A jamais silencieuse…

A jamais silencieuse…

2 décembre 2011 1 Par Catnatt


C’est mieux avec la musique…

 

Cette histoire, c’est le silence. Les mots y sont un sacrilège, la brisure de l’enchantement.

C’est une chute dans le temps ; quand le non-dit nourrissait les espérances.

Assise sur un tabouret, une fête, je vacillais un peu, j’ai tourné la tête, une silhouette, des yeux noirs et la vie a défilé au ralenti. J’étais noyée ; il existait.

 

 

Toni Frissel

 

Un coup de foudre animal, une invasion surgie du fond des âges. Rappelons nous du temps où nous étions dépourvus de langage ; lorsque les émotions ne formaient pas de syllabe. Aucun de nous n’avait d’histoire, ni de prénom, ni de voix. C’était les regards et le silence et les corps qui bougeaient. C’était tout et ça n’avait pas de fin car l’imagination n’en a aucune.

 

Les mots mettent des limites et le silence les repousse au loin.

 

Et puis à force de se côtoyer, la syntaxe s’est mêlée au désir ; mais toujours à contretemps.

Ce sont ses doigts sur ma nuque dégagée, un geste qui lui échappe, plus fort que lui.

Ce sont mes doigts dans ses cheveux ébouriffés, un geste qui m’échappe, plus fort que moi.

Sans jamais qu’il y ait d’aveu.

 

 

Je suis chez lui, je fais machinalement tourner mon verre de vin, je croise les jambes, je parle, je souris, je ris ; c’est la jolie heure entre chien et loup. Il est face à moi, assis dans un fauteuil, une jambe repliée sur l’autre, son t-shirt, son jean et ses yeux noirs, ses pieds nus ; le corps à l’abandon.

 

Toujours au bord de basculer. Funambules de l’attente ; avant la chair, avant le soupir, avant le tourment.

 

 

« Pourquoi es-tu partie ? »

Le désir.

« Si j’ai avancé et reculé »

 

 

Les mots furent l’ennemi. La syntaxe ne s‘est jamais mêlée au désir, toujours à contretemps.

Juste effleurer l’autre dans les limites du supportable ou de l’insupportable. La fébrilité, la beauté du fantasme éternellement différé.

 

Je fais ce rêve récurrent et troublant d’une solitude à deux, un lâcher-prise, quatre bras qui se referment les uns sur les autres, la sensation unique, une paix silencieuse, un refuge absolu. C’est un rêve où le mutisme est roi, il y a juste ce vertige, cette chaleur, comme si « l’âme rejoignait enfin le sang » *. Comme si l’infini se dessinait sous nos pieds et disparaissait dans un dernier souffle.

 

Et pourtant, c’est l’homme de toutes mes incertitudes.

 

C’est un chant de désir silencieux, un rêve éveillé, un « bal perdu », quelque chose de précieux, quelque chose qui échappe au temps, quelque chose qui échappe au langage, quelque chose de très doux, quelque chose de sauvage.

 

 

« Tu es une épine dans le cœur, rien de très douloureux, juste présent. »

Ce désir inassouvi ; nous les jouisseurs. De disparitions en apparitions.

« Et j’ai très envie de toi »

 

 

Demander au taxi de faire demi-tour, retourner chez lui. Non. Il a peut-être espéré que je revienne. Quelque chose m’a retenu. Quelque chose que je ne comprends toujours pas mais que je chéris, une zone inconnue chez moi que je ne maîtrise pas. Je ne suis pas si sûre de l’aimer mais il incarne un refus de l’abandon chez moi, je crois.

 

Il ne s’est jamais rien passé.

 

Mon incapacité à aimer.

 

Grandiloquente quand je n’aime pas vraiment, les mots d’amour n’existent que lorsque je suis amoureuse de l’histoire et non des hommes. Ceux devant lesquels je suis restée paralysée. Silencieuse ; désespérément silencieuse. Un mur infranchissable se dressait.

 

Les hommes que j’ai véritablement aimés sont-ils ceux à qui je l’ai dit maintes fois ?

Ou sont-ils ceux à qui je n’ai jamais rien avoué ?

 

Mon silence me trahit-il ?

 

Je reste en suspens face à ce nouveau tourment.

 

 

La petite musique de mon cœur se joue toujours en arrière plan. Mes non-dits sont des déclarations d’amour et de désir. Jamais les mots ne franchissent le seuil de ma bouche. Ils restent lovés dans mon cœur, éternels, jamais flétris.

 

 

À jamais silencieuse.

 

 

*« Jamais l’âme ne rejoint le sang » est une phrase de Jean-Louis Murat

Texte « de commande » pour la série sur le silence de Arbobo