Les affections

18 décembre 2016 0 Par Catnatt

904318_597333893630147_398595746_o

On ne s’en rend pas toujours compte, mais de temps en temps, on aime ses enfants en pilote automatique. C’est un fait acquis, ça flotte, ils sont là. Charlotte a grandi. D’une petite fille réservée, elle est devenue une jeune fille épanouie. J’ai réalisé il y a peu qu’elle avait changé, je m’en suis aperçue entre autres grâce à sa grande bocca ; comme sa mère. Elle nous charrie, son frère et moi et je suis parfois obligée de la recadrer car elle flirte avec l’insolence, mais essentiellement elle me fait mourir de rire. Pendant quelques temps, j’ai été assez centrée sur Baptiste, les textes le prouvent, j’écrivais beaucoup sur mon fils, moins sur ma fille. Et je la redécouvre à présent. Je raffole de ma fille !

Je regarde son instagram : son monde est bien plus coloré que le mien au même âge. Hétérosexualité, homosexualité, black, blanc, beur, asiat, normalité ou dérangement, beau ou atypique, elle embrasse le monde entier dans toutes ses couleurs. Elle me donne de l’espoir pour l’avenir. Il suffit que je regarde son compte pour me consoler de ce que je lis dans les journaux.

Il est très étrange de constater qu’elle est devenue l’ado que j’aurais adoré être : organisée, coriace, stylée, intelligente. Son caractère de merde ; comme sa mère. Elle bosse comme une tarée, je la croise parfois à minuit en train de bosser ses planches. Elle est tout ce que je n’étais pas, elle est bien dans sa peau et nous restons infiniment complices ; je peux avoir confiance en elle, elle peut avoir confiance en moi. Ce virage dangereux qu’on peut louper en tant que parents, j’ai la faiblesse de croire que nous l’avons pris ensemble. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a un moment où votre enfant n’est plus tout à fait votre enfant : il a ses secrets, il devient un individu et il est facile de rester persuadé qu’il est tel que vous le pensez. C’est faux, c’est une illusion. Les valeurs auxquelles vous tenez, vous avez l’enfance pour les transmettre. À la pré-ado, c’est trop tard, les influences sont extérieures et vous devrez vous reconnecter à votre enfant. Comme vous l’avez découvert à la naissance, vous le redécouvrirez à l’adolescence ; certainement plus tard encore. C’est une quête perpétuelle et vous devrez donner envie à votre chair de vous découvrir en tant qu’individu. Pour ça il faudra accepter d’entendre ou d’admettre que vous avez la plupart du temps merdé et de temps en temps fait de jolies choses. Je sais que mon job est terminé avec Charlotte, je le constate chaque jour. Elle s’est affranchie ; elle est ; je n’ai plus qu’à l’accompagner.

J’espère arriver au même résultat avec Baptiste, même si la quête me semble infiniment plus difficile tant il est secret. Je sais que c’est le plus sensible d’entre nous. Je sais que c’est le plus attentif d’entre nous. Sa façon de s’inquiéter pour moi. Nous sommes maladroits tous les deux et j’attends qu’il grandisse. Le problème c’est que la pierre angulaire de mon fils c’est qu’il ne veut pas grandir ; d’aussi loin que je me souvienne, le temps qui passe l’angoisse. Il n’a pas envie de se débattre avec des responsabilités, des enjeux, il veut être tranquille. Il est bien dans son petit univers, sa mère, sa soeur, le collège, les copains là depuis l’enfance, les jeux. Charlotte au même âge avait une vraie curiosité du monde, Baptiste reste en retrait. Il faut bien avouer que la société ne lui donne pas beaucoup de raisons de s’investir. Baptiste aimerait que le temps se fige, rester dans sa bulle, protégé des risques et des obligations.

Je ne veux pas me planter avec lui et il y a de fortes chances que je le fasse. C’est le plus doué d’entre nous. Il est d’une intelligence rare, il est très fin et fragile. Cela demande du tact et de la patience. Charlotte s’accordait mieux de ma brutalité. Elle a appris à me contrer, elle a appris à me dire non. Baptiste prend la tangente ce qui a le don de me rendre dingue. En fin de compte, je réalise que ma fille s’est adaptée à mon comportement, ma psychologie, probablement parce que nous faisions cause commune : il y avait une ressemblance. Face aux épreuves de sa vie, elle s’est servi quelque part des mêmes leviers que moi pour s’en sortir. Elle a ajouté quelque chose que je n’aurais jamais et dont je rêve : elle est pondérée. Elle ne se jette pas la tête la première dans les emmerdes et je l’admire infiniment pour ça. Baptiste, lui, a ma sensibilité à fleur de peau, mais il n’a toujours pas d’armure. Je crois que c’est pour ça qu’il ne veut pas grandir, il ne se sent pas en quelque sorte équipé, il n’a pas encore trouvé sa manière de négocier avec le monde à moins de penser que l’esquive est une façon de le faire. Et ce sera à moi de m’adapter à lui. C’était facile avec Charlotte, c’était inversé et j’ai cru bêtement que j’avais trouvé la clé. C’était elle qui l’avait. Baptiste et moi, nous nous regardons, je pense qu’il va faire pareil, c’est une erreur magistrale. Il attend peut-être que ça soit moi qui la sorte de ma manche. Cela demande une remise en question de ma part, je m’en aperçois en écrivant ce texte. Comme d’habitude…

Et il y a tous les liens que j’ai créés avec ces gamines qui m’entourent. Vendredi soir, c’était si gratifiant cette affection tangible qu’elles me portent. Clémence, Émilie, Roxane, Bianca et Zoé. Cette déclaration enflammée sur ma générosité (et mon caractère de merde)… Cette confiance qu’elles m’accordent. Je sais que je leur prends la tête parfois, mais je sais aussi qu’elles savent que je suis là. Quoi qu’il arrive. Les voir grandir est tout aussi gratifiant, de jeunes filles ou jeunes femmes, je les vois devenir femmes. Se débattre parfois aussi avec leur pierre angulaire. Ça me touche infiniment quand elles veulent bien partager avec moi. Les longues conversations de fond avec Roxane. Les déjeuners avec Clémence. L’aparté qui s’étire avec Émilie. Adriana et moi qui poussons Zoé avec la promesse de la récupérer si elle se plante (et ça n’arrivera pas). Bianca dans mes bras. Je les aime tant. Je crois que je suis un référent, je crois que je suis un recours pour elles. Si ma vie doit avoir un sens, c’est aussi dans ces échanges-là.

Est-ce plus difficile avec Baptiste parce qu’il est un garçon ? Les dialogues féminins me sont si limpides. J’arrive en terrain inconnu avec mon fils, il va falloir se réinventer. On dit que passer un certain âge, il reste peu de challenges. La faute au quotidien répétitif, en apparence, les mêmes gestes mécaniques, travailler, ranger, Noël, les anniversaires, les grandes vacances, gérer, encore Noël et encore les anniversaires et encore les grandes vacances. Tous les jours semblent les mêmes.

Croyez-moi il n’en est rien, de grands défis vous attendent. Ils sont moins spectaculaires, mais tout aussi importants. Ils se nichent, ils sont quasi invisibles, mais ils sont là. Quand vous démarrez dans la vie, tout est visible, vous savez ce qu’on attend de vous, les obstacles et les objectifs sont tangibles. Pourtant, plus le temps passera, plus ils vont devenir imperceptibles, cela demande de la subtilité.

Il fait bon vieillir, il fait bon être dans la transmission. Même si c’est parfois compliqué d’être confronté aux nouvelles générations et qu’il est bien confortable de rester avec des gens de son âge, le faire c’est s’assurer d’être toujours en mouvement, d’être dérangé dans son petit confort, secoué. Parfois je doute, je cherche ma place, je me fais l’effet d’une vieille rombière, mais d’être confrontée à cette génération m’aide chaque jour à élever mes enfants. C’est précieux.

Je suis aimée. Je suis chiante, mais je continue d’être aimée par des gens nouveaux. C’est peut-être ça aussi le secret pour tenter de bien vieillir : être aussi aimé par ceux et celles qui, hier, vous étaient inconnus, porté par cette affection et ce regard neuf sur vous. C’est peut-être ça qui tue à petit feu : être aimé uniquement par des gens qui vous connaissent par coeur et vous fige malgré eux. C’est confortable, mais ce n’est pas le sens de la vie. La vie c’est l’étranger, la rencontre, le péril ; le réconfort c’est votre univers, vos amours de toujours, vos abris. Ne confondez pas les deux. Depuis combien de temps n’avez-vous pas été aimé par quelqu’un de nouveau ?

Et je veux être aimée par mes enfants comme s’ils me rencontraient par hasard. Pour ce que je suis, pas parce que je suis leur mère. Et je veux les aimer en retour de la même façon. Si ça, c’est pas l’un des défis de ma vie, alors il n’y en a aucun.

Être toujours réellement attentif : parle-moi, dis moi ce que tu ressens. Ce que tu ressens vraiment…

Ce choix de Thomas Azier, la chanson et le clip est pour Baptiste.