Avançons masqués ( Shadow Of A Man)

24 juillet 2021 2 Par Catnatt
American, British, French, & German masks [gas] (LOC)

Je voudrais qu’on m’explique un truc : pourquoi on passe son temps à expliquer aux mômes qu’il faut être gentil avec les autres toute leur enfance si c’est pour que 15 ans plus tard, ça commence à ressembler à un défaut ? Vous l’avez tous entendu cette phrase, non ? Ou mieux vous la prononcez à votre tour ?

Je sais qu’il y a quelque chose de naïf dans cette question, mais n’est ce pas surtout absurde ? Être poli n’est pas être gentil. On pourrait gérer l’éducation entière d’un enfant par la loi. Nulle besoin de gentillesse là dedans, il y a un ensemble de règles à respecter c’est tout.

Si tu mets une baffe, tu risques tant. Point. Pas la peine d’expliquer que tu heurtes un être humain, pas la peine de t’interroger sur les émotions qui te poussent à blesser quelqu’un, tu as juste besoin de connaitre le risque juridique.

Mais non. J’ai été élevée par le « il faut être gentille Nathalie » et 15 ans plus tard, j’étais déjà la petite soeur des pauvres. C’était trop, c’était encombrant, c’était chiant.

Il m’a dit que ce que j’estime être mes deux points forts, probablement mes seuls, étaient des défauts. J’étais pas empathique, mais trop empathique. Je n’étais pas à l’écoute, mais trop à l’écoute. Trop gentille.

Il m’a demandé de ne pas être moi.

C’est pour ton bien.

Il faut corriger ça. Ça prend trop de place.

Les émotions, les émotions, les émotions, les émotions.

Il manquait juste le mot hystérie.

« I am but a shadow of a man
I live by the grace of your land
I slide over your pillow
By sunrise I’ll be gone »

Beaucoup trop d’émotions.

Que suis-je sans elles ?

Suis-je un cv ? Une bio ? Un profil linkedin ?

Que suis-je sans ce qui me fait battre le coeur ?

Je pourrais rajouter à cette bio qu’on m’a demandé de ne pas être moi, ce que je suis intrinsèquement sans qu’aucune trace des émotions que j’ai ressenties à ce moment là ne subsistent ; le bruit de mon coeur quand il entend ça, la petite déchirure, l’impact, la petite négation.

« Don’t try to chase me
You would never understand
Don’t try to change me
What I am is what I am »

J’ai fait du mal dans mon existence, c’est vrai, mais je peux l’affirmer tranquillement, je suis gentille à 90%. J’écoute spontanément les gens, rien ne me passionne plus que leurs histoires, leurs problématiques ; leurs émotions. Leurs satanées émotions. Ce que depuis des années je nomme mon job d’être humain.

Je suis gentille et c’est devenu un défaut. Allez, on l’a tous dit, en amour, t’es trop gentil, c’est pour ça que tu restes dans la friend zone, que tu te fais briser le coeur, que tu t’es fait entuber, trop bon trop con. Hélène Thomas disait “Le monde devrait remercier cette étonnante cohorte de gens qui font toujours preuve d’une insolente et illogique gentillesse.”

Et c’est vrai qu’il y a une certaine forme d’insolence et d’illogisme là dedans. Chaque jour qui passe est une démonstration de l’absurdité de persister.

Au nom de quelques rares moments de grâce.

Donc par pitié, arrêtez de dire à vos gosses d’être gentils, ça ne sert à rien de leur apprendre ça si c’est pour les jeter dans un monde pareil. Vraiment, je suis très sérieuse. Si vous voulez un argument supplémentaire, je suis tombée de l’armoire quand j’ai lu dans le Larousse qu’ils assimilaient ça à de la complaisance. Faudra m’expliquer pourquoi comme des connauds, on a perpétué cette tradition. La bonté est aussi un synonyme de la complaisance pour notre société, alors, arrêtons les frais. On ne fait que jeter du bétail dans la fosse aux lions.

Je fais une vraie différence entre les deux et je crois sincèrement qu’on ne peut pas m’accuser de complaisance, ça non. Quand j’écoute quelqu’un, j’envisage toujours le point de vue en face. On ne se sort d’une situation que par le compromis, rarement par l’unilatéral. Je cherche toujours à tirer les gens vers le haut, au moins qu’ils aillent bien. Je suis loyale, on m’a suffisamment reproché d’être beaucoup trop exigeante. Je cherche toujours à être la meilleure version de moi et je fais pareil avec les autres. Je n’ai probablement pas toujours raison, je me plante évidemment, mais je cherche à être un être humain digne de ce nom.

Je ne sais pas si ça vous fait pareil, mais je regarde le monde dérailler au ralenti en ce moment. Cette agressivité, cette violence latente, cet égocentrisme crasseux, le non respect de ce qui est pourtant évident ; cette cruelle absence de gentillesse. On dénonce des infirmières qui habitent quelque part pendant le confinement. On porte une étoile jaune parce qu’on refuse le pass sanitaire.

On crie à la dictature.

On est tenté par la dictature.

On hurle. On s’empare. On détruit. On déforme. On désinforme. On assomme.

Chaque jour, j’assiste à de petites prédations.

Mon monde d’après est un univers glaçant peuplé d’êtres sans limites morales au nom de l’obtention immédiate de leurs objectifs. Le surmoi s’évapore.

Ça grignote, ça contamine, c’est de la corrosion et on recule ; la peur prend ses quartiers.

J’imagine que ça a dû commencer avec le port du masque. Nous nous sommes protégés, mais nous avons cessé de nous voir, nous ne nous distinguons plus les uns des autres, une paire d’yeux et c’est tout, plus d’expressions, tous en uniforme facial, nous avons quelque part disparu, notre singularité s’éclipse. L’autre est devenu un danger et c’est bien pratique pour justifier ce train qui déraille.

Que se racontent-elles ces personnes quand elles se croisent dans la glace ? Celles qui sont tellement obsédées par un sujet, d’immenses oeillères, un seul prisme, qu’elles se déshumanisent ? Elles doivent bien, l’espace d’un instant, se heurter aux fantômes de ce qu’elles auraient été si elles avaient été à l’écoute de leurs émotions, été gentilles, à l’écoute de l’autre, non ?

« I’m just a presence you can’t see
Only in your mirror I appear
And gently you look through me
As if I weren’t here »

Vous croyez qu’on a élevé ces gens en leur répétant « sois cruel » ? C’est une méthode éducative qui m’a échappée ?

Il faudrait avancer masqué là dessus aussi, être chiche, l’empathie à l’économie. Voire pas du tout ? Un monde de sociopathes contrôlé par la loi.

La gentillesse n’est pas rentable, elle est chiante et encombrante. Elle a toujours été sous estimée et ça ne va pas en s’arrangeant. Ok. J’ai quand même envie de leur dire aux gens du camp d’en face : méfie toi de ce que tu désires, il se pourrait que tu l’obtiennes… comme dit le proverbe.

Que deviendras tu lorsque tu seras uniquement entouré de personnes, de robots, sans émotions, sans empathie, sans écoute, exécutant sans se poser de questions ? Que deviendras tu dans un désert émotionnel ?

And when you’re wide awake I’m back
Just remember you once said
The one you want the most
Is the hardest to be had

Celui que tu veux le plus est le plus dur à avoir. Ce dernier, en fait c’est nous. Celui que nous voulons le plus c’est nous, notre meilleure version et le plus dur n’est pas d’obtenir, mais de tenir. Tu peux choisir de tenir d’une main de fer une version ambitieuse, froide, efficace. Libre à toi, mais tôt ou tard, tu n’auras plus de limites, tu ne le circonscriras plus à un domaine précis, ça va t’échapper, ça va se répandre comme un poison. Personne ne tient une double vie très longtemps.

Ou tu peux choisir de tenir ce que l’on nous a appris petits, tenir malgré les claques dans la gueule à répétition, tenir la version que tu pourras supporter de croiser au bout d’une vie, la version que tu pourras assumer lorsque tu seras seul, celle qui ne te donnera pas envie de dégueuler lorsque nous allons mourir.

La petite négation, ne plus être moi, avancer masquée.

« Don’t try to change me
What I am is what I am »