la danse, la photographie, l’architecture, le théâtre, le mime, la magie, le dessin ! En relisant la page wikipédia, je m’aperçois – et c’est réconfortant – que cela inclue aussi les arts culinaires, le vin, les arts martiaux, l’horticulture, l’art urbain etc.

Cet homme dans sa cuisine, cet homme qui a passé une mauvaise journée, cet homme qui prépare à dîner à sa famille, cet homme qui hume presqu’amoureusement le met qu’il prépare ; cette femme dans son jardin, cette femme qui a appris une mauvaise nouvelle, cette femme qui prend soin de ses plantes, cette femme qui prend une profonde respiration en bêchant ; cet enfant dans sa chambre, cet enfant qui a assisté à une dispute, cet enfant qui dessine, cet enfant qui esquisse un sourire le crayon à la main.

Une manière de négocier avec le monde, c’est un refuge oui, quelque chose qui n’appartient qu’à nous, quelque chose qui nous accompagne jour après jour dans notre solitude. Nous le portons tous en nous. C’est la jeune femme qui se lève à 5h du matin pour aller surfer ou ce jeune homme qui pratique son yoga, cette quinqua qui va à la boxe, ce trentenaire qui attrape un livre. C’est quelque chose que l’on pratique activement ou passivement, c’est ce qui nous permet de prendre du recul. Aller chez le psy ou à confesse. J’imagine que les dingues de maquillage, c’est ça aussi. Jouer aux jeux video. Graffer. Le foot.

Nous cherchons tous une manière de négocier avec le monde. Parfois nous nous égarons et ce sera l’alcool, la drogue, la clope aussi. C’est pour ça que je crois important d’accompagner un enfant sur ce chemin là. Si vous constatez que votre gosse a trouvé, vous aurez fait un sacré boulot. Ça changera peut-être, aujourd’hui c’est le cinéma, demain le graphisme. Est-ce que les gens qui errent professionnellement, sentimentalement, ne serait-ce pas cela finalement leur quête ? Car manière de négocier avec le monde vaut partie du sens de notre vie.

C’est le souvenir que les aimants garderont : il aimait l’opéra plus que tout, elle n’aimait tant rien que le bon vin, il consacrait des heures à ses maquettes, elle aimait écrire, il aimait peindre. C’est ce qui sera forcément évoqué, ce qui restera, c’est ce qui nous définit en partie ; tant que nos témoins seront vivants. Ce seront quelques pages soulignées au détour d’une bibliothèque transmise, une cassette video trouvée au détour d’un grenier avec des coeurs dessinés dessus, une peinture au fond d’un garage signée d’un nom reconnu, un livre de recettes écrit amoureusement par une arrière arrière arrière grand-mère, un classeur de textes écrits pour un blog. Quelque chose qui a été important pour un autre un jour.

C’est ce qui nous aide à tenir, à encaisser, à se relever. On ne se relève pas du chagrin par les autres, le chagrin nous y sommes irrémédiablement seuls, c’est la zone de solitude absolue. Mais toujours, si vous avez trouvé, votre manière de négocier avec le monde vous accompagnera.

Soyez attentifs à cela auprès de vos enfants. Encourager, proposez, cherchez avec eux. Ne vous agacez pas des errances et des changements, l’enfance et l’adolescence ne sont que des quêtes, des allers retours, des détours et des raccourcis. J’ai erré moi aussi si longtemps : il y a eu la danse, l’équitation et toujours l’écriture. J’ai commencé, cessé, repris, arrêté, le journal intime me gonflait, ça restait insuffisant et puis miracle, l’arrivée des blogs. Si votre enfant vous semble versatile, c’est qu’il n’a pas trouvé ou qu’il ne s’est pas encore aperçu que là résidait le fondamental, le recours, le refuge ; une respiration, une consolation, une expression. Le plaisir. L’apaisement. Là où nous oublions. Là où nous nous oublions. Là aussi où nous nous souvenons de l’essentiel. Là où nous arrivons à faire la paix l’espace de quelques secondes, minutes, heures, jours, années ; faire la paix avec le monde.

C’est le lien, le cerf volant que nous lançons au monde, un trait d’union avec certains, une séparation avec d’autres, ce qui nous fera sourire lorsque nous serons vieux, ce qui nous faisait rêver lorsque nous étions petits.

Peut-être ce qui nous différencie des animaux, des plantes, tout ce qui n’est pas nous : La perception tangible de notre humanité.

Rarement trouvé un clip qui collait autant à ce que je voulais dire…

J’ai conscience de ne pas être allée au bout de ma réflexion, mais j’espère creuser plus loin un jour ou l’autre.