De l’estime

11 mars 2010 0 Par Catnatt

Amato as "Cyrano"

De l’estime. Un sentiment désuet. De nos jours, il est toujours plus question d’amour que d’estime. Comme si ce qui comptait vraiment, c’était cette débauche d’émotions plus violentes les unes que les autres, spectaculaires. De quoi mettre en scène un spectacle. Être estimé n’est rien. Être aimé, c’est tout. Première victime de ce despotisme du sentiment, l’entertainment affectif, je n’ai, pourtant, jamais perdu de vue cette notion : l’estime. Qu’elle soit de soi ou des autres. Elle me semble même primordiale car au moment de quitter ce monde, je crois qu’emporter quelques estimes a plus de sens qu’une collection d’histoires d’amour.

 

L’estime a quelque chose de particulier. Je compte sur les dix doigts de mes deux mains les personnes pour lesquelles j’éprouve ce genre de respect. Et cela n’a ni à voir avec l’amitié, ni avec la famille ou les amours. L’estime se loge dans les actes, la philosophie de vie d’une personne. Je dirais même qu’elle est le contraire du racisme au sens large. On n’estime pas pour la beauté, l’origine, la couleur. On estime par choix, pour le choix. « On est rarement maître de se faire aimer, on l’est toujours de se faire estimer. » [Bernard Fontenelle]

 

Je vous suggère de vous poser la question suivante « Est-ce que j’éprouve de l’estime pour moi ? »

 

Ça ne veut pas dire que vous avez confiance en vous ou que vous vous aimez, ou même que vous vous admirez. Simplement se poser la question en se regardant droit dans les yeux. On a tout intérêt à travailler dans cette direction-là. C’est précisément ce qui donne un sens à sa vie, l’estime que l’on peut éprouver pour soi. Ça ne retire pas le droit à l’erreur. Ça tire vers le haut. J’ai de l’estime pour moi. Ca ne sous entend pas que je suis parfaite, ou que je suis au-dessus des autres. Ça signifie simplement que j’ai fait des choix, que je sais exactement pourquoi je les ai faits et que je suis en accord avec eux. Je ne m’aime pas parfois. Souvent. Mais me dire que j’ai perdu toute estime de moi, ça non, je ne l’éprouve jamais. Suis-je une personne méprisable ? Non. Certains le ressentent comme tel ? Certainement. C’est leur choix face à mes choix. Mais je ne les rejoins pas. C’est le boulot de toute une vie d’acquérir et de conserver ce bien si précieux. Quelques-uns se focalisent tellement sur la satisfaction quasi immédiate de leurs désirs qu’ils oublient cet enjeu. Je crois, et ce, de manière fondamentale, que c’est profondément destructeur. De manière insidieuse. « Personne ne survit d’être estimé au-dessus de sa valeur » disait Oscar Wilde. C’est encore pire quand il s’agit de soi-même. Alors, oui, cela suppose une certaine lucidité et une certaine objectivité. Et non ces deux attributs ne sont pas permanents. Certes. Il n’empêche que tout être humain, doué d’une conscience, devrait se poser la question de l’estime de soi régulièrement. Et y réfléchir vraiment. Ne pas prononcer ces mots à la va-vite comme on lit « Psychologies ». Y mettre tout son sens. Toute la force. Ne pas dénaturer ce mot. Le respecter.

 

Une fois que l’on a fait le plus dur, le constat vis-à-vis de soi-même, tournons-nous vers les autres. Qui estime-t-on ?

 

Postulat de base  » L’on n’estime guère dans les autres que les qualités que l’on croit posséder soi-même. » [Félicité de Lamennais]

 

C’est certain. L’estime agit en effet miroir. Souvent. De même l’on ne peut estimer quelqu’un que l’on ne connaît pas personnellement. Cela suppose connaissance et reconnaissance. La reconnaissance de valeurs que l’on en a commun. D’agissements analogiques. De projections dans le monde connexes. Et cette intimité respectueuse créée est complètement anachronique actuellement. Hélas. À l’heure où l’on admire des êtres interchangeables, consommables, dont l’existence au sein de la sienne est éphémère, l’estime est l’équivalent ringard de l’émoi suscité par une cheville aperçue au XVIIIe siècle à une époque où l’on voit des êtres à poil toutes les 15 secondes. Pourtant, ce bout de peau, cette cheville, ce souvenir restera chéri plus que le reste. Parce qu’il est précieux et rare.

 

Posez-vous la question. Qui, autour de vous, estimez-vous vraiment ? Vous verrez, c’est à la fois une question difficile et facile. Difficile car le tri sera impitoyable. Et que vous vous retrouverez avec une majorité de gens que vous aimez, mais pour lesquels vous n’éprouverez pas ce sentiment solennel. Et qu’il faudra négocier avec. Aimer sa mère, son mari ou son enfant mais se rendre compte que vous n’avez pas le début d’un soupçon d’estime est terrible. Car cela engendre des questionnements. Qui n’ont pas lieu d’être. On peut être fou d’amour pour un être humain inestimable… De même ne pas confondre l’admiration qui suppose forcément de la soumission. L’estime se place sur un pied d’égalité. Elle ne génère pas de « dévalorisation ». Encore une fois, elle tire vers le haut. Qui estimez-vous vraiment ? C’est aisé d’y répondre car ils sont fort peu nombreux ceux et celles qui nous procure ce sentiment. D’ailleurs, je finis par me demander si c’est vraiment un sentiment. Cela suppose quelque chose de tellement raisonné. Oui, l’estime se loge dans la raison. Vous savez cet élément déprécié. Je pense par exemple au film « Sur la route de Madison ». Il est évidemment question d’amour mais plus que cela il s’agit de raison et d’estime. Tout quitter pour Clint Eastwood devient l’équivalent pour Meryl Streep de perdre toute estime pour elle-même. Et ce choix se fait dans la raison. Et même si nous avons tous salué l’histoire, il n’empêche qu’en notre for intérieur, nul ne s’est dit « J’aurais fait pareil ». Et si nous sommes honnêtes, nous ne sommes pas loin de penser que c’est un choix absurde. Parce que l’amour est toujours plus fort que tout, c’est le mantra occidental.

 

Entendons-nous bien. Dans la même situation, jamais je ne me serais conduite de cette manière-là. Évidemment, j’aurais suivi Clint. Quelle femme n’aurait-elle pas emboîté le pas de celui-ci ?! J’aurais adopté une autre attitude parce que l’estime que j’ai de moi-même ou des autres prend racine ailleurs. Dans d’autres choix.

 

Je suis très attachée à la notion d’estime. Je la vois comme un des derniers bastions pour lesquels se battre. C’est quasiment une cause perdue. Une Atlantide des relations humaines. Une île engloutie par la dictature du bonheur, le quart d’heure de gloire et l’amour éperdu. J’ai une vraie nostalgie du temps où l’on y accordait de l’importance. Où l’on y réfléchissait. J’aimerais que l’estime redevienne à la mode mais elle n’est que trop contraignante. Et la société tellement désinvolte…

 

Mais peut-être qu’en fait je me trompe. L’époque, vraisemblablement, est à la surestimation en fait. Un peu comme à la bourse où l’on joue à surcôter des entreprises pourtant en difficulté. Nous surcôtons notre entourage, nos idoles et nos fantasmes. Nous sommes acteurs d’une société où l’on nous fait croire que nous sommes tous dignes, en dépit de nos actes, de nos choix, d’une phénoménale reconnaissance et où nous avons tous droit à notre « Moulin Rouge personnel », notre côtation à la bourse du bonheur ici et maintenant.

 

« Ma petite entreprise

ne connaît pas la crise

Épanouie elle exhibe

Des trésors satinés

Dorés à souhait »

Mais

« J’ordonne une expertise

Mais la vérité m’épuise

Inlassablement se dévoile. » (Bashung)

 

L’estime est démodée, sa supérieure irraisonnée triomphe. Continuons de nous mentir et laissons l’estime aux oubliettes. Ou commençons à nous pencher vraiment sur le sujet. Vous verrez. Cela change la vision du monde. Sincèrement, l’humanité a-t-elle de quoi se porter quelque estime en ce moment ? Où en est-elle par rapport à sa plus belle invention ? Qu’elle se demande si elle emportera, un soir, quand elle entrera chez « Dieu » quelque chose que, sans un pli, sans une tache, elle pourrait emporter malgré elle…


Son panache ?

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