Suis moi que je sois

5 juillet 2010 2 Par Catnatt

Finley, William Lovell (1876-1953)

Je m’en vais ré expliquer twitter (‘gazouiller’) en quelques phrases : un genre de facebook simplifié à l’extrême, pas de photos, juste un statut limité à 140 caractères visible sur ce qu’on appelle une timeline, à savoir vous et les gens que vous suivez. Point. Cela fait partie de ce qu’on appelle « les réseaux sociaux ».

 

Mais ce n’est pas le but, assez vain en somme, de vous expliquer ce qu’est Twitter, qui m’amène à vous écrire ces quelques lignes. C’est ce que cela représente. […]Nous vivons dans une société où l’on se targue de communiquer.

 

Où l’on se fait croire que l’on communique.

Ou l’on ne parle en définitive que de soi.

 

Curieux que la communication que l’on promeut comme l’action de partager ne soit en fait que l’action de divulguer. Un leurre.

 

Un miroir aux alouettes, où l’on entretient l’illusion de s’intéresser à l’autre alors qu’il ne s’agit que de soi, soi, et encore soi. L’ère de la communication ou l’ère de l’individualisme, une époque où l’on n’a jamais aussi peu écouté.

 

Twitter est, néanmoins, la plateforme la moins faux-cul dans ce domaine, celui de la promotion de l’individu : «Regardez à quel point, je suis intelligent, drôle, con, à quel point j’ai des amis, à quel point, je suis épanoui ou désespéré»… «À quel point, je suis».

 

Contrairement à facebook, on n’emploie pas le terme « ami » mais « follower » ou « suiveur » en français. Ça en dit long sur le rapport instauré. Impossible d’engager une vraie conversation. 140 caractères et la pensée toujours culpabilisante de squatter la fameuse timeline, c’est forcément un frein. Si vous n’êtes pas sans arrêt connecté, vous loupez forcément des infos importantes mais tout le monde s’en fout. Ce qui compte, c’est l’instant, le long terme se désintègre. Les échanges sont comme dans la chanson de MGMT «to live fast and die young. Now let’s have some fun». Sur Twitter, tout est affaire de slogan, il faut être le plus synthétique possible, le plus percutant possible. Le message doit être comme un slogan : accrocheur et séduisant. La publicité appliquée au plus grand nombre. Et pour finir, on se doit d’être performant. Cessez quelques semaines, vous perdez tous vos followers. La fidélité n’existe pas.

 

Oui, Twitter c’est le moins faux-cul, car ça ne prétend pas être autre chose que du « cui-cui ». Des gazouillis. Profondeur niveau zéro au-dessous de la mer. Mise en scène au top. Immédiateté. Célébrité. Oubli. Warhol s’était trompé. L’humanité n’a pas eu droit à ses quinze minutes. Beaucoup trop long, il était trop ambitieux. C’est à peine 30 secondes, le temps d’écrire un tweet.

 

Je crois que Twitter est, pour l’instant, l’expression ultime et pervertie de ce qui fait tourner le monde depuis toujours. Ça n’a jamais été l’argent. Ça n’a jamais été le cul, car ces deux-là ne sont que des manifestations d’un phénomène. Ce qui fait tourner cette foutue planète, les humains, c’est le manque d’amour. Nous vivons dans une société où la Pyramide des Besoins de Maslow est satisfaite, à peu près, au niveau 3. Reste l’appartenance. Reste l’estime. Ce n’est pas pour rien qu’en occident, les réseaux sociaux explosent. Que ce soit virtuel ou pas. On appartient forcément à un groupe sur Twitter. Et si l’on est retwitté (RT), nous obtenons un genre d’estime revue à la baisse, au moins la reconnaissance des autres. Y compris des gens que l’on ne connaît pas, ce qui est moins évident sur facebook.

 

 

Pyramide de Maslow

Mais Maslow démontrait que le dernier stade était l’accomplissement personnel (morale, créativité, résolution des problèmes). Twitter ne résout rien de cette problématique-là. Nous sommes en train de nous planter. Le web a permis de développer des solutions qui ne sont que des ersatz, des placebos, en réponse à nos besoins, générant une frustration de plus en plus grande. Car au lieu de grimper dans la pyramide, malgré nos efforts constants, nous nous tapons la tête contre l’étage supérieur. C’est pour ça qu’on a beau avoir 765 followers, il reste toujours ce vague sentiment de solitude, de vanité, de superficialité. Tout cela reste vain.

 

Il faudrait pour tout ça que la promotion de l’individu ait du sens. Un développement durable humain. Il faudrait que chacun se responsabilise de façon à ce que si l’on communique sur Twitter en parlant de soi, cela se rattache à un but plus global. Pas forcément systématiquement. Mais que l’on ne perde jamais ça de vue. Que l’on ait envie d’apporter quelque chose à l’autre. Que l’on obtienne la satisfaction des besoins sociaux et l’estime des autres en contribuant au bien-être de l’humanité. Je caricature, mais il y a de ça.

 

Le manque d’amour fait tourner le monde depuis toujours. Ce n’est pas un chant d’oiseau qui va venir le combler. C’est juste qu’en se penchant vraiment sur ce que représente Twitter, nous pouvons toucher du doigt que nous nous trompons de voie. En occident, nous avons la chance d’avoir le temps, l’énergie, pour nous poser ce genre de questions. Après avoir accompli des prodiges, une société où il fait bon vivre, nous avons cru qu’il était temps de se pencher sur soi. Résultat ? Nous reculons. La société se redivise. L’accomplissement personnel ne peut se faire qu’en restant connecté aux autres. Ou plutôt en restant connecté à l’accomplissement personnel de l’autre.

 

Twitter n’est que la caricature de ce qui se joue actuellement. Alors, à ce compte-là, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout du raisonnement ? Imaginons que tout se fasse en 140 caractères. La vie en 140 caractères. On se parlerait dans la vie comme sur Twitter. Vite. De temps en temps, comme un accident, une vraie conversation naîtrait. Mais la plupart du temps, ce serait juste de la pub et de la connerie. On écouterait à moitié ce que l’autre nous raconte. Ou on ferait semblant de pas avoir lu ou écouté. On ferait le ménage dans sa vie comme dans sa timeline, virant des gens dont on se fout éperdument. Mais la plupart du temps, on les garderait car ils nous suivent… Et surtout on ne prendrait pas le risque de perdre des signes extérieurs de popularité.

 

Quelquefois, on apprendrait vraiment quelque chose.

Mais la plupart du temps, tout cela serait vide de sens.

Sauf qu’on le saurait.

 

Je ne suis pas sûre au final que tout ça serait si malsain. Ce serait probablement plus proche de notre réalité actuelle qu’on ne le pense. C’est peut-être ça qui serait effrayant.

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