Des rencontres et des humains : Isabelle, l’alter ego
J’en ai mis du temps, 14 années en fait, pour écrire sur Isabelle. Nous sommes amies depuis 2007, deux accrochages à peine, on ne peut même pas appeler ça des engueulades et surtout, surtout une amitié sans nuages.
C’est surtout parce que c’était compliqué, 14 années et sans cesse découvrir de nouveaux points communs. Isabelle c’est mon alter ego, je ne peux pas parler de soeur parce que ça impliquerait trop de différences de choix et conséquences, c’est moi dans une autre vie qui fait toujours cause commune avec mes névroses ; Isabelle est un miroir avec d’autres lumières et d’autres obscurités, mais c’est toujours moi. J’imagine que ça nous permet à toutes les deux de faire un pas de côté vis à vis de nous, de nous observer sans égo, quelque chose comme ça.
D’abord le gros dossier : la mère. Nous avons été toutes les deux élevées par une mère ambivalente et gravement malade. De là un rapport très particulier avec la mort, la maladie évidemment et l’autodestruction. Le second sera les ex-maris qui feront cause commune avec la perversité, la violence et le narcissisme. Deux enfants merveilleux, une fille d’abord et puis un fils, même ordre, mêmes genres de caractère. Nous avons pris cher, peu de saloperies nous échappent. Nous avons chuté tant et tant de fois. Et un affranchissement, une quête de liberté même si elle se paye toujours cash.
Nos routes sont semblables sur les étapes mêmes si elles ont parfois pris des routes différentes.
Nous nous sommes rencontrées sur un site Ladies Room, on a commencé par se marrer ensemble et plus on discutait, plus on réalisait. Nous n’avons jamais cessé.
Elle écoute de l’electro, elle aimait danser, faire la fête, la chevelure identifiable entre toutes, trottinant sur des talons de 12, tout en couleurs, tout passe par le corps chez elle, elle a besoin de l’ocean ; elle ne porte plus de talons, elle galope en baskets et en jogging dans sa maison si précieuse. Cette maison ressemble à Isabelle, c’est une bulle, le temps ne s’y écoule pas pareil, au bout de trois jours on ne veut plus sortir, c’est un havre de paix.
C’était la première fois cet été que nous passions autant de temps ensemble et ce fut une révélation : on est bien et on commence à se regarder en se disant qu’on se ferait bien une coloc à l’abri du monde, loin, très loin du bruit et de la fureur.
Pourtant nous avons aimé ça, nous connaissons par coeur notre appétit pour le drama, la douleur, l’ivresse du malheur. Nous avons déconstruit cette petite mécanique jour après jour. Nous ne perdons plus de temps avec ça, même si nos fantômes flottent toujours autour de nous. Nous les tenons à distance.
Les mecs qui débarquent plein de promesses et qui finissent par faire de la merde, ça nous faisait pleurer, maintenant ça nous fait rire. On s’est fait un crush sur le boucher cet été, on ricanait comme deux gamines, c’est le loto ou le boucher je te préviens, ! On a joué au loto tout l’été en se disant que sur un malentendu, on serait millionnaires et on quitterait ce monde de tarés. Nous sommes toutes les deux atterrées par le genre humain en ce moment. Alors du fric pour fuir.
Je suis devenue ce qu’elle n’est pas : folle de rangement, d’organisation et elle est ce que je deviendrai peut-être : manger sain, faire des conserves, des confitures et du tricot.
Nous pouvons passer des heures sans se parler, face à l’océan, à lire, lire, lire ; nous aimons lire, lire, lire. J’ai commencé le yoga avant elle, c’est elle qui est prof maintenant. Cet été j’ai tenu absolument à refaire la salle de yoga dans sa maison, là où elle enseignera, là où elle organisera ses retraites, ses stages, comme un symbole : je suis là pour ta nouvelle vie.
Elle conduisait sec sa mini à travers Royan à toute allure ; elle conduit fluide et cool à travers la campagne à présent. On aime s’arrêter dans cet endroit perdu où ils vendent des merveilles, les premiers de la région, 2 paquets au début, 7 à la fin. Elle me ferait habiter le sud ouest alors que j’aime pas, je suis une fille du sud est, mais les arbres qui se rejoignent sur les routes, c’est vraiment beau. Rien n’y est pastel, tout y est d’un vert qui ne fait pas semblant.
Elle a une passion pour les marchés, adore parler de produits, devient pote avec tous les producteurs et les vendeurs, pour les cornichons aussi ce qui me laisse dubitative, tous les matins elle débarque de son potager avec des cornichons. Je déteste les cornichons.
J’ai peur de l’océan, elle adore ça alors elle m’aime assez pour se taper la centrale d’Hossegor alors qu’elle n’est bien que sur les grandes plages de l’Atlantique, Grande Côte, organiser des pique nique qui durent des journées entières, où l’on mange bien.
Isabelle sait vivre.
Nous connaissons nos parts d’ombre, nous devinons celles qui n’ont pas franchi nos bouches, mais nous avons toute la vie pour verbaliser.
Elle est plus bavarde que moi, souvent elle est en train de me parler, une minute avant je l’écoutais, une minute après, je dors. Je la fais rire avec ça. Elle adore cuisiner, je n’ai jamais vraiment aimé ça, j’adore ranger, elle n’a jamais vraiment aimé ça. Semblables et si complémentaires.
On s’est écouté fondre en larmes, je lui ai tenu les cheveux quand elle dégueulait de chagrin, elle m’a pas lâchée quand j’ai chuté il y a peu.
Je lui dis je t’aime au téléphone, elle ne le disait pas, elle a fini par le dire ; moi aussi. C’est une chose que j’apprends aux gens que j’aime. Ces trois petits mots on les croit réserver au champ amoureux, je passe mon temps à l’étendre, Céline, Cécile, Olivier, Charlotte et les autres, tous ces précieux êtres et ils finissent par l’intégrer et le répandre à leur tour.
Avec Isabelle, nous nous sommes dit souvent que ça aurait été merveilleux d’être homosexuelles parce que nous aurions vécu une relation parfaite. Malheureusement (ou pas) indécrottables hétérosexuelles que nous sommes, cette solution ne sera pas la bonne. Mais mec ou pas, je crois qu’on sait que nous serons toujours aimées.
Je l’aime, elle m’aime. Le temps ne fait que nous rapprocher un peu plus, le temps est notre allié, il nous prend dans ses bras, toutes les deux, nos têtes sur nos épaules, le fou rire aux bord des lèvres et de la tendresse comme s’il en pleuvait.
Je vous souhaite à toutes et tous de trouver votre alter ego, ce n’est pas une amitié anodine, ça vous fait avancer à pas de géant.
J’ai une compagne de vie.
Voilà, j’ai fini par trouver. Au bout de ce texte, tout en l’écrivant, je sais à présent :
Isabelle est ma compagne de vie et voici ma déclaration d’amour.
Je t’aime ma chérie.
Exceptionnellement, mais parce que mon lien avec elle l’est, ce n’est pas une chanson, c’est une playlist qui ressemble à nos quinze jours ensemble cet été, les paroles ne comptent pas ici, c’est plutôt une atmosphère, des chansons parfois au bord de la falaise, jolies et pourtant une mélancolie qui effleure, enjouées même si le vague à l’âme plane, faciles et fluides. Parce que ça nous ressemble…
Une chanson en italien parce que je le suis et qu’elle aime ce pays par dessus tout, qu’elle y a habité et puis Etienne Daho pour la symbolique… et évidemment Father John Misty « Nancy from now on » qui est notre chanson.