Mère célibataire

8 mars 2009 1 Par Catnatt

Beggar - Peddler on Brdway (LOC)

L’équipe du tournage débarque chez moi ce matin et j’ai un peu peur. Je me demande pourquoi j’ai voulu encore me fourrer dans un truc que je ne contrôlerai pas. Pour avoir encore des sensations fortes ? Tout le monde m’a dit « Mais t’es dingue ! », « ha non, j’pourrais pas me faire filmer comme ça ». Moi, je peux. Pourquoi ?

 

Parce qu’on ne va pas se leurrer, je suis exhibitionniste. Je ne passerais pas à table si je n’étais pas quelque part ainsi. Je ne raconterai pas des tranches de vie semaine après semaine, s’il n’y avait pas une vaste opération de réparation de narcissisme meurtri en cours. J’assume. Mais au-delà, c’est l’excitation de participer à un projet qui parle de ma génération. Si « l’humanité est une patrouille perdue » comme disait Romain Gary, ma génération erre entre enfantillages, avancées, prise de conscience écolo et je m’enfoutisme ambiant. Je suis ravie de prendre part à un documentaire qui fixera pour un temps une certaine vision de ce que nous sommes.

 

D’autre part, c’est une expérience terrifiante qui me mettra en perspective d’une façon complètement inattendue. Même si on peut tenter de se contrôler devant une caméra, des choses vous échappent, des émotions transpirent. Et j’ai envie de me voir ainsi, comme un peu de l’autre côté du miroir. J’ai encore envie une fois de me mettre un peu en péril. Me sentir déstabilisée et renaître à nouveau, plus riche d’enseignement sur moi-même. Je crois que j’adore ça, ces pertes d’équilibre provisoires. Je crois que depuis toujours, je ne flirte qu’avec ça.

 

Mais grattons un peu. Je vis actuellement (justement…) un équilibre fragile, comme un pont suspendu entre deux rives. Je fonctionne par cycle de 7 ans. Je le sais. 18-25, Paris, les études, le fun, l’inconscience. 25-32, Bordeaux, le travail, le mariage, les enfants. 32-…, Paris, le contrôle, la construction, la mère célibataire.

 

Dans le « ELLE » du 7 février, un article m’interpelle : « Ces femmes qui contrôlent tout ». Et plus encore « De là à penser que l’obsession du contrôle est la nouvelle pathologie du siècle, comme l’hystérie était celle du XIXe siècle et la dépression celle du XXe, il n’y a qu’un pas ». Et si les mères célibataires étaient un des symboles de cette maladie qui court et fait des ravages dans nos rangs ? « le control freak est très dépendant du regard des autres. Même s’il se place tout naturellement comme supérieur, ce qui ne lui accorde aucun droit à l’erreur. En fait, il croit tout contrôler, mais il agit contre sa propre liberté, en s’enfermant dans un rôle. »

 

Il semblerait que je me sois, moi-même, quelque part, enfermée dans un rôle : la mère célibataire. Je me suis placée dans une situation où le contrôle est impératif. J’ai longtemps été borderline, incontrôlable. À présent, je suis toute-puissante, maîtrisant ma vie d’une main de fer. Un vieux fantasme réalisé ?

 

Mais revenons aux origines de cette situation. Côté pile.Je tombe éperdument amoureuse, je suis aveugle, et je suis persuadée que je vais construire quelque chose de formidable. Une famille. C’est lui, c’est moi, l’amour emporte tout, la raison et la conscience. Je tombe enceinte d’un bébé de l’amour et je me sens invincible. Je vaincrai les démons de mon mari car je l’aime tant, que je serai un médicament sur pattes. Enceinte de Charlotte jusqu’au cou, je m’aperçois qu’il me trompe, qu’il me ment. Je suis une victime, mon dieu c’est horrible. Au cours d’une trêve un peu plus longue que d’habitude, Baptiste arrive mais naïve que je suis, cela ne change rien et cela tourne au cauchemar. Je pars. Je pensais qu’il s’occuperait de ses enfants, qu’il participerait aux frais et quelle déception de m’apercevoir qu’il n’en serait rien. Je suis une victime, mon dieu, c’est horrible, tant d’amour déçu, tant d’espoir anéanti. Ma pauvre chérie.

 

Côté face.

 

J’ai 28 ans, une probable envie inconsciente de reproduction associée à une probable envie d’auto destruction. Je rencontre mon ex-mari dans la rue, je m’emballe, le 6 avril, il me demande en mariage, le 2 août, je suis enceinte, le 9 septembre, je suis mariée. En six mois, je me suis fourrée dans une situation fermée à double tour et si j’avais les clefs, je les jette allègrement dans le fleuve de mes névroses. Mon ex-mari est déjà père, à deux reprises mais un seul enfant vit. Son aîné est décédé, noyé à l’âge de 5 ans. Sa fille, probable enfant de réparation, est à peine âgée d’un an. Tous mes avertisseurs sont au rouge. Il ne s’occupe pas d’elle. Alors, on ne va pas se raconter d’histoires, même si j’ai sincèrement cru que le comportement de mon ex était à mettre sur le compte d’une souffrance incommensurable liée à la perte de son fils, je savais, oh oui, je savais qu’il n’assurerait pas. Et je suis bien obligée de prendre mes responsabilités.

 

Il y a chez les mères célibataires, une certaine catégorie de bonnes femmes dont je fais partie. Soyons clairs, une partie subit la situation entièrement. Des victimes pures et dures. Mais pour d’autres, les choses ne sont pas aussi évidentes. Je crois que si je suis honnête, et je ne suis pas la seule, j’ai choisi un mâle reproducteur. Je savais inconsciemment que je serais toute-puissante. Je savais qu’il démissionnerait de son rôle de père. Je savais que j’aurais mes enfants pour moi toute seule.

 

Pourquoi ? Je trouve la réponse en écrivant. Je ne crois pas au hasard. Pire, je ne crois pas vraiment à l’amour. Je pense qu’on tombe sur un bon client, c’est tout. Ça ne m’empêche aucunement de ressentir toutes les émotions liées à cet état. Mais je ne suis pas dupe. L’amour est un concours de circonstances qui se prolonge ou ne se prolonge pas. Lorsque l’on rencontre quelqu’un, on se projette d’une certaine façon, on a certaines envies. Un lieu. Un moment. Un état d’esprit et de coeur. Une personne. Déplacez un paramètre et vous n’aboutissez absolument pas au même résultat. Et si je suis lucide, j’affirme que je savais quelque part, parfaitement ce que je faisais en faisant des enfants avec quelqu’un comme mon ex-mari.

 

Ça n’excuse en rien le comportement inadmissible du père de mes enfants. Il aurait largement pu mieux faire. Mais je ne trouve pas très honnête de ne pas se remettre en question. Je suis une femme intelligente. Il était évident que c’était le pire choix que je pouvais faire en matière de paternité. Je peux me réfugier derrière l’amour et la jeunesse mais je refuse de nier les évidences. Je savais qu’il démissionnerait et que je serais libre d’aller où je veux, de faire ce que je veux sans comptes à rendre à qui que ce soit au sujet de mes enfants. Certaines femmes font des enfants toutes seules et je les juge la plupart du temps assez durement. Mais, elles au moins, ont assumé. Contrairement à moi. Oui, je suis sévère avec moi-même. Une façon de me révolter contre le mythe de « la mère célibataire » formidable, victime de la folie des hommes. Je n’ai pas vocation à être une victime. Alors, peut être que je me soupçonne pour contrecarrer, ça ?

 

Allons…la vérité se situe au milieu. Entre le côté pile et le côté face.

 

Le 14 mai 2003, je deviens mère célibataire. En montant dans le train qui nous ramène, les enfants et moi, vers Paris, étais-je vraiment consciente des difficultés, parfois vertigineuses, qui m’attendaient ? Aux innocents, les mains pleines, non, je n’avais pas pris la mesure. Parce que si je me suis prise pour Dieu, inconsciente que j’étais, en décidant un beau matin, et sans le savoir la veille, de tout planter, de prendre mes enfants sous le bras et de tout recommencer encore, la vie s’est chargée de me faire redescendre au stade de simple humain. Démuni et pitoyable.

 

Je garde un souvenir flou de cette matinée. Quand je me suis levée ce matin-là, je ne pensais pas partir. J’étais tellement laminée par le comportement manipulateur et pervers de mon ex-mari, que je ne songeais pas à partir. Et je me demande souvent si je n’ai pas accepté de subir tout ce travail de sape parce que j’estimais que c’était le prix à payer pour mes enfants, pour avoir mes enfants pour moi toute seule… À 10h, mon instinct d’autoconservation s’est enfin réveillé au bout d’une longue nuit de sommeil de 5 années. Trois sacs. Un pour Baptiste, un pour Charlotte, un pour moi. Un taxi. La gare. N’importe quel train. Paris. Jette toi dans le vide. De toute manière, ce sera toujours mieux que le néant qu’est en train de devenir ta propre vie, ma fille.

 

Je passe sur une période encore difficile. Je vous garantis qu’après tout ça, j’avais payé pour tout, y compris pour mes futurs pêchés…Oui, c’est ça, moi, si judéochrétienne, un jour, j’ai sincèrement estimé que ça suffisait. Moi, si prompte à passer à la caisse, oui, oui, je veux bien payer, je suis coupable, coupable, coupable, j’ai hurlé stop ! « I’ve already paid for all my futures sins »…

 

Et j’ai commencé à réellement me construire une vie. Une vie de mère célibataire. Celle que j’ai peut-être toujours souhaitée. Moi, la bordélique, la fantaisiste, l’irresponsable, je suis devenue ce sur quoi je fantasmais. Organisée. Responsable. Carrée. Une machine de guerre. Je cumule plusieurs cerveaux qui fonctionnent tous en même temps. J’anticipe. Je ne suis jamais tout à fait là où je suis. Si les femmes sont naturellement multi-tâches, la mère célibataire est multi-multi tâches. Pendant que je m’occupe de mes enfants, dans un coin, je suis en train de penser que je dois avoir une attention pour mon amoureux, pendant que je dresse une liste de tâches au boulot, pendant que je réfléchis à mon prochain texte sur le blog, pendant que j’organise aussi les cinquante ans de ma soeur, pendant que je me dis qu’il faut absolument appeler ma copine en rémission de cancer, pendant que je jette un coup d’oeil à une plante en perdition, pendant que…Pendant que…

 

Je pourrais renoncer à un rôle. Mais non. Même si, quelque part, j’en crève chaque jour un petit peu plus, j’adore ça. J’aime vivre ma vie comme une serveuse de restaurant qui ne fait aucun voyage à vide. Chaque geste est utile. Un côté taylorisme du quotidien. Chaque jour a sa raison d’être. J’aime qu’on me dise « Je ne sais pas comment tu fais ». Vous voulez que je vous dise ? Moi non plus. C’est plus fort que moi. Mais parfois, la peur m’attrape, et me met à terre. Quand j’accompagne ma fille chez le psy, quand mon fils se jette dans mes bras comme la misère sur le monde, je me sens écrasée. Car quand on est mère célibataire, et même si personne n’oublie que le père est démissionnaire, tout vous est imputable. Ce que sont vos enfants, même s’ils ont leur caractère, c’est vous. Personne derrière qui se réfugier. De gré ou de force, il faut bien que cette foutue baraque continue de tourner. Marche ou crève ! Parfois, j’ai envie de m’enfuir loin. Parfois, j’ai envie de planter mes gosses, ma famille, mes amis, mon mec. Partir. Être lâche. Retomber dans mon schéma habituel. Mais non. J’ai trouvé le seul moyen de cesser de détruire, de me détruire. Mes enfants qui n’ont que moi. Un garde-fou. Un pare feu. Et maintenant, que je vais mieux, je m’acharne à réparer les dégâts que j’ai en partie causés à mes propres enfants. Il s’agirait parfois de vraiment se poser la question de savoir pourquoi nous faisons des enfants. Au-delà du trip habituel. Que mettons nous là-dedans ? Moi, je sais. Du moins, je sais vraiment pourquoi j’ai fait mes deux enfants, mes deux merveilles.

 

Ma vie est devenue une course. Une course contre le temps. Je n’ai pas assez de 24h pour réaliser tout ce dont j’ai envie. Cette vie de mère célibataire m’a structurée. Ce fut mon choix pour devenir adulte. Ma méthode. Je me rêve surhumaine et, l’espace d’un instant, je le suis. Ma machine est huilée, et je prends un pied monstrueux quand tout s’enchaîne de manière fluide. « Control freak » ? Oui. Mais j’ai aussi appris que le moindre gravier fait dérailler la machine. Et que ce n’est pas grave. J’adore tout autant la remettre en route. J’ai appris à être fière de moi sans dépendre de personne. J’ai de grandes joies et de grandes difficultés. Ma complicité avec mes enfants est la plus grande des satisfactions.

 

Mais j’ai totalement sous-estimé le prix à payer pour tout ça. Je le réalise parfois au détour d’une galère : le jour où je n’avais plus assez d’argent pour acheter du sirop à mon fils qui toussait comme un dingue. Le jour où mon fils fut hospitalisé, plus ou moins par erreur, et que je ne savais que faire de ma fille. Le jour je fus clouée au lit pendant une semaine, à 40 de fièvre, incapable de m’occuper de mes enfants. Le jour où je veux juste dormir et que ce ne n’est pas possible. Le jour où je voudrais juste me barrer en week-end avec mon mec et que c’est toujours compliqué. Solliciter les autres. Pas lui. Pas le père. Pas un homme…?

 

Tout mon entourage aimant m’admire un peu. C’est lourd à porter parfois. Et je ne me fais aucune illusion. Si le monde est plein d’empathie vis-à-vis de la mère célibataire, qu’elle prenne garde à être performante. Le monde nous aime en apparence mais au final, pas tant que ça. C’est la directrice d’école qui découvre que vous êtes seule et soupire à l’avance des retards de paiements. C’est le directeur des ressources humaines qui étudie votre cv et le jette à la poubelle, car il connaît d’avance vos absences. C’est l’homme qui vous trouve charmante, vous séduit et cesse d’appeler dès qu’il sait que vous avez deux bambins. C’est l’inspecteur des impôts qui comprend, oui, bien sûr mais vous n’avez toujours pas payé votre taxe d’habitation, Madame. Le monde sait que c’est dur pour vous. Mais c’est mieux si vous prenez le temps d’aller boire un coup avec vos potes alors que vous titubez de fatigue. Alors vous donnez satisfaction. Vous êtes sur tous les fronts. Vous faites attention à être maquillée et bien habillée. Vous faites rire tout le monde avec vos galères. Et si vous flanchez, on vous assène, bien gentiment certes, « Mais tu es formidable, c’est qu’un coup de mou, allez ! Reprends-toi « . Et vous comme un bon petit soldat que vous êtes devenu, vous rempilez. Et vous redémarrez la course folle dans laquelle vous vous êtes engagée. Parce qu’on attend cela de vous. Pire…Vous attendez cela de vous-même.

 

Je cours et je suis fatiguée. Je fais ce rêve récurrent qu’une nuit, je vais mourir dans mon sommeil et qu’au cours d’une autopsie, on découvrira que tous mes organes étaient usés jusqu’à la corde à force d’avoir voulu trop vivre. Parce que je me sens en permanence épuisée. Je cours quand même. Toute l’architecture de ma vie tient dans ce marathon. Et je préfère en dépit du bon sens être « Marathon woman » plutôt que de m’être économisée, et avoir vécu chichement. J’ai une vie riche. Je fais plein de choses. Je ne me réduis pas à mon statut de mère célibataire même si c’est cela que je suis essentiellement. J’ai des tas de choses à raconter autre que mes galères. Je vis. Je ne fais pas que survivre. Même si c’est une plus que probable fuite en avant.

 

Je cours. Je cours après l’argent. Je cours après le temps. Je cours après une liberté à réinventer. Je cours après un nouveau destin malgré ma vie paramétrée. Je cours. Je n’en finis pas de courir…