La première gorgée de politique : les satisfaits, invisibles, du gouvernement Hollande

20 février 2014 13 Par Catnatt
 William Hall Raine Crowd in Willis Street, Wellington, awaiting the results of the 1931 general election, 1931

William Hall Raine
Crowd in Willis Street, Wellington, awaiting the results of the 1931 general election, 1931

M est une amie chère à mon coeur, une histoire particulière. Nous nous voyons rarement, mais à chaque fois l’échange est profond qu’il soit personnel ou général. Surtout, M est une des rares avec qui je peux vraiment parler de politique, elle aussi c’est son dada et ces discussions sont toujours enrichissantes.

 

Nous n’étions pas d’accord à l’époque de Ségolène Royal : elle l’appréciait et si je reconnaissais des qualités à celle-ci, je soutenais mordicus qu’elle avait un problème quasi rédhibitoire de communication. J’étais persuadée mardi en me rendant à ce déjeuner que M et moi serions d’accord sur le gouvernement et François Hollande, mais non, M n’est pas d’accord et en rentrant à mon boulot, je me suis posée pas mal de questions : est-ce que je critique vraiment la politique du gouvernement ou sa communication, finalement ?

 

Depuis que la gauche est au pouvoir, M tient une petite liste à jour : toutes les décisions politiques qui lui conviennent. M dit que le gouvernement travaille dans la concertation et qu’on ne leur laisse jamais vraiment le temps de finir. M dit que ces décisions ne créent pas de changement dans sa vie – on va dire schématiquement que c’est une CSP+ – mais que pour des tranches de population en marge, ça fait une différence et que ça, ça lui tient à coeur. Vous auriez vu sa façon de défendre le changement décidé pour les contrats à temps partiel qui passent de 16h à 24h par semaine : « Mais tu te rends compte, Nat, de ce que ça va changer financièrement pour toutes ces femmes qui travaillent dans des jobs à temps partiel ! C’est pas rien ! » J’ai répondu TVA, j’ai répondu absence de réforme fiscale Piketti, j’ai répondu retraite mais rien à faire, M n’est pas déstabilisée. C’est une femme profondément de gauche qui aime les gens, sensible aux situations compliquées des classes sociales « défavorisées ». M dit que personne n’est élu s’il dit la vérité sur son programme, M dit qu’elle attend des gens qu’ils s’intéressent vraiment à la politique et non pas au brouhaha généré par les intermédiaires et que ce qu’elle constate, c’est que le gouvernement discute, fait dans la concertation et a fait des tas de petites choses qui améliorent le quotidien de milliers de personnes. M dit que ça lui va, que rien n’est parfait, que ce n’est pas exempt de reproches mais que Hollande défend notre système comme il peut alors que Sarkozy l’aurait démantelé un peu plus.

 

Alors voilà la petite liste de M. Il ne s’agit pas ici de convaincre qui que ce soit, il s’agit juste de démontrer qu’il y a des Français qui s’attachent au côté positif des choses et prennent le temps de le noter.

 

  • Parité totale du gouvernement
  • Garantie de secret pour les mineures qui se voient prescrire un contraceptif.
  • Nouvelle loi sur le harcèlement sexuel
  • Remboursement de l’IVG à 100%
  • Loi pour l’encadrement du prix des loyers
  • Revalorisation du RSA
  • Augmentation de 25% de l’allocation rentrée scolaire pour les familles en difficulté
  • Suppression du droit d’entrée de 30 euros pour l’aide médicale d’état au sans-papiers et aux étrangers
  • Durée minimale des temps partiels passe de 16 à 24h.
  • Augmentation du nombre de professeurs
  • Fin de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers
  • Mise en place des contrats de génération
  • Mise en place des contrats d’avenir pour les jeunes les moins bien formés
  • Titularisation des aides scolaires aux enfants handicapés
  • Réaménagement de la semaine scolaire.
  • Rétablissement de la formation initiale des enseignants.
  • Relèvement de la dernière tranche d’impôt
  • Suppression du bouclier fiscal
  • Doublement de la taxe sur les transactions financières (0,2%)
  • Baisse du plafond du quotient familial pour les familles les plus aisées
  • Abattement sur les successions ramené à 100 000 euros et 15 ans.
  • Impôt à 75% des revenus salariés de plus de 1 million d’euros.
  • Accentuation des moyens de lutte contre la fraude fiscale (sanctions plus lourdes contre les fraudeurs, des moyens renforcés pour la police, la création d’un parquet financier spécialisé dans les délits financiers et l’établissement d’une liste officielle des paradis fiscaux).
  • Retour du taux de TVA sur les livres et le spectacle vivant à 5,5% au lieu de 7%
  • Suppression de la taxe due par les employeurs de Roms et élargissement des métiers auxquels ils ont accès.
  • Diminution des taxes sur les carburants
  • La réforme bancaire (les activités dites spéculatives seront isolées dans une filiale de la même entité bancaire).
  • Augmentation du nombre de policiers
  • Réforme des retraites
  • Une année de cotisation retraite en moins pour dix années de travail de nuit
  • Plafonnement des rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques
  • Loi pour limiter l’abus des stages en entreprise.
  • Baisse du salaire du Président de la République
  • Limitation du prix de l’essence en nouvelle Calédonie.
  • Annonce du retrait des forces françaises d’Afghanistan
  • Grâce à l’initiative de la France, l’aide alimentaire européenne est maintenue.
  • Création des class action
  • Mise en concurrence des opticiens (économie évaluée de 150€ par an pour les porteurs de lunettes).
  • Nomination des patrons de l’audiovisuel public par le CSA.
  • Le mariage pour tous.
  • L’adoption pour tous.

 

Je rajouterai le non cumul des mandats et voici une capture d’écran du site « luipresident.fr » qui suit de près l’application du programme :

Capture d’écran 2014-02-20 à 08.47.51

 

Si 39 sont définitivement enterrées, on constate tout de même que 123 sont en cours. Doit-on s’impatienter ?

 

M me dit : « Tout ça mis bout à bout, c’est pas mal et encore, j’en oublie. Et puis, ça ne change pas notre vie de privilégiés, mais comme je te disais, rien que le temps partiel de 16 à 24h par exemple, ça va avoir un sacré effet sur le revenu des travailleurs pauvres (principalement des temps partiels et à 80% des femmes…). Voilà.  Affaire à suivre. En parallèle, je te recommande de lire une bd intitulée DOL qui a fait un travail équivalent sur le second mandat de Chirac et qui montre toutes ces petites décisions (souvent inverses évidemment) prises par Raffarin et qui ont sapées discrètement l’état providence. Tout est une affaire de présentation, et les faiseurs d’opinion ont trop souvent tendance, à mon goût, à dénigrer pour se grandir, sans toujours prendre la mesure du service qu’ils rendent ainsi aux adversaires de la démocratie. Par exemple je me suis rendu compte aujourd’hui que le PIB de l’Union Européenne était équivalent à celui de la Chine, de l’Inde et du Brésil réunis ! Pas encore fatiguée la vieille Europe…elle est encore #1 mondial. »

 
Pour finir, M m’a dit quelque chose qui m’a vraiment interpellée. Pour elle, l’impopularité de François Hollande n’est pas uniquement liée à ce qu’il fait mais à notre rapport à la fonction. Lorsqu’on regarde les courbes d’insatisfaction* des Français par rapport à leur Président de Vème République, on constate que la descente est infernale : Charles de Gaulle était à 25% de mécontents en 1961, ils étaient 31% en 1968 lors de son second septennat. Pompidou en 1971 était à 24% et Giscard à 39% en 1976. Quant à Mitterrand**, deux ans après son accès au pouvoir, ils étaient 48% en 1983 et 39% en 1990. 65% pour Chirac en 1997… 61% en 2004. Concernant Nicolas Sarkozy c’était 63% de mécontents et pour finir François Hollande achève la descente infernale avec 81% de mécontents.

 

Cela dit quelque chose, quelque chose de notre rapport au système que nous vivons, la Vème République est obsolète et s’entêter est une forme d’autosabotage de la part de nos dirigeants. Je crois que M a raison, les sondages disent autre chose que ce qu’on nous annonce mais personne ne veut voir…

 

Cette conversation m’a destabilisée. Me suis-je laisser happer par le miroir aux alouettes de la communication ? Moi qui réclame du temps à titre personnel et sociétal, moi qui plaide pour la discipline et la patience, suis-je encore crédible quand je m’excite comme tout le monde sur les petites phrases, les couacs et les titres des journaux ? Est-ce que je nage pas en pleine contradiction ? Cette conversation aura eu le mérite de me faire réfléchir. Il n’est pas question d’indulgence, il est question de sortir la tête du guidon et de prendre du recul. Qu’est-ce que j’espérais ? Vraiment ? Des lendemains qui chantent ? Un vrai changement ? Suis-je à mon âge assez naïve pour croire à ces conneries ? Est-ce que je suis vraiment de gauche si je ne suis pas capable de donner de l’espace à des décisions qui ne me concernent pas directement ? M reste calme et posée tout le long de la conversation et moi, je m’emporte. Ca dit quelque chose aussi…

 

Et je me demande si la grande question, la seule question finalement, c’est : la Politique – avec un grand P pour la noblesse qu’elle suppose, P comme profondeur, patience et probité – est-elle encore compatible avec le rythme effréné que nous vivons et que nous finissons par nous aussi exiger ? Et si elle n’est plus compatible, quel système va finir tôt ou tard par s’installer ?

 

* Source : http://www.revue-pouvoirs.fr/IMG/pdf/Pouvoirs41_p157-162_popularite-presidents.pdf

** Source http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20140207.OBS5507/infographie-le-comparateur-de-popularite-des-presidents.html

A ce sujet, je ne prétends pas du tout avoir fait un travail rigoureux. C’est juste à titre indicatif, mais peut-être que des journalistes peuvent se pencher sur le sujet, non ?