Suis-je multiculturelle ?
Romain Blachier m’a taguée sur une chaîne initiée par Rosaelle. Y ont participé Cycee, Elody, Bembelly, Hiélena,Jegoun, Mehdi et Elooooody ainsi que Juan.
Suis-je multiculturelle ? Sur le papier, oui. Je suis typiquement une fille de l’Europe avec des traces d’Italie, de Portugal, d’Autriche et de Corse (mais est-ce que la Corse peut-être considérée comme à part ? Je ne sais pas.). Je me suis fait traitée de sale ritale à l’école et pas qu’une fois donc je sais ce que c’est d’être renvoyée à une autre culture, d’être considérée quelque part comme étrangère. J’ai bien évidemment des origines françaises, quoi que le seul nom français qui traîne pas trop loin de moi est un prête nom, un nom pour que mon grand-père ne soit pas traité de bâtard. J’ai des origines inconnues aussi…
J’ai été la première de la famille à reprendre l’italien parce que c’était interdit dans la famille depuis leur arrivée. Le multiculturalisme, c’était mal, il fallait à tout prix s’intégrer, devenir français à coup de francisation de prénoms. J’ai été élevée dans une ambiguïté là-dessus : d’un côté la bouffe italienne matin, midi et soir chez mes grands-parents, de l’autre « nous sommes des français, nous, monsieur ! ». Pas évident de se frayer un chemin.
Par ailleurs, mes parents ont vécu à Madagascar pendant une quinzaine d’années. Je n’ai jamais mangé de choucroute à la maison, le plat dominical c’était le poulet au curry et la rougaï. J’aurais pu écouter pendant des heures mes parents, mes soeurs et leurs amis raconter Tananarive et Diego-Suarez et les noms incompréhensibles des malgaches qui avaient accompagné leur route là-bas. J’ai été bercée par une nostalgie toute mon enfance, une nostalgie de colons, oui, mais une nostalgie de colons respectueuse, je crois, de ceux et celles qu’ils avaient laissés à Madagascar. Toute la décoration de la maison était truffée de cette terre jamais visitée et pourtant familière. Enfant, j’avais un pied en Afrique et un pied en Europe. J’avais le sentiment diffus que nous n’étions pas vraiment français. Nous étions toujours un peu d’ailleurs.
Nous étions aussi du Languedoc. Je ne l’ai pas aimée pendant longtemps mais je suis profondément attachée à cette région à présent. Quand mon père vient me chercher en voiture et même si le paysage n’est pas le plus beau de France, je suis chez moi entre la Méditerranée, les ports, Agde, Sète, les vignes, la cathédrale de Béziers, l’abbaye de Fonfroide, cette sécheresse et ce plat. Je suis une méditerranéenne jusqu’au bout des ongles. J’ai viscéralement besoin de régulièrement plonger dedans.
Mes enfants ont des amis de toutes origines : de l’Asie à l’Afrique. Je suis attentive à leurs cultures et au fait qu’ils se sentent bien à la maison, que nous soyons respectueux. Je vis dans le 19ème arrondissement de Paris, quartier où tout se mélange la plupart du temps joyeusement : on y croise des juifs orthodoxes, des catholiques à l’Eglise de Jourdain, des musulmans qui guettent le coucher du soleil lors du ramadan. Il y a les bobos, des vieux du temps où c’était populaire ; des caucasiens, des gens d’origine maghrébine ou africaine, des asiatiques avec l’immigration chinoise qui a continué de s’installer le long de la rue de Belleville jusqu’à chez nous. Je suis très fière d’habiter dans un quartier comme ça même s’il n’est pas exempt de heurts. Je trouve que ça fonctionne dans l’ensemble. Ca me prouve que ça peut fonctionner.
En fait, je fais partie de ces gens contradictoires qui selon où ils se trouvent penchent vers une culture ou une autre. En France, je m’attache à l’étranger ; à l’étranger, je me sens atrocement française. Je ne me l’explique pas très bien mais envoyez-moi dans un pays anglo-saxon et je glisse en l’espace de 24h dans une mélancolie ravageuse. Ce n’est vraiment pas ma culture et j’ai comme un vrai rejet, surtout en Angleterre et en Irlande. J’adore la France, j’ai une espèce de chauvinisme, comme ça, assez insupportable. Plus je vieillis, plus j’aime mon pays passionnément. Je n’ose imaginer ce que ça va être à 70 ans et je me méfie de moi.
Suis-je multiculturelle ? En réalité, pas tant que ça. J’ai cette espèce de respect comme ça des gens bien élevés, c’est tout. Il y a des leçons que l’on apprend par coeur. Ce que je veux dire, c’est que je ne crois pas qu’on puisse l’être tant que ça au naturel sans avoir plusieurs nationalités ou sans avoir vécu longtemps ailleurs. Je crois au racisme, comme on peut l’aborder en sociologie. Prétendre être multiculturelle reviendrait à nier certains conditionnements. Si je suis honnête, je suis simplement une judéo-chrétienne d’Europe de l’Ouest.
Si je suis honnête, je préfère dire que la Différence avec un grand D m’est familière, que je suis curieuse et intéressée par l’Autre ; je préfère dire que je tente d’être multiculturelle mais que je ne le suis pas.
(J’espère avoir été claire)
Je taggue Authueil,Ulrich, Richard Trois (quand il se sera décidé à ouvrir son blog !) s’ils le veulent bien.
🙂
Une confidence, j’ai découvert que j’étais Français vraiment Français totalement Français à l’étranger, dans le regard des autres. Sans doute parce qu’en France, ce regard était bien différent.
Je suis clairement non multiculturel. Né et élevé en Bretagne, avec la totalité de mes ancêtres dans un rayon de 30 km en Bretagne intérieur, sans le moindre voyageur…
Richard : moi j’ai commencé à être fière d’être française quand j’ai habité à New-York. Au départ, j’étais très timide et relativement complexée d’être étrangère mais l’enthousiasme déclenché par l’annonce de ma nationalité m’a total réconciliée au point que quand tu m’entends parler anglais, j’ai un accent français à couper au couteau parce que je sais… qu’ils adorent ça :p
Authueil : tu fais exprès, c’est pas possible :p
Je ne suis pas multiculturelle d’histoire (ou alors d’histoires, les romans qui m’ont construite viennent de partout), mais en même temps je n’ai pas d’ancrage particulier, quelques souvenirs oui, mais pose-moi ici ou ailleurs, c’est un peu pareil, je fais ma niche.
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes : La diversité, qui est une richesse, a besoin de la différence pour exister, l’homogénéité d’une origine, l’uniformisation des mélanges sont des appauvrissements dangereux. Nous sommes tous d’ici et d’ailleurs, de nulle part et de partout, selon le périmètre et le champs de vision que l’on se choisit. La myopie identitaire et la presbytie mondialisante ne peuvent offrir qu’une vue partielle des choses et la peur de l’inconnu vient souvent de ce que l’on est pas ou plus capable de voir ou de percevoir. Nous sommes les héritiers d’une foultitude d’origines, nous serons les ancêtres d’une foultitude de destinées. Nous sommes là où nous sommes à l’instant présent avec un fil de vie aussi ténu que le goulot d’un sablier. Notre fluidité de vie et notre ouverture d’esprit sont les garanties du transfert des richesses d’hier vers celles de demain. Une position trop restreinte, trop étroite, ne peux que ralentir, que limiter notre fonction de passeur, de passage, elle peut même l’obstruer le cas échéant. La monoculture est toujours périlleuse, exposée aux virus spécialistes de l’identité, mais l’hybridation totale et uniforme conduit aux mêmes risques ,via l’anomalie du distinct. La culture extensive et diversifiée peut permettre une meilleure résistance aux virus délétères de l’identitaire. nous sommes multiples, semblables mais différents. Restons le, c’est notre richesse, notre biodiversité et même ça Darwin ne peut le contredire 😉
C’est très beau ce que je viens de lire, je me suis sentie touchée par ton récit, car comme toi je suis un mixte de tout ce qui fait la belle différence…des parents qui ont vécu en Afrique, des origines sépharades, mélangées à du sang britannique+espagnol…Une impression d’ être multiculturelle, de se sentir chez soi partout dans le Monde, et parfois de se sentir à l’étroit en France…