Du suicide : Kristina Rady

14 janvier 2010 0 Par Catnatt

Auteur non identifié

J’ai tourné autour de la thématique du suicide toute la semaine. Avec en point d’orgue avant de livrer ce billet, les retrouvailles avec un zinzin que j’avais croisé sur un balcon et avec qui j’avais parlé de ce sujet pendant une demi-heure.

 

Le suicide de Kristina Rady m’a d’abord laissée sous le choc. D’abord, parce que c’est une femme qui, sans la connaître, m’avait soufflée par son courage, sa détermination et sa dignité. Ensuite, parce que c’est une véritable tragédie. Je pense aux enfants, Milo et Alice qui n’ont rien demandé et qui vivent un enfer affectif entre un père ravagé par la culpabilité, la perte d’un amour assassiné, et une mère qui a préféré lâcher prise pour des raisons qui ne regardent qu’elle.

 

Je pense aussi à Bertrand Cantat. Que doit-il se passer dans la tête de cet homme qui a perdu, l’une par sa faute, l’autre par choix, les deux femmes de sa vie ?

 

Et je pense au suicide. J’avais eu un long échange à ce propos avec une ancienne copine de net. Certains, pour ne pas dire la majorité des gens, considèrent le suicide comme un acte de lâcheté absolu. D’autres comme un acte de courage. Je crois au concours de circonstances surtout. Les tentatives sont souvent des appels au secours. D’autres, parfois, ne réussissent pas par méconnaissance des produits ingurgités. Mais l’effet est le même, la pulsion de vie est souvent au rendez-vous après. Parfois, ça devient un mode de communication, un mode de vie. Je tente de me suicider comme je vais chez le docteur. De temps en temps. Et puis, il y a ceux qui aboutissent avec la mort au bout du chemin. J’en avais déjà parlé, mais c’est une thématique qui me fascine, j’y reviens donc. Je crois qu’il faut tout un ensemble de choses pour en arriver là et surtout conclure. Kristina Rady a choisi la pendaison. Ce n’est, en général, pas une méthode féminine. Les femmes aiment la mort douce, sans violence. Elle ne souhaitait, vraisemblablement, pas se rater. Lettre d’adieu et corde. J’ai habité à Bordeaux, je les ai croisés souvent. Cantat, Kristina et Milo. Alice n’était pas encore née. Le temps où tout allait bien. Noir Désir cartonnait sans vendre son âme.

 

Et à présent, quel gâchis. À quel moment les choses dérapent-elles pour en arriver là ? Le battement d’aile d’un papillon… Je ne sais pas ce qui a conduit Kristina Rady, après toute la somme de combats qu’elle a pu mener, à faire ce choix-là. Je soupçonne juste la croyance absolue que c’est mieux comme ça pour tout le monde. Ni égoïsme, ni générosité. Juste un moment où tout vous semble plus clair quand vous choisissez la solution la plus sombre. Comment peut-on faire ça quand on a des enfants ? Pour les mêmes raisons. Penser qu’on n’a pas le droit de commettre l’irréparable, vous donner la mort quand vous avez donné la vie est absurde. Ce n’est ni irrespectueux ni dégueulasse. C’est un choix qu’il faut respecter. Personne n’a à se sacrifier si sa propre vie est devenue un enfer. Ça ne sert à rien de retenir les gens malgré eux. C’est la liberté absolue propre aux humains. Il n’y a ni à juger ni à condamner, ni à approuver. Juste respecter.

 

C’est le plus dur. Respecter qu’on choisisse de partir. Et la seule chose à espérer, et au quelle je crois, c’est que l’être humain qui a décidé de vaincre son instinct de conservation, de vie, dans un ultime combat soit en paix.

 

Enfin…

 

Justement. Nous vivons dans une société qui nous serine qu’il faut vivre pour soi. Mais paradoxalement, nous ne tolérons pas que nous puissions mourir pour soi. La mort est une notion que l’on écarte, que l’on tient à distance respectueuse. Encore plus quand on la choisit. Mais parfois, les humains autour de nous ne se fondent pas dans le moule, ils étouffent, et préfèrent, en dépit de tout, partir. Est-ce si insupportable ?

 

Moi, par exemple. C’est une alternative qui me rassure, que voulez-vous ? Je ne dis pas que je le ferai. Je dis juste que savoir que j’ai cette porte de sortie me rassure tant je suis écrasée par les responsabilités. Je vais avoir 39 ans la semaine prochaine. Je réfléchis forcément au temps qui passe, au temps qui me reste et à son hypothétique utilité. La vie, la mort, les vaches, le suicide. Et précisément parce que je n’ai aucun problème à en parler, ça conduit les gens autour de moi à verbaliser.

 

Par exemple, j’ai cette amie qui, pour de bonnes raisons, flirte avec. On exige d’elle actuellement une performance dont elle n’est pas forcément capable. Je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais son entourage affectif ou médical ne supporte pas d’entendre parler de cette fuite mortelle. Alors, elle m’en parle. Et je l’écoute. Je ne la dissuade pas. Je lui dis juste que ce à quoi elle pense, elle peut le faire demain. Je lui dis juste qu’elle en a le droit. À force de nier ces pulsions de mort au sein de notre société, on compresse les gens. Alors que si on leur laisse un espace de parole sans dire des âneries type « Mais t’as pas le droit » ou « Arrête tes conneries », on les brise.

 

Ce qui m’amène à la notion suivante. Les humains et la mort. Nous sommes, il paraît, la seule espèce à avoir pleinement conscience de notre mort du début quasiment jusqu’à la fin. Ce qui nous fait accomplir des prodiges et les pires saloperies.

 

J’ai ma petite théorie là-dessus. Je me fais souvent des délires dans ce genre-là. Je joue le jeu la plupart du temps mais ça ne m’empêche pas de gamberger.

 

Quand nous naissons, je crois Amélie Nothomb dans « Métaphysique des tubes ». Nous sommes Dieu. Même si nous ne formulons pas le concept ainsi, nous nous croyons puissants au-delà de tout. Ou nous avons réellement la connaissance absolue. Que nous commençons à perdre dès lors que nous appréhendons que l’autre existe. C’est pourquoi, l’homme a inventé Dieu. Une idée d’un paradis perdu, le temps où nous étions sincèrement convaincus d’avoir pouvoir en toute chose et d’être immortels. Une longue session de rattrapage. L’homme a inventé Dieu, qui n’est que l’ombre de lui-même. Pour oublier la solitude qui lui pèse, oublier le temps où il était tout et n’était donc pas si seul. Une manière de négocier avec le silence.

 

Nous nous transformons, au cours de l’enfance et du reste, en danaïdes. Une vie à remplir le tonneau vide de nos amours. De l’amour absolu. C’est cela qui fait marcher le monde, ne nous y trompons pas. Ni le sexe. Ni l’argent. Nous remplissons, nous remplissons, inlassablement, jusqu’à nous y perdre, le tonneau du paradis perdu, tonneau sans fond, le temps où nous ne faisions qu’un puisque nous n’étions qu’un.

 

Et après la mort. La suite logique, étant donné notre régression. Benjamin Button à l’envers. Il faut bien trouver une issue de secours après avoir compris que rien ne pouvait avoir de sens après avoir tant désappris. Nous passons nos vies, en particulier, dans nos sociétés, notre époque à apprendre que l’essentiel est ce que nous possédons, ce que nous projetons comme image sociale après être né en étant l’être absolu, seul au monde. Avouez qu’il y a de quoi mourir, se suicider de gré ou de force…

 

L’espèce humaine est, précisément, l’espèce la plus puissante. C’est logique car c’est la plus désespérée. On ne se bat pas, on ne gagne pas contre un être qui n’a plus rien à perdre. Or l’humanité, elle le sait, a tout perdu. Dès qu’elle vient au monde. Sa naissance signe son arrêt de mort. À partir de ce moment-là, il n’y a plus lieu de s’étonner de rien. Il ne reste qu’à respecter la manière de négocier de chacun. Et au moment de mourir, être terriblement humain, faillible, petit, fragile. Exactement le contraire de ce que nous étions à la naissance. Et espérer ne nous avoir pas trop point déçu. C’est ça l’enfer. Décevoir l’être que nous étions en arrivant au monde. Le paradis ? Avoir réussi au cours de sa vie à tenir quelques promesses que nous nous étions faites enfant….

 

La conscience…

 

Je crois en Dieu. Je crois en moi. Je fréquente les Eglises parce que c’est un lieu « immortel ». Cela me console. Cela m’apaise. Cela calme la tempête qui fait rage en moi, en permanence, nul n’a idée ce que cela peut être. Ce qui me conduit à la phrase de la semaine, tirée d’une série, pourtant bien éloignée de ce genre de préoccupations. Mais cette phrase est tellement significative de mon rapport à ce lieu de culte qu’elle fera comprendre bien mieux que moi, pourquoi je m’y rends.

 

« C’est ce à quoi servent les églises : traîner un passé en ruine, au travers d’un présent en péril vers un avenir lumineux* »

 

*La citation ne s’arrête pas là normalement. Je l’ai volontairement coupé.