Le jour où la politique m’est devenue insupportable

24 mars 2013 20 Par Catnatt

Et pourtant, j’aime ça, hein… Est-ce que j’aimais ça ? Dois-je commencer à utiliser le passé ?

 

Hier soir, ça s’est foutu sur la gueule. Quatremer a accusé Melenchon de dérive antisémite, son raisonnement me semble à minima quelque peu tiré par les cheveux pour ne pas dire foireux mais je reconnais qu’il y a dans les propos du second une caricature. Mélenchon a accusé Moscovici de préférer la finance internationale à son pays,  de «  »petit intelligent qui a fait l’ENA » et qui « ne pense pas français, qui pense finance internationale », ce qui est ni plus ni moins une accusation de trahison. C’est tout aussi grave. Les deux pour moi, ont dérapé dans la violence verbale.

 

J’ai aimé la politique, les heures à batailler le bout de gras ou des choses essentielles, s’engueuler vertement avec des potes, réfléchir en écoutant des spécialistes, se coller le nez sur la télé le doigt en l’air en hurlant à la connerie ou lire un article de fond qui pouvait faire évoluer mon opinion ; pas mes fondamentaux.

 

Avec l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, c’est monté d’un cran, il était clivant, je savais que j’étais du bon côté, il fallait le battre. Avec l’essor de twitter, trois années à rester vigilante, des heures de crises de rire avec les potes de cette plateforme, ricaner à propos de l’UMP, montrer du doigt le FN et rester accrochée à la perspective 2012. Et la victoire de François Hollande. La victoire de celui-ci, on l’espérait, c’était aussi celle de la pondération. On a tant reproché à Sarkozy d’être dans la violence verbale à force de vouloir parler « vrai ».

 

Cette guerre gagnée tous ensemble me laissa un peu désemparée. J’étais en mode « armé » depuis si longtemps qu’il fallait m’accoutumer à ne plus l’être mais peu à peu le sens de la mesure est revenu. En même temps que la déception…

 

Et aujourd’hui ?

 

C’est une petite phrase qui m’a mis la puce à l’oreille. Un parlementaire socialiste déplorait que la majorité gouvernementale manquait de « snipers », de « Frédéric « barbouze » Lefebvre ou Nadine « poissonnière » Morano. Le problème c’est que ces gens-là ne font pas de politique, ils font de la phrase choc qui, pour peu qu’on les décortique, n’ont pas vraiment de sens.

 

Je ressens un écoeurement et aujourd’hui, si je devais voter, je ne serais pas foutue de le faire sereinement. La gauche s’est fractionnée et tous les jours, en particulier sur twitter, on assiste à une guerre de tranchées, une guerre de mots de plus en plus agressive : on ne peut être qu’un traître ou un facho, un libertaré ou un socio-traître, un antisémite de gauche ou un antisémite de droite, un trotskyste ou un néopétainiste , un Staline ou un Hitler, germanophobe ou vendu aux boches, euro-mafieux, FMImafieux, un Louis XVI, un Robespierre, un Brasillach, pensée brune, pensée rouge, pensée rouge-brune, tous pourris, le poisson pourrit par la tête ; je pourrais continuer très longtemps comme ça.

 

Toutes les outrances sont permises aujourd’hui et si vous le signalez, on vous rétorque que vous n’avez-rien-compris-à-l-urgence-de-la-situation qui justifie-évidemment-tous-les-débordements et ce quel que soit le camp. Les gens se sentent légitimes dans leur usage de la violence verbale ; en politique, le sujet justifie toutes les méthodes.

 

Et moi dans tout ça ? Ca me fatigue. L’époque est complexe et personne ne veut s’y soumettre. Je rêve à des choses inaudibles comme le revenu universel, une 6ème république ou la démocratie des capabilités. Je rêve de discussions posées et je me fais traiter de neuneu qui n’a rien compris. Je regarde certains de mes congénères qui défendaient bec et ongle Mediapart, y compris leurs méthodes, retourner leur veste. Chacun a sa figure emblématique, Sarkozy ou Cahuzac, pendant ce temps-là, le Front de Gauche et le FN, sans que cela suppose un partage d’idées, se retrouvent à entonner le même refrain « tous des salopards pourris ». La conclusion est la même. Ca devrait déranger, on s’incline.

 

Ca hurle tellement qu’on n’a plus le temps d’écouter. L’époque est à l’outrance. On a tous peur. Mediapart fait peur, les hebdos font peur, l’Europe fait peur, le Front de Gauche fait peur, le FN fait peur, les renoncements du PS font peur, les méthodes de l’UMP font peur, on crève tous de peur.

 

Et parce qu’on crève tous de peur, il faut choisir son ennemi pour tenir. Et c’est là où on se retrouve à taper dans les fondamentaux sans s’en rendre compte. Aucune cause ne justifie la violence, même celle du vocabulaire. On dit souvent que c’est Sarkozy qui a amené ce climat, moi je crois que c’est nous. Tous autant que nous sommes, incapables de nous tenir.

 

J’essaye de résister. Mais en résistant, on se retrouve fatalement au centre, le ventre mou, pendant que les bras, les jambes et surtout la tête n’en finissent pas de donner des coups. L’époque est au sniper, pas à la diplomatie. Et encore moins finalement à la Politique. La vraie. Twitter, ce formidable outil, a fini par m’écoeurer de ce que j’aimais. Je regarde passer les empoignades comme une vache regarde passer des tgv. Presque l’indifférence. Un spleen poisseux.

 

Je sors au marché et je subis la conversation téléphonique d’une gonzesse avec sa pote avec moults félicitations pour Zemmour et sa prestation d’hier soir, celle qui a consisté, entre autres, à créer un pont improbable entre les ennemis du libéralisme et les homophobes par exemple. Je règle ma note au boucher qui annonce que ça va fermer dans quelques minutes parce que le curé de Saint Jean-Baptiste de Belleville fait une messe spéciale aujourd’hui. S’il avait pu, il aurait crié à la cantonade « points de suspension hein… ». Je n’ai pas su ce qui était spécial mais c’est le jour de la manif pour tous. Je me suis fait hurler dessus par une vieille agressive qui a eu peur que je lui fasse mal en passant. J’ai quand même eu droit à la douceur du fromager et le rire des primeurs mais il est impossible d’échapper aux outrances, à la peur, cette putain de peur, ce poison de la démocratie.

 

C’est dimanche et je n’ai qu’une envie, c’est baisser les bras. Pourtant, je le sais, si tu ne t’occupes pas de politique, la politique se chargera de s’occuper de toi. Mais elle est devenue une vieille mégère acariâtre et agressive et aujourd’hui, elle me fait tout simplement chier, j’ai envie de la laisser crever.

 

PS : je sais que je n’ai pas évoqué les écolos. Je ne sais pas où ils sont passés, ils ont disparu de mon radar.
PS bis : pour la messe spéciale, il peut s’agir des Rameaux me dit AdrienneAlix
MAJ de lundi 10h12 : les propos exacts de Melenchon sont  » Pierre Moscovici « ne pense plus en français » ». (voir ici)