Elle

14 décembre 2008 2 Par Catnatt

Edward S. Curtis

Il était une fois, une ravissante princesse. Elle était une merveille d’intelligence, de pertinence, et d’humour. Elle était ravissante, gracieuse et pleine d’énergie. Un jour, elle écouta une chanson et s’écria :

 

« C’est étrange, cette chanson me rend toute drôle, elle me rappelle quand j’étais bébé »

 

Cette charmante princesse venait de découvrir la nostalgie, ce sentiment si doux et à la fois si triste.

 

Chanter, parler, s’exprimer. Choses que notre princesse avait découvertes tardivement. Elle était restée relativement silencieuse pendant ses premières années. Car sa mère comprenait tout. Et sa mère était tout le temps là. Sa mère était le château, la forteresse qui l’entourait. À quoi bon courir le monde ? Sa mère était le monde. Sa mère pensait que cette citadelle était bien jolie. Mais la princesse voyait bien les fissures dans les murs, l’eau qui passait à travers le toit, les portes arrachées, les tuiles inexistantes. Son monde était fêlé. Mais c’était le seul qu’elle connaissait, alors elle le trouvait merveilleux. Même en proie aux doutes. Ces doutes qui l’empêchaient de dire à voix haute comme pour confirmer « Ce que tu as construit, chère Maman, c’est merveilleux ». Car, notre princesse ne pouvait pas confirmer chose pareille, c’était faux. Alors, elle préférait le silence et ne parlait presque jamais. Et les seuls mots qu’elle prononçait étaient compréhensibles uniquement par sa mère. Car elle était toujours là.

 

Face au silence de sa fille, la mère commença à s’inquiéter. Pourquoi ne disait elle pas que la vie ensemble était féerique ? Puisqu’elle y consacrait une énergie dingue ! Qu’elle, sa mère, faisait tout pour que leur royaume se maintienne en dépit des agissements du roi. Oui, le roi. Le propre roi de ce monde détruisait tout ce que la reine construisait. Inlassablement. Il ne voulait pas de ce château. Il adorait la petite princesse mais cela ne l’empêchait pas de rentrer dans des colères monumentales, qui le conduisait à mettre le feu partout, à anéantir toute tentative de restauration de ce qui fut. Tel Attila, il semait la destruction sur son passage. Sa seule tendresse était pour la princesse.

 

Et la reine mit au monde, leur monde, un petit garçon. Un petit prince. Cela empira les choses. Car le roi avait perdu un fils d’une première union. Un garçon mort noyé par accident. Cette douleur, chevillée au corps du roi, amplifia et celui-ci supportait mal la vue d’un nouvel héritier mâle. Ses pleurs, ses rires, son existence même était une insulte au disparu. Le roi n’y pouvait rien, c’était bien plus fort que lui. Et quand il faisait des efforts, le chagrin l’envahissait tôt ou tard. La naissance de ce fils fut un lot de dynamite posé dans leur château. Et cela explosa. Les flammes cernèrent la forteresse déjà en péril. La reine, sa princesse et son petit frère s’enfuirent au loin. Et la reine, courageusement, entrepris de fonder un nouveau royaume. Le sien. Libre et indépendante. Même si la solitude était éprouvante, cela valait mieux que de subir les foudres du roi.

 

La petite princesse put faire la différence. Certes, ce n’était plus vraiment un château, c’était une cabane mais sa mère riait. Souriait. C’était très étrange pour la princesse. « Maman pouvait rire ? Maman pouvait sourire ? ». Émerveillée par ce phénomène, la princesse, quinze jours après leur fuite, se mit à parler. La reine ne pouvait pas le croire. Alors, c’était ça ? Le silence de sa fille était le sien. Tout ce qu’elle n’avait pas dit, la souffrance, la révolte, écrasées par cette volonté de sauver un royaume chancelant, tout cela avait trouvé refuge au sein de sa propre chair et de son propre sang. Sa fille ne parlait pas car, elle, sa mère, ne verbalisait pas l’essentiel, ce qu’elle ressentait vraiment. La reine parlait, certes, mais toujours pour mentir, au final. Elle prétendait être heureuse à l’époque de la vie commune avec le roi mais c’était un mensonge. Et sa fille avait préféré renoncé à la parole plutôt que sortent de sa bouche des mots contraires à ses émotions.

 

La princesse ne se lassait plus de parler. Mais elle était consciente que leur nouvel empire demandait beaucoup de travail. Alors, elle se mit courageusement au travail, elle si petite. Elle fut organisée, responsable. La reine, très préoccupée par ce nouveau défi n’avait pas forcément le temps de jouer, de s’amuser. La petite princesse en déduisit qu’il fallait être sérieux dans la vie. Et surtout maman était tellement fatiguée par moments. Et son père qui ne venait jamais la voir. Il fallait être à la hauteur. Maman était partie, avait quitté son père. Lui, ne s’intéressait pas vraiment à elle. Il fallait donc être parfaite pour que tous ceux qui la côtoient ne la quittent jamais. La petite princesse y mit tout son cœur. Surtout elle s’acheta une paire de chaussures magiques qui empêchait les enfants de s’envoler trop haut, au pays des rêves et des jeux. Ces chaussures étaient en plomb pour que toujours les pieds de la princesse soient vissés au sol, dans la réalité. La princesse devait être adulte. Elle ne joua plus. Elle aida sa maman.Elle tut ses chagrins et ses peurs pour protéger sa mère. Celle-ci n’avait pas besoin d’ennuis supplémentaires. C’était si dur, si compliqué apparemment de gérer un tout nouveau royaume autonome. La petite princesse était très réservée, responsable, encore responsable, toujours responsable. Beaucoup trop pour une enfant de son âge. La reine était très fière. Leur pays s’améliorait. Cela devenait confortable. Et c’est vrai que l’attitude de sa fille était une aide précieuse. Cette jolie princesse, toujours vaillante, toujours fiable. Jusqu’au jour où la reine s’aperçut que sa fille ne rêvait plus. Dans ce si joli domaine, l’insouciance n’était pas de mise. Sauf pour le petit prince, protégé à l’excès par sa sœur et sa mère. Et au final, si ,elle, elle riait et souriait à nouveau, sa fille, elle, ne souriait pas tant que ça, tellement préoccupée à être à la hauteur des espérances de tous. Tellement concentrée sur ce but à atteindre. Elle observa attentivement sa princesse. Et tomba nez à nez avec ses chaussures. « Qu’est ce que c’est que ces deux horreurs, noires et énormes ? » Elle essaya de soulever sa fille. C’était impossible. La reine fut bouleversée. Sa fille s’empêchait de rejoindre l’univers des enfants, ce lieu auquel elle avait, pourtant, droit, là haut, dans le ciel.

 

« Mais je veux que tu t’envoles, mia principessa. Tu dois être insouciante, c’est le temps de ton enfance, tu as toute la vie pour être adulte »

 

Alors, les choses changèrent. L’objectif du royaume fut de faire revivre, renaître l’innocence, la légèreté. Tous les moyens furent employés pour que la princesse prenne confiance en elle. Ce fut compliqué. Car la reine s’aperçut que si sa fille avait peur de s’envoler, loin du royaume, au pays des rêves, c’était parce qu’elle avait peur que sa mère ne soit pas là quand elle rentrerait. Que sa mère penserait que la princesse l’avait trahie en faisant cette escapade. La reine s’empressa de la rassurer. « Non, non, non ! Envole toi, je serais toujours là à ton retour. » Et elle arracha, non sans peine, les chaussures de plomb de sa fille.

 

Timidement au début, puis de plus en plus régulièrement, la jolie princesse s’offrit des échappées belles. Des parenthèses enchantées. Certes, elle serait toujours plus mûre, plus sage, plus raisonnable que la plupart des enfants de son âge. Mais elle avait rejoint le pays de l’enfance.

 

Les rires résonnèrent partout à travers le royaume de cette famille. Et quand bien même, il y eût encore de nombreuses difficultés, c’était la gaieté qui envahit ce territoire avant tout.

 

La princesse s’appelle Charlotte. Charlotte Lilou. Mon enfant. Lilou, comme le 5ème élément, essentiel à ma vie. J’ai commis de nombreuses erreurs la concernant. Je sais qu’elle en a souffert. Mais je sais aussi que ma fille est actuellement épanouie. Heureuse si tant on peut l’être ici-bas. Je n’ai pas pu l’épargner. Aujourd’hui, c’est un être humain merveilleux. Elle est tellement intelligente, tellement drôle avec son sens de l’humour « froid ». C’est bon de l’entendre rire, chanter dans sa chambre, se prendre pour une star, danser, danser, danser, ricaner avec ses copines. C’est bon de la voir vivre pleinement son enfance. Elle dessine divinement bien. Elle est habile de ses doigts. Elle a un sens aigu de l’élégance, ne commettant jamais une faute de goût. Elle est classe. Dans tous les sens du terme. Je suis fière, tellement fière d’elle. C’est ma plus belle rencontre avec son frère. Différente. Très différente de moi. Elle est tellement « anglaise », tellement « british ». Et je suis tellement italienne.

 

Carmen Consoli chante dans toute la maison. Charlotte dessine près de moi, dans le salon.

 

« C’est étrange, cette chanson me rend toute drôle, elle me rappelle quand j’étais bébé »

 

Je me souviens de ce moment comme si c’était hier. Charlotte n’a jamais entendu cette chanson quand elle était bébé. Je lui chantais « Bateau sur l’eau, la rivière, la rivière, bateau sur l’eau, ma Charlotte fait dodo ». Non, elle n’a jamais entendu cette chanson avant. La musique, si chère à mon cœur, tout le monde le sait, avait bouleversé son petit cœur. Et le hasard, bien que je n’y croie pas, l’avait porté en Italie, pays de ses origines.

 

Elle s’envolera un jour, pour créer son propre royaume. Sa propre vie. Ce jour-là, ce sera :

 

« l’ultimo abbraccio mia amata bambina

l’ultimo bacio mia dolce bambina »

Ti amo, mia bambina…

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