L’attrape-secondes (anyone’s ghost)

23 septembre 2018 2 Par Catnatt

-Je ne peux pas t’expliquer, ça m’a gênée que tu publies ça sur facebook, je pense que cela aurait dû rester entre vous et tu aurais dû t’expliquer avec lui directement. C’est privé.

Ma réponse est tombée, brutale :

-Mon blog n’est pas négociable. C’est à prendre ou à laisser, avec moi, pour moi, ma manière de pactiser avec le monde. Ça n’est pas négociable.

Ça fait onze ans que j’écris et que je publie et jamais cette amie chère à mon coeur ne m’avait posée de limites. Je comprends que c’est forcément plus compliqué lorsque le degré de séparation entre le sujet et le lecteur est quasiment inexistant.

Il y a chez moi la volonté d’exhiber des problématiques personnelles. Allez le voilà, le mot : exhibitionnisme ; cette zone trouble qu’on appelle extimité. Je ne fais même pas semblant d’en faire une fiction, bien que j’habille toujours un peu la vérité : je pousse certains curseurs. J’ai la faiblesse de croire qu’au détour d’une phrase, je m’éloigne de moi pour rejoindre le nous ; vous et moi. C’est peut-être une illusion.

En 10 ans de blog, c’est simple, j’ai commis toutes les erreurs possibles et imaginables, les erreurs de ceux qui écrivent sur le net. Il y a 15 textes que je regrette d’avoir publié, en fait il s’agit de 15 chapitres d’un mauvais roman. Je ne regrette pas parce que c’était mauvais, je regrette parce que ça a blessé quelqu’un ; et pas celui qu’on croit. Ce sont les seuls. J’aurais préféré que ça se passe autrement. J’aurais préféré que personne ne sauvegarde ces pages et les donnent comme une blessure à celle qui n’en demandait pas tant. Oui, je regrette : trop tôt, pas assez bien écrit, expliqué, trop à vif, trop à encaisser. Une question de forme. Pour le reste, j’assume chaque lettre et chaque virgule.

Je sais que je fais partie des dinosaures, ceux qui ont un blog personnel et l’ont continué. Combien sommes-nous encore ? Sommes-nous tous voués à disparaitre ?

À noter que je n’oblige personne à lire non plus. C’est important de le préciser.

Pourquoi avoir publié ce texte la semaine dernière ? Je l’ai déjà dit, c’est ma manière de pactiser avec le monde. Écrire pour moi, un journal, ne marche pas, c’est la publication qui déclenche la catharsis. D’ailleurs, le texte n’est jamais fini lorsque je le publie, il est corrigé, complété après parce que précisément lorsque le texte rencontre le monde, les idées ou formulations surgissent. Je ne me l’explique pas clairement, mais on devrait toujours lire mes billets des heures après. Plus les fautes d’orthographe et de grammaire (merci mes lecteurs de la semaine dernière, j’avais fait très fort !).

Je publie parce que les gens n’écoutent pas, c’est le fond du problème.

Les gens n’écoutent pas, ils entendent parfois, mais cela reste souvent un bruit de fond.

Vous n’avez pas idée de l’attention que vous obtenez lorsque les gens lisent noir sur blanc en public. La présence des autres est un levier extraordinaire. Sur le texte de la semaine dernière, j’avais tenté d’expliquer verbalement ce que j’ai écrit pendant des années au concerné. Des années ! En vain. Si j’ai écrit sur Solange, c’est parti du même levier : une absence de réponse. Si j’ai écrit sur ma demande de débaptisation, c’est aussi parce que l’Église n’écouterait pas ce que j’avais à dire.

J’écris parce que ça me rend dingue qu’on ne prête pas attention à ce que je ressens. Vous me direz, c’est relativement narcissique. Certes. Bon… Admettons, c’est complètement narcissique.

Je publie parce que les gens ne parlent pas, c’est le fond du problème.

Les gens ne parlent pas, ils bavardent la plupart du temps.

Je discutais avec ma chiro et lui demandais – ma grande question, mon ultime question, non pas la mort, mais le silence – pourquoi la plupart des êtres humains ne répondent pas, ne s’expriment pas.

Pourquoi ?

Parle ! P… Mais PARLE !

Je ne me souviens pas très bien de sa réponse, mais il y avait là une mécanique d’enfant. Nos attitudes face au silence se distribuent selon qu’on nous a reproché de trop parler ou pas assez ou qu’on en a trop entendu ou pas assez.

Trop.

Pas assez.

J’ai une lettre de quatre pages enfermée à double tour que j’ai essayé de donner deux fois.

Deux fois le silence.

Pourquoi ?

Les textos, les mails, les lettres, tous ces mots qui se heurtent au silence alors que c’est si simple en principe de s’affirmer, d’affirmer ce que l’on ressent : non merci je ne suis pas intéressé/ je ne t’aime pas / Je ne veux plus échanger avec toi / Ce n’est pas contre toi, c’est pour moi.

Ces silencieux, enfants, en auraient trop entendu ? Pas assez ? Trop dit ? Pas assez ? Pourquoi nous retrouvons nous à guerroyer contre le plus important cadeau que nous nous sommes faits, nous l’humanité, le langage ? Notre caractéristique, notre handicap ; l’ironie du sort.

On ne veut pas blesser ce serait la grande explication. Si les gens réalisaient que le mutisme est bien plus destructeur… Isabelle appelle ça aussi la technique du pied dans la porte : la personne reste là, ni dans ta vie ni sortie, au milieu, son silence au milieu. Au cas où elle reste là, au cas où un jour elle saurait dire, au cas où elle voudrait revenir, au cas où un jour elle trouverait les mots ; nos fantômes.

Ce ne serait jamais vraiment de l’indifférence, c’est de l’encombrement. On ne sait pas faire, on reste démuni et les silencieux seraient bien plus malheureux que nous le croyons.

On blesse toujours. Personne ne traverse le temps sans heurter. Je préfère blesser en disant ma vérité, sachant qu’elle n’est pas empirique, qu’elle est juste un point de vue à un instant T plutôt que de ne rien dire et de rester coincée avec.

-J’espère que tu n’écriras jamais ce genre de choses sur moi !

Est-ce cela ta véritable angoisse ?

Que je commette à ton égard ?

Une commentatrice me faisait remarquer que j’écrivais souvent contre. C’est peut-être le cas depuis quelques temps, mais longtemps j’ai écrit pour. Et puis on le sait, c’est bien plus compliqué d’écrire les jolies choses. « Écris quand ça devient gênant » dit Olivier. Ça fait bientôt 10 ans qu’il me l’a murmuré comme un mantra qu’il m’offrait. J’écris quand ça déborde et croyez-moi, ça me laisse pantelante. J’écris quand je ne comprends pas, quand on ne me laisse pas la possibilité de débattre, la possibilité de négocier. J’écris lorsque je suis dos au mur.

J’écris parce que dans la vraie vie, on laisse passer le terrible masqué en boutade.

J’écris parce que dans la vraie vie, par crainte, on laisse couler les autres.

J’écris parce que dans la vraie vie, notre seuil de tolérance aux vacheries est beaucoup plus élevé.

Dès qu’il y a des images ou des mots entre, n’avez-vous pas remarqué que notre capacité d’indignation s’élève ? Comme si ce filtre dissipait le brouillard ?

Vivez une situation.

Lisez-la.

C’est un petit pas de côté qui bouleverse l’analyse comme si ressentir, notre empathie, nécessitait une ambassade.

Une fille se fait agresser devant vous ; vous regardez un film où une fille se fait agresser devant vous. Vous assistez à une « Festen » ; vous regardez « Festen ». Vous vivez quelque part ; vous lisez ce qui s’est passé quelque part.

Nos réactions sont souvent plus exacerbées face à la fiction. La réalité souvent paralyse. Les images et les mots sont des loupes à notre aveuglement et si nous luttons autant avec, c’est qu’au fond nous ne voulons pas voir.

J’écris parce que toutes les erreurs ou presque que je reproche, je les ai moi-même commises.

J’écris parce que je reste cette éternelle gamine paralysée par la peur, qui refusait de comprendre ce qui se passait sous ses yeux, mais ne le saisissait que trop bien.

J’écris parce que je n’ai rien dit.

J’écris parce que lorsque j’ai parlé, c’était déjà trop tard.

J’écris parce que j’ai laissé passer le terrible masqué en boutade.

J’écris parce que j’ai un fantôme près de moi à chaque instant.

Depuis, j’essaye désespérément de refaire l’histoire à travers d’autres sachant pertinemment que c’est en pure perte, pour rattraper le temps.

Ce blog c’est mon attrape-secondes, un guet-apens ; mon arme contre le brouillard, ma liberté, le secret, mon répit.

Mon silence ne hantera personne.

Je ne serai le fantôme de personne.

Voilà pourquoi j’écris si c’était encore à expliquer.