Max

11 janvier 2009 0 Par Catnatt

Chief Joseph - Hin mah too yah lat kekt ( Nez Perce )

Je vais évoquer une période étrange de ma vie, une tranche qui ne s’est pas renouvelée et qui ne le sera jamais. Quand j’ai quitté Rodrigues, je me suis retrouvée seule. J’avais un boulot dans un restaurant. Tous mes potes dans la ville dans laquelle j’étais ne me contactaient pas et les autres étaient sur Paris. J’étais seule. Très seule. J’avais une copine. Angélique et c’était tout. Et surtout ça me convenait parfaitement. Je ne recherchais pas le contact. Une période de repli sur moi-même.J’ai commencé par me louer un appartement qui me convenait. Dorénavant, ce sera toujours la même configuration que je rechercherais : pas de vis-à-vis, une grande pièce à vivre plutôt que plusieurs petites pièces.

 

Mon appart à Bordeaux sera le premier que je choisirais vraiment. Un deux pièces, avec une petite chambre moche et sombre qui me servira de grand débarras, et un immense salon avec deux énormes fenêtres donnant sur une petite rue typique de la ville. Ensoleillé. Perché dans le ciel et spacieux pour une personne seule. Pas de télé. Juste des livres et la musique. Pas de meubles ou peu. Je ne me suis jamais vraiment installée dans cet appart et pour cause. J’ai passé deux années dans ce havre de paix et je travaillais comme une brute. Je me souviens d’un endroit calme, reposant, zen. Je jette des draps blancs sur tout. Une maison comme fermée pour l’hiver. Baignant dans la lumière d’été.

 

À la sortie de mes « brillantes » études, il n’y avait pas de boulot. Je me suis donc retrouvée caissière à tiers-temps dans un restaurant appartenant à trois hommes. Puis barmaid. Puis serveuse. Puis à temps plein. Puis responsable des serveuses. J’étais arrivée bon an mal an à 10 000 balles par mois plus les pourboires. C’était cool. Et je ne faisais rien que bosser, écouter de la zic, boire un coup de temps en temps avec ma cops, et lire. Rien d’autre.

 

Enfin, pas tout à fait. J’ai entretenu une relation avec un de mes patrons. Max. Pendant deux ans. Et je n’ai jamais couché avec lui. J’avais 26 ans, lui allait sur ses 50 ans. Max est dingue. Max a le sens des affaires mais il aurait aimé être un artiste… C’est très compliqué pour définir notre « liaison ». Max commence à m’appeler. Pendant des heures. C’est un égocentrique, il se tape complètement de comment je vais. Il parle. Il fume des joints. Toute la journée. Et il me fait rire. C’est un enfant. Il débarque chez moi, se fume un splif, danse, me raconte sa vie. Ce sont des sketches à n’en plus finir…Il m’apprend des règles que je n’oublierais jamais et que j’applique encore, voire de plus en plus. Personne n’est au courant. Il gare sa moto dans une petite rue, monte les escaliers, et fait son show que j’écoute parfois distraitement. Je suis son exutoire. Je suis sa parenthèse. On s’embrasse parfois. Mais ce ne sera jamais une relation franchement sexuelle. Ni platonique non plus. Un entre deux des plus bizarres. Pourquoi ? Pour des raisons qui ne regardent que nous. Je suis sa pote en fait. Et je suis son ennemie quand il devient paranoïaque. Il me pourrira la vie de temps à autre. Jusqu’à me rendre malade.

 

C’est une relation dont je ne parle jamais. Ou très peu. Comment expliquer ? Comment définir ce qui n’existe pas dans notre société ? Ou si cela existe, cela reste confidentiel. Une relation de malades mentaux. La rencontre de deux névroses. Qui m’a envoyé à l’hôpital…

 

Un beau jour, Max débarque et m’annonce qu’il a l’intention de nous organiser un voyage en moto jusqu’au Maroc. En cachette de tout le monde. Quand j’y repense, je me dis que nous devions être sacrément perchés tous les deux à l’époque ! Nous partons. Bordeaux-Madrid. Un hôtel de taré, son pote fascinant, et une corrida. Madrid-Algeciras. Traversée. Tanger. Tanger-Chefchaouen. Ambiance, ambiance dans ce bastion de la vente de shit..Max en achète et il commence à se cartonner la gueule. Mais on se marre. J’adore le Maroc. On fait des km en moto. C’est notre easy rider à nous. Fez. Hôtel de luxe. Piscine délirante. Magnifique. Et le désert. Max a prévu une nuit là-bas et c’est là que les choses ont dérapé. Max fume non-stop depuis quatre, cinq jours. Moi aussi. Nous sommes défoncés, au beau milieu de nulle part.

 

Vous êtes déjà allé dans le désert ? C’est quelque chose. L’humain infiniment petit face au désert infiniment grand. Le vide absolu. Le silence absolu. Des millions d’étoiles. Un marocain, Max et moi. C’est une atmosphère lourde. Je me sens déstabilisée. Légèrement angoissée. Et Max va m’achever par une phrase malheureuse. La seule dont je me souviens car nous sommes très silencieux depuis que nous avons rejoint le désert.

 

« Je pourrais te tuer là, personne ne saurait jamais »

 

Il n’a rien tenté, entendons-nous bien. Pas un geste. Mais j’ai pas dormi de la nuit. J’ai eu peur. Vraiment la trouille. C’est idiot, non ? Pas tant que ça. Je l’en croyais capable.

 

Le reste du voyage s’est passé dans un climat pas possible. C’était génial mais notre relation avait glissé vers quelque chose de malsain et mon instinct d’autoconservation fonctionnait à plein régime. Ouarzazate. Point final. Je rentre en France en avion, Max continue en moto vers Marrakech où il a un riad. Je lui annonce que je continue mes vacances avec Angélique en Espagne. Il n’apprécie pas. Je suis devenue sa chose. Je dois faire ce qu’il veut. Je résiste. Beaucoup d’hommes dans ma vie ont cru que j’étais leur chose. Je dois engendrer ce sentiment. J’ai une part de responsabilité, c’est certain. Je suis peut-être une grande gueule, une emmerdeuse, une chieuse mais je suis très cool avec mes mecs. Je suis très compréhensive, plutôt douce. Et je me laissais malmener facilement, en fait. J’ai longtemps associé l’amour à la douleur. Chose que je ne fais dorénavant plus.

 

J’ai à peine le temps de rentrer à Bordeaux que je repars. Les vacances en Espagne tournent au cauchemar. Mon trip marocain a fait des dégâts, je somatise comme une malade. Je rentre en France en urgence avec le ventre noué par l’angoisse, j’ai mal et en plus je fais une infection dans le cou (un problème de dents qui a dégénéré bizarrement). Je rebosse mais l’abcès s’étend et je me rends aux urgences. Ya pas photo, ils me gardent et m’opèrent en urgence. À 24h près, c’était la septicémie…J’ai failli en crever. Je me suis toujours démerdée pour finir à l’hôpital quand j’allais très mal psychologiquement. J’adore être là-bas alors que je déteste l’odeur. Les horaires, les contraintes, j’ai l’impression de remettre de l’ordre dans ma vie. J’en reparlerais.

 

Je me remets et doucement et au travail. Max avait lancé un grand projet avant de partir. Monter un bar de jazz à côté du resto, un beau projet que je vais monter avec lui de A à Z. Je bosse 7 jours sur 7 comme une abrutie. Et c’est là que Jean-Pascal débarque dans ma vie. L’ami de Max, cinquante ans au compteur lui aussi. Adorable. Attentionné. Passionnant. Il craque complet sur moi. Et je n’ai de cesse de le faire tourner en bourrique. Soyons honnêtes, je me venge de Max. Celui-ci me fatigue. J’ai eu quelques sex friends pendant cette période mais ma relation avec Max n’est pas due au hasard. Je n’avais pas envie de coucher avec qui que ce soit à ce moment-là. Ça m’arrangeait bien, en fait. Je vivais seule, très contente de cet état de fait, je ne voulais pas d’un mec sur le dos, je ne voulais personne sur le dos, ni amis, ni mecs, ni famille. Max me permettait d’avoir des conversations de temps à autre avec un humain. Du moins hors boulot. Celui-ci n’ose trop rien dire quand je me laisse séduire par Jean-Pascal. Il n’est pas mon mec, il n’a aucun droit. J’ai donc une liaison avec Jean-Pascal. Et je couche avec lui. Mais je le quitte. Souvent. Je suis fatiguée. Épuisée. Gentil, Jean-Pascal m’invite à une escapade parisienne. Hôtel Costes, dîner « privé » chez Ducasse qu’il connaît bien, déjeuner avec des professeurs de neurologie, des écrivains, il fait tout pour m’éblouir et me faire passer un moment rare. J’en ai déjà parlé. Peine perdue. Je suis odieuse. Et je claque la porte, le laissant seul dans cette chambre sublime.

 

Je réalise que ça ne va pas du tout. Ma vie est devenue un grand n’importe quoi. Pour faire court, le projet de bar se termine. Je suis lessivée. Les choses tournent mal avec les autres patrons. J’en peux plus et je démissionne en claquant la porte.

 

Je claque la porte de ma vie, en fait. Et c’est là que la femme de Max intervient. Ha oui ! Je ne vous ai pas dit que Max était marié… Je m’entends très bien avec Coleen. Elle est le seul être humain sur cette planète à supporter Max longtemps. Il a toujours eu le même système relationnel. Avant elle, Max a été marié une première fois et je suppose qu’il a rencontré Coleen de la même façon que moi. Mais c’est une femme exceptionnellement intelligente et il a divorcé et l’a épousée. Elle sait. Elle sait que Max a besoin d’un homme, d’une dame de compagnie. Alors les règles sont très claires : la semaine, Max fait ce qu’il veut. Mais les week-ends sont consacrés à la famille, dans la maison au bord de la mer. Et il respectera toujours ce carcan.

 

C’est Coleen qui me ramasse, en miettes, en fait. Je sais qu’elle sait. Et contre toute attente, le salut viendra d’elle. Elle souhaite m’engager et travailler avec moi dans l’immobilier. Je n’y connais rien, c’est pas grave, elle m’apprendra tout. Elle a un problème en fait. Colleen est malade. Elle a l’hépatite C. À l’époque, peut être encore maintenant, c’est compliqué. Et Coleen fait partie d’un protocole de test de médicaments. La seule chose qu’elle me demande, c’est de pallier ses absences et de la couvrir quand elle est trop malade, bloquée chez elle, à vomir à en crever, ou a être couchée sans forces. Elle me demande de la protéger professionnellement. Et je le ferai. C’est curieux que la femme de mon amant qui n’en est pas un , me fasse confiance, non ? À vos yeux, certainement, mais finalement, pas aux miens. Max est ravi. Même s’il est un peu vert de me perdre comme « homme de main », il est rassuré sur mon avenir. Et il adore que nous soyons amies.

 

Avec Coleen, ce sont des discussions sans fin sur la psychologie, le sens de la vie. Elle est à la recherche de réponses. Moi aussi. Elle est douce. Nous sommes amies même si une distance respectueuse est maintenue par elle et par moi. J’aime qu’elle éclate de rire et je n’aime pas quand elle se sent mal. Quand elle arrive, petite chose ravagée par les médocs qui la rendent malade autant qu’ils la soignent. Mes rapports avec Max s’espacent au fur et à mesure que mes relations deviennent proches avec Coleen. Je ne peux pas être « l’homme de main » de deux personnes. Pas en même temps. Il ne faut pas se leurrer. Je suis devenue la dame de compagnie de la femme de Max. Ils se ressemblent ces deux-là, finalement. Que les choses soient claires, j’y trouve mon compte. Max fut un mentor, Coleen aussi. Ce seront les derniers de ma vie. Max me remplace. Il y a toujours eu quelqu’un pour jouer ce rôle là dans sa vie, homme ou femme.

 

Mais avant de commencer à bosser avec Coleen, nous savons que je dois impérativement me reposer. Elle et Max m’expédient à Marrakech dans leur riad. Le jour où je dois prendre l’avion, j’ai une tuile de passeport. Un contretemps. Un hasard qui n’en est pas un à mon avis. Par ce retard, je vais rencontrer Coleen dans la rue de manière totalement innatendue. Nous discutons et elle me propose de me filer des bouquins pour mon séjour. Je repars avec deux tonnes de livres, dont « la prophétie des Andes » et la suite qui est une série de bilan à faire sur soi-même, en fait. « La prophétie des Andes « est un livre probablement risible mais que j’aime bien. Je ne parle pas de style, mais j’aimais cette idée qu’il y a du sens aux coïncidences. Ça m’est resté. Je suis toujours très attentive à ce genre de choses.

 

Je m’envole à nouveau vers le Maroc. Seule. Je vais y passer un mois. Je ne parle à personne. Je lis et j’écris comme une malade. J’envisage de m’installer définitivement à Marrakech. J’entame une introspection d’un mois. Je fais tous les bilans de la prophétie des Andes. Depuis la mort de ma mère, jamais je ne m’étais posée comme ça. Je réponds scrupuleusement à toutes les questions posées. J’en pleure parfois. Je percute souvent. Le riad est génial. Il respecte l’architecture locale mais les rambardes des étages ressemblent à celles des bateaux. C’est magnifique. J’écris encore et encore dans ma chambre perchée, tout en haut, à côté de la terrasse. Nous sommes en février et il fait beau. Je me baigne. Je rentre à pied, traversant Marrakech. Je bois des thés à la menthe. J’écris. Je me perds dans les dédales de cette ville. J’écris. Je ne veux aucun échange avec qui que ce soit. J’écris.

 

En partant, pour rentrer en France rejoindre ma nouvelle vie, je vais dessiner. Ce que je ne fais jamais. Je prends une jolie feuille, je dessine et écris un texte. Que j’affiche dans la chambre que j’abandonne. J’ai eu Max au téléphone, il y a deux ou trois mois, en novembre 2008, je crois. Mon « oeuvre » est toujours accroché dans leur chambre du riad. Ça m’a fait plaisir. C’était le point d’orgue d’une période de solitude choisie. Désirée. Voulue.

 

Ce billet, c’est deux ans de ma vie. Dense. Riche. Inoubliable. Complexe. Tordue. Mais j’aime savoir que Coleen & Max vont bien. J’ai beaucoup appris à leur contact. Je sais que j’ai un penchant pour les relations hors normes. Des liaisons dangereuses. Plus j’écris « Des rencontres et des humains », plus je le pointe du doigt. C’est moi. Je me suis construite ainsi. Ça m’a rendu plus humaine, plus empathique. Je suis capable de comprendre l’incompréhensible. De plus en plus. Je crois que j’ai toujours voulu être hors limites. Hors équilibre. Hors.

 

Reste de cette histoire, le Maroc, de la solitude enchantée, des pas tracés le long de ballades, une retraite, une vraie, faites de remise en question, d’espoirs, et de paix.

 

Je vais rencontrer mon ex-mari juste après…

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