Haunted
Je regardais le psy, sidérée par sa capacité à m’avoir cernée aussi vite. Suis-je aussi transparente ? Aussi accessible ? Baptiste me regardait.
Vérité. Mensonge. Mon fils et moi, nous nous étions lancés dans une conversation de haute voltige, quasi philosophique, l’un à une extrémité, l’autre à l’opposé et pour que nous nous comprenions, il fallait saisir ce qui, chacun, nous animait sur ce sujet épineux : qu’est-ce que la vérité ? Qu’est-ce que le mensonge ? Et la sincérité ? Et le déni ? Ils s’entrechoquent tous en définitive et bien malin celui qui démêlera le faux du vrai.
Pour Baptiste, seule, la vérité blesse. Pour moi, seul, le mensonge blesse.
-Il n’y a que la vérité qui blesse ! Le psy a levé un doigt pour appuyer son propos tout en me regardant et reprenait la phrase que Baptiste venait de prononcer. Il avait l’art et la manière de souligner les propos importants de mon fils. Ce type est d’une rare intelligence et il venait de me dire – pas de cette manière-là, ce sont mes mots – que le mensonge était la grande affaire de ma vie, chose dont j’avais pris conscience que très récemment.
Nous sommes tous hantés par quelque chose. Je l’ai dit il y a très longtemps, dans une vie, il y a toujours un évènement, spectaculaire ou infime, une phrase, légère ou assassine, un regard, appuyé ou fugace, quelque chose qui nous hantera pour toujours. La pierre angulaire. Et si tu ne comprends pas ce qui t’occupe, comme si tu étais un territoire occupé, enfin pas comme si, nous sommes tous des territoires occupés reconnaissons-le, si tu ne comprends pas le fantôme dans ton placard, tu seras toujours possédé. Et si la liberté existe, elle commence quand tu affrontes la hantise.
-Pour vous, dès que les gens ouvrent la bouche, c’est potentiellement pour mentir. Avant tout.
Ce ne sont pas les mots exacts du psy, mais ça voulait dire à peu près ça. je me suis défendue :
-Mais je crois fondamentalement aussi à la parole qui soulage, libère. Je crois en la mise en mots.
-Qu’est-ce qui s’est passé pour que tout soit mensonge ?
Ce n’est pas tout à fait le mensonge en fait. C’est plutôt une question d’apparence, les apparences mensongères. L’image que renvoyait ma famille à l’extérieur et ce qui se passait à l’intérieur n’étaient pas tout à fait raccords.Et aujourd’hui, plus on me présente une image proprette, plus j’ai tendance à me méfier. Je crois que rien n’est évident. Je crois les gens sincères, mais dupes d’eux-mêmes, moi la première. Et il faudra un jour que je comprenne pourquoi moi, si paranoïaque finalement, j’ai pu suspendre mon incrédulité il n’y a pas si longtemps que ça envers quelqu’un qui n’a jamais existé. Un ami imaginaire. Les joies du net… H et moi nous en avons parlé récemment. C’est lorsqu’il m’a dit qu’il avait envisagé de porter plainte que je me suis sentie moins seule par rapport à cette histoire, tout le monde l’avait digérée si facilement. Il faut dire que ma capacité de déni avait été totale et la conclusion traumatisante. La chose était entérinée, tout était devenu potentiel mensonge. Le point d’orgue.
-Ils m’ont tous menti.
-Qui ne vous a pas menti alors ?
Cela a eu des conséquences et je me retrouve dans ce bureau face à mon fils et un psy.
Cette question lancinante qui me dévore à chaque seconde : « Is it true ? »
Fermer les yeux pour s’épargner ; Les maintenir ouverts jusqu’à épuisement.
Est-ce que je me retrouve face à face avec mon fils aujourd’hui pour faire la paix avec ça ? Baptiste est-il en train de me dire que le mensonge n’est pas si grave que ça ? Que l’importance que je lui accorde est complètement disproportionnée ? Devenue complètement hors de contrôle ? Qu’il serait temps que cela cesse d’être la grande affaire de ma vie ? Est-il en train de me murmurer à l’oreille que je m’épuise à être hantée de la sorte ? Que tout est relatif et que oui finalement, il a raison aussi, il n’y a que la vérité qui blesse ? Et qu’à partir de ce moment-là, dans une logique implacable, le mensonge est fatalement moins blessant quel qu’il soit ? Finalement c’est bel et bien la vérité qui m’a figée, pas le miroir aux alouettes, cette « chose séduisante mais trompeuse ».
Toute l’ironie étant que c’est en fait moi qui suis à nouveau en psychanalyse. Mon fils m’a ramenée devant un psy alors que je croyais que c’était l’inverse. Les apparences mensongères et moi, à l’origine.
Je suis hantée par le mensonge, c’est pour ça que je tente ici sur ces pages d’être la plus sincère possible car je ne veux pas être prise en flagrant délit de travestissement tout en étant paradoxalement dupe de moi-même. Sincérité n’est pas vérité. Toutes ces notions sont des pierres qui tournent en rond, comme dans ce clip, comme une petite mécanique qui se met en branle et me met en mouvement. Après avoir été une horloge sans le savoir, après « aime-moi, donc mens-moi question que je sois rassurée », rassurée, oui le monde marche bien ainsi, après avoir été une chasseuse de mensonges pour mieux tomber sur l’ami imaginaire, qu’est-ce qui reste ?
-J’entends ce que tu dis Baptiste – et me tournant vers le psy – c’est quand même dingue que l’on puisse vivre auprès de quelqu’un chaque jour et de réaliser à quel point notre perspective est différente. C’est fou.
Chaque chose, chaque évènement a autant de faces que de protagonistes multiplié par autant d’inconscients. Peut-être ce qui s’approche le plus de l’infini. π.
On dit que nos gênes sont affectés par les traumatismes sans que notre ADN n’en soit véritablement modifié et que nous les transmettons à nos enfants qui intègrent de la sorte nos chocs et ceux des générations précédentes. C’est pourquoi nous sommes dès la naissance finalement hantés et que par la suite, nous rajoutons notre couche de hantise sans que nous puissions finalement faire la part des fantômes du passé et notre propre création. Des réactions en chaîne, des pierres qui s’entrechoquent ou s’enroulent les unes autour des autres.
Cette question lancinante qui me dévore à chaque seconde : « Is it true ? »
Haunted.
Entends-tu le bruit des aiguilles de l’horloge ? Les aiguilles de nos mécaniques intérieures ?
Junk Son – True (Official Video) from Toby Mortimer on Vimeo.