Mohamed

30 novembre 2008 2 Par Catnatt

Two Hatchet ( Kiowa )

J’ai 6 ans et je rentre en primaire. Je crois même que je l’ai rencontré à la maternelle. Mon meilleur ami, mon pote. Mohamed. Mon père a continué à l’évoquer pendant des années. Je ne suis plus si sure qu’on se parlait tant que ça. Mais il fait partie de mon enfance.Depuis que je suis née, j’ai toujours très mal supporté l’injustice. En tout cas, ce que moi, je considérais comme injuste. C’est viscéralement ancré chez moi.

 

L’injustice allait avec l’anti-racisme. Il me semblait très naturel de ne jamais juger quelqu’un en fonction de sa couleur de peau, sa religion, son origine, sa nationalité. Je n’ai jamais rien eu d’autre que des humains en face de moi. J’étais une enfant assez sauvage et solitaire. Je jouais le jeu mais je n’étais bien que seule. J’étais d’une timidité maladive. Je me souviens de longues heures de torture car j’avais envie de faire pipi et que j’aurais préféré crever sur place que de le dire.

 

J’étais paradoxalement très caractérielle. J’ai piqué des crises monumentales à propos des spectacles de fin d’école. Pratiquant la danse classique, modern jazz et claquettes, je m’étais auto proclamée directrice…j’ai même giflé une copine parce qu’elle ne faisait pas ce que je voulais. J’étais très ironique aussi. J’ai surnommé notre instituteur, M. G “patate” toute une année et apparemment refusé catégoriquement de le nommer autrement. Excellente élève, je bénéficiais d’un crédit à conneries… J’étais une enfant qu’on prédestinait à un avenir brillant. Tout était facile pour moi. Math, français, je caracolais en tête de classe. Je me suis chargée toute seule de flinguer ce destin tout tracé…

 

Mohamed était mon pote. Jusqu’en CM2. Le collège nous a séparé, je crois. Plus de nouvelles. Mais je ne l’ai jamais oublié. Quasiment trente ans après, je reçois un mail. Objet : “comme une bouffée d’enfance”. C’est Mohamed. Mon Mohamed.

 

” Bonjour, Nathalie ! Si tu es bien celle que je crois que tu es… c’est-à-dire la petite écolière qui partagea avec moi les bancs de l’école communale. Alors que deviens-tu Nathalie??…quelles études ? (toi qui étais si bonne élève) je t’imagine au moins avocate..lol…mais dans quelle ville ? ou pays ?”

 

C’était bien moi. Nous échangeons. Un de ses mails est une décharge émotionnelle.

 

“Tu sembles restée fidèle à l’enfant que j’ai connu et que j’ai aimé : pleine de gentillesse, de spontanéité et d’enthousiasme. Te souviens-tu qu’un matin, tu me portas jusqu’à l’école une part de ton gâteau d’anniversaire, je n’avais pas pu m’y rendre avec les autres et cette marque d’attention toucha pour longtemps l’enfant sensible que j’étais déjà. Te rappelles-tu encore que tu es à l’origine de mes premiers émois musicaux ! Et oui, c’est grâce à toi que je suis devenu un grand mélomane aujourd’hui. En effet, tu m’as prêté un jour la cassette d’un grand auteur compositeur contemporain dont le succès ne fut jamais démenti : “Hervé Vilard ” !!! J’ai écouté “Méditerranéenne” tout un été… Merci Nathalie !! Je ne sais pas si, comme moi, tu gardes un bon souvenir de l’époque primaire mais pour ma part ce fut une merveilleuse période, ( Je me demande parfois si je n’idéalise pas un peu ces moments du fait que l’envers du décor à la maison, dans ma vie, était plutôt difficile…) mais je voudrais te dire, que c’est grâce à des enfants comme toi, à leur générosité que d’autres enfants, comme moi, moins heureux dans leurs vies, trouve la force et l’envie de se battre.”

 

Que voulez-vous que je dise… Mon père se rappelle très bien que j’avais peur qu’il refuse que Mohamed vienne à la maison car je lui prêtais des intentions racistes or ce n’était pas le cas. Mohamed n’est pas venu à cet anniversaire et cela m’a fait beaucoup de peine. Je ne me rappelais plus que j’avais eu ce geste envers lui.

 

La musique, déjà ! Bon, Hervé Villard, je ne suis pas particulièrement fière de ce haut fait d’arme musical mais bon… Et déjà des valeurs fondamentales qui m’accompagnent encore. On était deux momes secoués par la vie. Nous n’en avons jamais parlé. Mais nous le sentions. Ce n’était pas rose chez lui, et chez moi, même si je cachais bien mon jeu, le climat était oppressant et agressif. Nous nous étions créé une bulle à l’école. Un temps, un lieu, où nous maîtrisions nos vies. Nous venions de deux mondes différents en apparence. Une petite fille gâtée mais mal-aimée. Et un petit garçon au quotidien difficile mais à la générosité sans failles.

 

Ce que Mohamed représente dans ma vie est fondamental. L’espoir. Je crois que chaque petit geste que nous pouvons faire pour les autres, nous avons le devoir de le faire. Être attentif à son entourage. Donner de son temps. Cela donne du sens à ma vie. Je crois en Dieu. Je suis catholique. C’est venu tard. Le seul moyen que j’ai trouvé pour me réconcilier avec mon histoire et le genre humain. Un moyen de cesser d’être en guerre. D’être apaisée. Le seul moyen de trouver ce monde tolérable. J’ai fini par baisser les armes et m’incliner. Le message “aimez vous les uns les autres” est un fondement de mon existence depuis toujours. Le monde me rendrait malade si je ne croyais pas. Le doute m’assaille souvent, quand j’ai vu un acte de trop à la télévision, dans le journal. Quand l’humain devient à vomir. “Dieu”, l’enfer et le paradis, le catholicisme, “Allah”, la torah ne sont que des mots de vocabulaire. “Dieu” n’est rien d’autre qu’un mot pour désigner ce qu’il y a de meilleur en l’homme. Une énergie plus puissante que notre capacité de destruction. Notre véritable part d’humanité justement. La vie serait mortellement insupportable s’il en était autrement. Il n’y a plus aucun espoir. L’homme ne dépassera jamais sa pathétique condition d’animal encore plus sauvage que les autres. Cette terre est juste un enfer. Et nous allons tout droit vers la catastrophe. La connaissance n’aura été qu’un moyen plus efficace pour anéantir. Je n’accepte pas cette idée. Croire en Dieu donne du sens à ma vie, si ce n’est le cas, je me sens mal, tout est chaos, non, je ne m’y résous pas. Et je ne m’y résoudrais jamais.

 

“Tant d’angélus, ding, qui résonnent et si en plus, il n’y a personne…”

 

Alain Souchon – Et si en plus ya personne

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