Handréa

25 janvier 2009 0 Par Catnatt

 

 »Handrea avec un H. Un prénom qui n’existe pas, un peu comme cette histoire. Une histoire de rien du tout, courte, et pourtant essentielle, posant de nouveaux jalons dans ma vie. Handrea avec un H, et un D au milieu comme Dieu. Handrea comme Andrea, le prénom de ma mère.

 

 

Mon mexicain, petit prince bien cadré qui tente de s’échapper. Pour l’instant, c’est le mariage de Grace et Juan, dans une magnifique hacienda. Tout est parfait. Un mariage dans l’aristocratie mexicaine, d’une élégance rare et d’une simplicité sans pareille, comme il est de mise dans ce milieu. Et comme d’habitude, dans les mariages, mes copines repèrent les célibataires et tentent de me les « vendre ». Dont Handrea. Il a un côté Pablo escobar, dealer de haut vol de coke, en costume. Le hasard fait que nous sommes assis l’un à côté de l’autre lors du déjeuner. La noblesse, ça me rend nerveuse. Je ne crois pas au prince charmant qui se casse les pieds à caser un escarpin abandonné, qui plus est au pied d’une domestique…Je crois qu’on échappe peu à ce milieu. Je crois que c’est une machine implacable qui te rattrape toujours.

 

Handrea est charmant. Je me moque gentiment de lui. De sa cravate. Sa famille étant franco-mexicaine, il vit à Paris. Les bras m’en tombent, nous vivons dans la même rue ! Je le regarde effarée, et cette coïncidence ouvre la porte, fermée jusque-là, sur une entreprise de séduction. Il m’intimide. Il est brillant, d’une culture rare, extrêmement bien éduqué, drôle, le gendre idéal. J’ai l’impression de ne pas être à ma place, sensation familière, mais encore plus que d’habitude. L’alcool aidant, la soirée passant, nous nous retrouvons comme deux ados en train de s’embrasser et plus si affinités au fond du jardin. Notre entourage rit sous cape. Handrea et moi, c’est l’association la plus improbable de l’année. Ça m’amuse. Lui aussi. C’est juste un moment d’égarement, bien entendu. En tout cas, c’est comme ça que nous le vivons, en sachant que les lendemains déchantent toujours. Sauf que je commets l’erreur monumentale de coucher avec lui. Quelque chose de très pulsionnel. La légèreté a cédé la place au désir. Et…

 

Et c’est incroyable. Se noyer dans un autre être humain. Tutoyer les anges, entrevoir l’existence de Dieu. Handrea et moi, nous sommes dépassés par ce qui nous arrive. Et je ressens une trouille infernale. Le lendemain matin, je me réveille dans la maison familiale, en sachant parfaitement que dans cette famille très catholique, l’ambiance ne va pas être des plus détendues au petit-déjeuner. Mais Handrea a fait deux choses qu’il n’a absolument pas l’habitude de faire. La veille au soir, après notre premier baiser, il m’a pris dans ses bras devant tout le monde, lui, qui est la réserve incarnée. Et il a « bravé » les tabous familiaux en me faisant dormir dans la maison. Et c’est justement ce qui me fait chavirer et m’effraie en même temps car je sais pertinemment les limites de ces provocations. Pour ceux qui la connaissent, il existe une photo de moi, ce lendemain matin. Celle avec le chapeau blanc d’Yvan. La plus belle photo de moi, il paraît. C’est Handrea qui l’a prise. C’est peut-être la seule chose qui reste de cette histoire avec « la ritournelle » de Sebastien Tellier…

 

Dimitri me chambre dès qu’il m’aperçoit « Alors, bien dormi madame la comtesse ? ». C’est une erreur de casting, ce n’est pas moi, je me suis déjà trompée de chemin. Et je sens que je vais me faire mal. Je perçois déjà la fin. Et je vais pourtant m’exalter. Je vais être d’une maladresse incroyable. Cela fait peu de temps que j’ai quitté mon ex-mari, et je suis démunie dans les relations de séduction. Je suis rentrée à nouveau dans l’arène, et je ne sais pas comment m’y prendre avec les taureaux qui défilent autour de moi.. Mais mon incompétence en matière de relations amoureuses post mariage me laissait relativement indifférente. Jusqu’à Handrea. C’est une corrida suicidaire, je le sais. Il va me mettre à terre, je le sais. Dimitri me le répète lors de nos échanges de mails : « Fais attention. Tu t’emballes trop ». Cette saloperie d’espérance…

 

Les semaines qui suivent sont magiques. Même si je suis plus silencieuse que d’ordinaire. Handrea est dingue de musique, nous enchaînons les concerts, passion commune qui maintiendra toujours un lien entre nous. Notre autre point commun, c’est la perte d’un parent, orphelin de père pour lui, de mère pour moi. Vous ai-je déjà dit que mes derniers amoureux étaient tous dans ce cas là ? Etonnant, non ? Guillaume, Handrea, Théo, Gabriel. Avec Handrea, nous l’évoquerons une seule et unique fois. Pour le reste, c’est musique, ballade en scooter, restos, cinéma en plein air. C’est l’été. Quand je dors chez lui, c’est follement pratique, en deux minutes, je suis chez moi. La douceur d’un mois de juillet, il fait beau et je suis heureuse. Mais je ne me laisse jamais aller. J’attends la fin. Chaque jour. Je suis un pantin désarticulé entre l’espoir fou et la lucidité froide. Mes attitudes sont donc désordonnées. Handrea n’est pas mieux. Parfois, il me regarde comme si j’étais une bombe à retardement. Nous sommes déstabilisés. J’ai souvent envie de fuir en courant. Particulièrement quand il me présente ses amis. C’est là que me saute à la figure l’impossibilité absolue de cette histoire. Ses amis sont, pour la plupart, snobs. Je me sens mal à l’aise. Je n’ai pas de nom, pas de particule. Une de ses meilleures amies, fielleuse, qui a la délicatesse de me montrer des photos de Handrea et de son ex, en me souriant, droit dans les yeux. La première fois que je la rencontre. Et un long regard échangé avec lui, le jugement dans le mien, la perspicacité dans le sien. Et la quasi-absence de communication. Nous ne parlerons jamais de nous. Notre relation. Nous n’emploierons jamais le « nous » à notre propos. Nous conjuguons le « je » et le « tu ». Lors de ce dîner, un des convives viendra à mon secours. Il me regarde et se tourne vers mon compagnon. « Elle est exceptionnelle » dit-il à Handrea. Celui-ci acquiesce avec conviction. « Oui, elle est exceptionnelle ». M’ a t il vraiment pris la main sous la table à ce moment-là, lui si peu démonstratif ? Ou est-ce que j’ai rêvé ?

 

Mais Handrea s’en va. Retourne au Mexique pour plus d’un mois. N’importe quel être humain doué de raison aurait mis cette histoire entre parenthèses. Mais je ne sais plus comment on doit se conduire. Mariée cinq années, j’ai tout oublié. Je fais n’importe quoi. Je me demande s’il pense à moi et mes vieux démons me rattrapent. Au lieu de lui foutre la paix, je veux à tout prix exister. Ou je veux à tout prix tuer dans l’œuf cette histoire. Je deviens donc insupportable. J‘ai probablement gâché le peu de temps qui nous était imparti dans cette existence. Un de ses meilleurs amis me l’a dit après. . «Au Mexique, il m’a dit qu’il était amoureux. Je n’ai pas tellement compris ce qui s’est passé, pourquoi il t’a quitté après ». Quand il rentre, il ne l’est probablement plus. Amoureux. J’aimerais qu’il me le dise. Mais non. Ou il l’était encore et c’est moi qui est étranglé de mes propres mains ces sentiments si fragiles. Car je l’étouffe. L’air nécessaire au cœur des hommes, je l’en prive, je l’avale, je m’étrangle avec. Je le harcèle, j’exige, je m’affole, je m’agite.

 

« Ça le fait pas »

 

Allez, je vais être honnête. Je suis une hystérique dans cette histoire. Le pantin désarticulé oscille entre la gentillesse à coup de petites attentions musicales et les revendications d’une cgtiste de l’amour. Lui aussi, c’était un pantin désarticulé. Déchiré entre ses devoirs, son éducation, son rôle présupposé et ses folles envies, sa volonté d’être libre, d’être un peu plus rock’n’roll que sa vie ne l’autorisait. Il partait en vacances faire du surf, dans des lieux paumés. Il préférait des squatts aux grand hôtels qu’il pouvait largement se permettre. J’étais quoi, au milieu de ce bordel ? J’étais probablement ce qu’il ne pouvait pas être.

 

« Ça le fait pas »

 

Un samedi soir, Handrea me dit qu’il souhaite rencontrer mes enfants. Je suis sidérée. J’ai parfaitement compartimenté jusque-là. Je crois qu’il ne se rend pas compte. Jamais mes enfants n’ont rencontré les hommes qui ont pu se succéder dans ma vie après leur père. Je lui signifie l’importance de cette démarche. Et encore une fois, nous ne nous comprenons pas. Lui, trop léger, trop frivole par rapport à ça. Moi, trop pesante, trop empêtrée dans mon quasi-rôle de veuve sicilienne… J’en fais une affaire d’Etat. Rétrospectivement, je réalise à quel point j’ai été ridicule, à quel point j’ai été frénétique.

 

« Tu es une nana géniale mais ça le fait pas »

 

C’est tout ce que Handrea trouve à me dire pour me quitter la semaine d’après. Aucune autre explication. Oubliée, la proposition de rencontrer mes enfants. Il me poignarde, là où je suis la plus fragile. Car la symbolique de la rencontre avec mes enfants m’a poussé à espérer pour de bon. Et mon instinct d’auto destruction a pris le dessus. Je l’ai poussé à bout. J’ai exigé encore une fois des comptes et des rencontres. Une fois de trop. Mon hystérie trouve là son paroxysme. Je suis chez lui, je tourne dans le salon comme une bête en rage et j’ai ces mots d’une prétention tyrannique

 

« Tu fais la connerie de ta vie »

 

Je n’oublierais jamais cette scène. Je marche, je tourne, je déambule, je tourne et je retourne. Handrea, derrière moi, n’osant pas s’approcher, me suivant de près pourtant. Et quand il renonce, épuisé par mes tours de manège, c’est moi qui me colle dans ses bras en le suppliant quasiment de ne pas me quitter. Il n’aura pas un geste. Un sentiment cuisant de honte. Qui persiste encore aujourd’hui.

 

« Ça le fait pas » versus « tu fais la connerie de ta vie ». Nous ne pouvions pas lutter. Je suis humiliée et ce n’est même pas de sa faute. Je me suis humiliée toute seule. Ce fut une baffe salutaire. Une claque monumentale pour laquelle je ne le remercierais jamais assez. Mais nous n’en sommes pas là pour l’instant. Je suis effondrée. Mais ce n’est pas à cause d’Handrea. Il est un prétexte. Je prends conscience que mon comportement est invivable. Que c’est trop pour un seul homme. Que ce que je cherche, c’est qu’un homme rattrape toutes les saloperies de mon ex-mari. Rattrape mon mariage et mes croyances détruites. C’est inhumain. C’est impossible.

 

Pourtant Handrea va me faire cadeau, sans le savoir, d’une belle espérance. Moi, qui rejetait Dieu autant que mon enfance, je me réconcilie avec lui. Il est croyant, il en parle avec un tel naturel, que je remets en question mon athéisme. Et l’évidence s’impose. Je suis un humain croyant. Une sensation incroyable de paix après un combat inconscient. Dieu est revenu et avec lui la disparition du chaos. La vie a, enfin, un sens et c’est un soulagement.

 

Il me faudra au moins ça. Deux jours après notre rupture, et puisque nous vivons dans la même rue, j’aperçois Handrea sur son scooter avec une fille à l’arrière. J’éclate de rire comme à chaque fois que je m’aperçois que j’ai été trompée. Apparemment, « ça le fait » avec une autre. Je suis en rage après Handrea. Je lui envoie un mail digne. Il me répond que c’est n’importe quoi. Cette fille évidemment, bien sûr que non…Je lui enverrais une lettre très dure, jugeant et condamnant sans appel ce qu’il est. Une lettre violente comme je sais si bien les écrire. Les quelques mois qui suivent, nous dînons ensemble de temps à autre. Je ne comprends pas pourquoi à chaque fois que nous sommes sur le point de nous dire au revoir, je sens qu’il me regarde intensément au bord de faire ou de dire quelque chose qui ne viendra jamais. C’est infernal. Je voudrais qu’il déménage. Je change de trottoir quand je le vois démarrer son scooter avec une fille qui attend à côté, j’accélère, tourne dans une rue car je ne veux pas le voir comme cette fois où il a fallu que je dise bien gentiment bonjour. Mon seul recours vient de Dieu, je passe des heures dans des églises, à trouver du réconfort dans le regard bienveillant de sainte Marie, à qui je me confie, que j’assomme à coups de pourquoi, à coups d’interrogation.

 

Mais la question, la vraie question, c’est est-ce que j’étais amoureuse de lui ? Je n’en sais rien. Oui. Non, car je ne sais même pas vraiment qui il était dans notre histoire. Et je crois qu’il ne savait même pas qui j’étais lui aussi. Nos silences emportaient tout. Même aujourd’hui, j’aimerais une explication à cœur ouvert avec lui. Savoir. Vraiment. Mais Handrea n’est pas un homme à qui tu oses poser des questions. Il donne l’impression qu’il va balayer d’un geste léger vos questions en vous faisant sentir que c’est parfaitement mal élevé. Et quelle impression, je lui faisais ? J’ai raté le coche une fois. Après l’amour, il a pris sur lui et a lancé une question. Très intime. C’était le premier homme qui s’apercevait d’une « carence » chez moi. Jamais aucun ne s’était aperçu de ça, y compris mon ex-mari. J’ai été incapable de répondre. J’ai répondu que c’était compliqué. J’ai répondu plus tard. Si je peux reprocher à Handrea son mutisme et ses secrets, il me renvoie à mes énigmes et mes aphasies…Deux autistes.Probablement un de trop…

 

Je n’ai jamais cru à cette romance, bien trop jolie pour être honnête.Bien sûr, la mère célibataire, la Cendrillon avec descendance, allait connaître un destin, vivre avec un petit prince, gentil, beau, intelligent et riche. Ben voyons…Je me ne suis pas pardonnée ces espérances-là. Quand cette idée m’effleurait alors que je regardais Handrea près de moi, je la repoussais avec violence.

 

Et quand nous nous sommes quittés, le chagrin. Le chagrin qui s’abat sur moi. Pas sûr que c’est grand chose à voir avec lui. Toutes les larmes que je n’avais pas eues le temps de verser, que j’étais dans l’incapacité de pleurer après mon mariage, se sont mises à couler. Un torrent de larmes.

 

Il a fallu que j’en passe par une grande phase de désespoir, à me voir vieillir seule, rejetée des hommes, renvoyée à une solitude sans issue. J’étais pathétique. Une période de détresse et de souffrance intense pour qu’un beau jour, j’ouvre les yeux. Au final, j’avais rejoint le conte de fée. Je n’ai pas dormi 100 ans, mais 100 jours. Je m’étais piqué le cœur aux silences d’un homme, quenouille de chair et de sang. Ma vie en sommeil. Je me suis roulée dans le désespoir. Vautrée dans ma tristesse. Endormie dans le mal. Paisiblement. Comme quelque chose d’infiniment familier. Ma mélancolie comme un enfant que l’on porte en soi depuis toujours. J’ai dormi 100 jours, trois mois et je me suis réveillée. J’ai ouvert les yeux.

 

Ouvert les yeux sur mon comportement, mes névroses et mon mal être transpirant. Ouvrir les yeux sur mes qualités, un début de confiance en moi. Ouvrir les yeux et commencer à fermer la porte à mes vieux démons. Ouvrir les yeux sur mon histoire avec Handrea, point d’orgue d’une façon de vivre l’amour. Ouvrir les yeux sur mon incapacité à communiquer. L’homme qui lui succédera, je lui dirais tout d’entrée de jeu. Et cet homme-là peut remercier Handrea. Si j’ai pu parler, m’ouvrir, dire toutes mes déficiences, c’est grâce à lui. Il m’a ouvert les yeux. Notre brève histoire a fait éclater en mille morceaux mes schémas amoureux.

 

Ouvrir les yeux comme on ouvre son cœur. Enfin prête à accueillir un homme sans méfiance et sans paranoïa. Du moins, j’avais conscience que j’étais fabriquée ainsi et je laissais la place au bénéfice du doute.

 

Ouvrir les yeux sur tous les possibles, sur mon avenir qui s’étendait à l’infini.

 

Handrea, avec un H, lettre silencieuse pour tout ce que nous ne nous sommes pas dit, et un D au milieu, comme Dieu qu’il m’a laissé en cadeau de rupture.