Les leitmotivs (Meet me in the white light)

28 novembre 2021 0 Par Catnatt

À Charlotte et Baptiste.

À mes « filles » surtout Clémence et Cécile.

À Pauline et Vincent, mes deux bienveillants.

Image from page 374 of « William De Morgan and his wife » (1922)

Vincent m’a regardé sceptique : Mouais…

Je venais d’évoquer un de mes leitmotivs, ces petites ritournelles, ces petites phrases que je répète à l’envie aux autres qu’ils soient proches ou lointains.

Tout ira bien.

Vincent me dit que je n’en sais rien en fait et il a raison. Vincent c’est la personne précieuse avec qui je fais mon bilan de compétences. Vincent me fait réfléchir, me remet sur des rails. Mon attachement envers lui s’est fait sur une phrase : je lui expliquais que dire « ne le prends pas de manière personnelle » est une des phrases les plus cons que j’ai jamais entendues – toutes mes excuses aux quatre accords toltèques » – tout est personnel, il n’y a que les algorithmes qui ne prennent pas les choses personnellement. Et les saints… Et il a approuvé sans retenue. Merci. Vincent me dit qu’il ne me lâchera pas et m’accompagnera jusqu’au bout. Si vous cherchez quelqu’un pour un bilan de compétences sur Paris, je vous file les coordonnées dans l’enthousiasme !

Bref.

Et j’ai commencé à sérieusement réfléchir à ce que je mettais dans ce « tout ira bien » et je me suis aperçue que j’étais à un point de ma vie où j’avais construit une manière de négocier avec elle. C’est ce que j’ai de plus important à transmettre. Je ne dis pas que j’ai raison, je ne dis pas que j’ai tout inventé, ce serait présomptueux, d’autres l’ont sûrement dit bien mieux que moi, je sais juste que ce sont mes cartes magiques,

Que c’est peut-être le texte le plus important que j’ai jamais écrit.

Mes 7 accords catnattiens en somme et en toute modestie.

Le premier : la pierre angulaire.

Nous avons tous un évènement, une personne, une phrase qui va constituer en nous ce que j’appelle la pierre angulaire : la névrose, le vent contraire, l’angle mort, là d’où viennent nos choix absurdes, ce qui nous dépasse et nous gouverne en arrière plan, ce qui sera toujours là. En ce qui me concerne c’est assez simple, pas de scoop, c’est la maladie et le décès de ma mère. Ça peut être extrêmement visible comme dans mon cas ou plus insidieux. À mon sens, il est vital d’identifier cette pierre angulaire sous peine de la subir. Toutes les petites névroses en découleront, ce sera un ruisseau, puis une rivière, puis un fleuve et si on y prends pas garde ce sera la noyade. L’eau, ça s’infiltre partout… Il faut construire des barrages, rendre l’eau utile, la gérer et choisir de la laisser tout inonder parfois ou la canaliser.

Identifier la source initiale, sa pierre angulaire.

A heaven of abandoned stars
River running black and red
Fight your way through crowds and cars
As rockets flower overhead

Le second : le territoire inaliénable.

C’est la contre-force au premier. Quand je dis que tout ira bien, d’abord c’est souvent vrai et ensuite je ne fais pas spécialement allusion à des évènements à venir, je parle surtout de soi. C’est quelque chose que j’ai découvert avec Pauline, ma chiro lors d’une séance assez intense. J’ai décroché. J’existais purement et simplement. Pas d’émotions, pas de pensées, juste être là, oui, l’existence pure. Je ne prétends pas du tout avoir atteint le nirvana au sens méditatif du terme, ça n’a pas duré assez longtemps.

D’ailleurs je n’ai eu aucune perception du temps pendant cette expérience précieuse.

Ça a complètement renversé mon rapport à la vie. Il n’est pas question ici de vous dire qu’il faut atteindre ce stade-là, pour l’instant, c’est un accident dans ma vie que je suis incapable de reproduire. Ce qui compte, c’est ce que j’ai découvert ce jour-là, au plus profond de moi-même : nous avons tous un territoire inaliénable, une zone où nous allons bien, un espace où le monde n’a pas de prise. C’est ce qui nous fait tenir en dépit des agressions quelle qu’elles soient et toute la question est de trouver et retrouver son chemin vers ce territoire. Quand je dis que tout ira bien, c’est qu’il y en nous toujours, pour toujours, à jamais, un endroit où nous allons bien que personne ne peut nous enlever même lorsque nous sombrons. Tout va bien en ce lieu, c’est même au delà, ce n’est même pas bien, c’est juste. Là où nous sommes des fantômes, pas au sens spectral, mais plutôt une version de nous mêmes non incarnée et donc pas en prise avec le monde. Ce qui était au début et ce qui restera à la fin quelle que soit notre rapport à la mort. C’est l’unité absolue. Comme une monade.

Quentin dit « C’est bien la beauté de l’aventure humaine. Penser l’infini du monde depuis son île. »

Le territoire inaliénable c’est être dans l’infini du monde depuis son île.

Meet me in the white light
As the city slowly lifts away
We can be a ghost now
With the memory of another day

Le troisième : une manière de négocier avec le monde.

Négocier avec la vie et négocier avec le monde, c’est différent à mes yeux. Le fond et la forme en somme. J’ai déjà écrit longuement sur le sujet donc je vais me permettre de me citer : Une manière de négocier avec le monde, c’est un refuge oui, quelque chose qui n’appartient qu’à nous, quelque chose qui nous accompagne jour après jour dans notre solitude. Nous le portons tous en nous. C’est la jeune femme qui se lève à 5h du matin pour aller surfer ou ce jeune homme qui pratique son yoga, cette quinqua qui va à la boxe, ce trentenaire qui attrape un livre. C’est ce qui nous aide à tenir, à encaisser, à se relever. Soyez attentifs à cela auprès de vos enfants. Encourager, proposez, cherchez avec eux. Ne vous agacez pas des errances et des changements, l’enfance et l’adolescence ne sont que des quêtes, des allers retours, des détours et des raccourcis. J’ai erré moi aussi si longtemps : il y a eu la danse, l’équitation et toujours l’écriture. J’ai commencé, cessé, repris, arrêté, le journal intime me gonflait, ça restait insuffisant et puis miracle, l’arrivée des blogs. Si votre enfant vous semble versatile, c’est qu’il n’a pas trouvé ou qu’il ne s’est pas encore aperçu que là résidait le fondamental, le recours, le refuge ; une respiration, une consolation, une expression. Le plaisir. L’apaisement. Là où nous oublions. Là où nous nous oublions. Là aussi où nous nous souvenons de l’essentiel. Là où nous arrivons à faire la paix l’espace de quelques secondes, minutes, heures, jours, années ; faire la paix avec le monde. C’est le lien, le cerf volant que nous lançons au monde, un trait d’union avec certains, une séparation avec d’autres. »

Pour moi c’est l’écriture, ce blog, ce fut la prise en charge psy et à présent la chiro, le yoga. Ce sont mes moyens. J’espère en trouver d’autres. Il nous faut des outils pour aller bien ou mieux. Un refuge, des refuges.

Le quatrième : la méthode O’Hara.

De Scarlett évidemment. Mais la méthode O’Hara existe en psychologie, c’est une défense adaptative, une répression, un refoulement conscient : J’y penserai demain. La réplique de Scarlett dans le film c’est :

« je ne peux pas y penser maintenant, je vais devenir folle si je le fais, j’y penserai demain (…) Demain est un autre jour. »

Ce qu’il faut comprendre c’est que ce n’est pas une mise de côté définitive, c’est juste que nous ne sommes pas obligés de prendre tout pleine balle tout de suite dans une société qui a des injonctions de performance même dans le deuil, la douleur, l’angoisse, la tristesse. C’est surtout y penser mieux plus tard plutôt que n’importe comment maintenant. Nous avons le droit de différer tout en restant conscients qu’il faudra gérer ; c’est s’accorder un répit et le répit de nos jours, observez bien, c’est compliqué de se l’accorder à l’ère du tout de suite, maintenant… Offrez vous un répit, choisissez une deadline raisonnable et respectez la sinon ce n’est plus une défense adaptative, ça s’appelle une fuite…

Mais nous avons tous droit au répit provisoire. C’est un droit inaliénable.

Le cinquième : la petite voix intérieure.

Le leitmotiv avec mes enfants. La petite voix intérieure, l’alarme interne, le détective privé personnel.

L’instinct.

L’instinct de survie.

Je n’ai eu de cesse de répéter à mes enfants de l’écouter : c’est le murmure qui te dit de ne pas écouter cette personne, c’est la pulsion qui te dit de partir parce qu’au fond tu le sens pas, c’est le brouillard qui entoure une relation, c’est une petite perturbation au détour d’un mot prononcé, quelque chose qui te dérange sans que tu saches vraiment pourquoi, irrationnel et pur. J’ai toujours su quand je me foutais dans la merde, j’ai toujours eu cette petite voix qui me donnait des indications et que je choisissais ou pas d’écouter. C’était le seul moyen que j’avais à disposition pour tenter de protéger mes enfants lorsqu’ils ont commencé à grandir, sortir, prendre des décisions. Contre le monde qui les embrassait, ce qu’il y a de plus intérieur. Et je crois que mes enfants l’écoutent parfois, ils l’ont en tête et ça me rassure.

Plus vite vous l’écouterez, mieux vous vous porterez. J’en suis certaine.

Le sixième : penser contre soi.

C’est le contre-pouvoir du précédent. L’instinct vous sert dans l’immédiat, penser contre soi vous sert à froid. C’est lorsque l’on se pose, au calme, seul, chez son psy, un ami ou une amie, une soirée, un petit matin. C’est le socle de réflexion sur le monde, la société, l’autre. Chercher notre part de responsabilité sans que pour autant, dans certaines situations, que cela nous retire notre statut de victime. C’est faire le pas de côté nécessaire pour ne pas reproduire, l’acte de compassion aussi, s’inscrire dans un tout et envisager les émotions qui bouillonnent juste à côté de nous. Penser contre soi c’est pour soi et les autres.

Le recul nécessaire pour mieux avancer.

Bury everything you own
On a hill in Peckham Rye
Say a prayer for those you’ve known
As tracer fire scars the sky

Le septième : faire de la solitude ta meilleure amie et non une ennemie.

Quand je pense à ce postulat, je pense surtout, curieusement, à mes amies, les charismatiques, les solaires, les caractères, celles qui se font fracasser en premier. À Charlotte et à Baptiste à qui je n’ai eu de cesse de répéter ce leitmotiv aussi.

Lorsque ma mère est tombée malade et puis a disparu, j’ai vécu la plus grande expérience de solitude de ma vie jusqu’à présent. L’anéantissement et tout le reste après ne fut que répétitions. Elle m’a fait peur, terrorisée, de guerre lasse je l’ai apprivoisée et je m’en suis fait une amie.

Tout se paye cash et nous sommes seuls. Point.

Nous naissons seuls, nous mourrons seuls, C’est le territoire où aucun partage n’est possible. C’est terrifiant et inévitable.

La seule chose que nous pouvons faire, c’est de trouver le confort au sein de cette solitude. Rajouter des coussins, de la lumière, se dire que c’est le pas juste avant le territoire inaliénable. Être bien seul, c’est une très belle assurance pour être bien avec les autres. Et de toute manière c’est un combat perdu d’avance, on ne gagne jamais contre la solitude et moi, les combats perdus d’avance, je ne les pratique plus, je ne les fuis plus, je m’installe dedans et je les accepte. Du moins j’essaye.

Voilà tout ce que j’ai à transmettre à ce stade de ma vie. J’espère apprendre plein d’autres choses, mais je crois vraiment que c’est le texte le plus important, l’aboutissement de quatorze années – et oui ! – de blog.

J’espère que ça vous parlera ; ou pas. Déjà vous l’avez lu, merci pour les 10 minutes de votre précieux temps.

Faites en ce que vous voulez,

C’est une petite offrande au monde et une grande aux miens. C’est le bénéfice de vieillir, c’est tellement bien ! Commencer à être dans la transmission tout en restant bienveillant et à l’écoute. C’est précieux.

Meet me in the white light
As the city slowly lifts away
We can be a ghost now
With the memory of another day

J’ai conscience que le morceau peut sembler obscur, sans lien avec le texte, mais pour moi, oui. Je l’ai effleuré, mais developper, c’était perturber le propos. Je ne sais pas, j’écrirai peut-être plus tard et vous comprendrez.

NB : je réalise après publication que je n’ai pas évoqué ce que j’appelle son job d’être humain. Mais en fait c’est parce que je crois que ce n’est pas universel comme envie. On place ses ambitions là où on le souhaite.