Le coït, une aberration totale ? Vraiment ?

29 mars 2013 27 Par Catnatt

Ce matin, j’ai diffusé un lien au titre largement explicite : « Le coït, une aberration totale (sauf si on regarde sa fonction dans le patriarcat) » . Je vous suggère d’aller lire la  totalité avant de lire ce qui va suivre. Pour faire (très) court, tout coït pour l’auteur est un viol.

 

S’en est suivi un échange assez intéressant sur facebook. Voici mes commentaires :

 

  1. Mais vous faites quoi du désir ? Vous allez quand même pas m’expliquer que ce que je ressens, l’excitation sexuelle, les papillons ds le ventre, appelle ça comme tu veux, le désir d’être pénétrée c’est juste du formatage patriarcal ? Et quant à la pilule et l’avortement qui ne seraient pas une libération pour la femme, mais un asservissement supplémentaire, là je ne sais même pas quoi répondre.
  2. Ca dit quand même quelque chose sur notre rapport à l’animalité. Tout devient politique. Trop politique ?
  3. Mais elle écrit quand même que tout coït est un viol. C’est s’asseoir sur le consentement des femmes accessoirement. Après on peut toujours parler du consentement éclairé. Mais ce genre d’article est en fait une violence. Ok pr se poser des questions (d’où le consentement éclairé) mais de là à être aussi affirmative, c’est un manque d’intelligence à ce stade-là.
  4. Mais la domination elle y est de facto puisqu’il y a en un qui pénètre et l’autre qui est pénétrée. Forcément. Mais je ne sais pas si le terme »domination » est approprié. Disons que le geste est invasif effectivement. Le féminisme radical se heurtera toujours quelque part à la nature. A moins qu’on envisage une mutation des organes génitaux. #CantWait ^^
  5. Ben là, son article est tellement radical qu’il provoque une levée de boucliers (peur que l’on supprime le désir, peur des hommes, peur des femmes) alors que s’il avait été plus interrogatif, ça aurait été extrêmement intéressant (voir la notion de consentement éclairé du point de vue politique, économique, social etc…)

 

J’ai reçu un mail de Arbobo avec qui j’avais déjà échangé sur facebook. Après avoir lu, je lui ai demandé la permission de le publier. Le voici ci-dessous

 

Tout est parti d’un article, publié. CatNatt a fait tourner le lien, du coup j’ai lu, pas complètement adhéré, mais voilà, parmi les commentaires j’ai vu des personnes que je respecte et apprécie qui se solidarisaient entièrement avec le texte.

 

Du coup, quelques réflexions plus loin, voici quelques cogitations de ma part, publiées ici chez Catnatt à son invitation et avec sa bienveillance.

On va donc parler du coït, et on va parler du viol. Gros programme en perspective, sortez les cotillons!

 

Dans son article, Aginva aboutit à la conclusion que le coït ne peut, au bout du compte, être autre chose qu’un viol. Dit comme ça, il y a de quoi se braquer facilement. Et les arguments sur lesquels elle (elle ? peu importe finalement je suppose) insiste pour appuyer sa démonstration me paraissent incomplets ou pas forcément convaincants. D’où la grande tentation d’être d’abord hostile à sa conclusion. Oui mais voilà, plus je me suis mis à écrire pour relativiser ce qu’elle expose, et plus je me suis trouvé à me rallier, en bonne partie, à sa conclusion. Evidemment, quand on lit un article féministe radical, écrit par une révolutionnaire revendiquée, ça secoue un peu beaucoup, plus encore si on n’a pas déjà des clefs de lecture sur ce courant de pensée. Mais ce serait dommage de s’arrêter à ce qui fâche et d’en tirer prétexte pour ne pas se poser.

 

Dans l’ensemble, ce qui suit reste une réaction à chaud écrite à la va-vite, dont je vous incite surtout à retenir l’invitation à la réflexion.

 

Commençons par ce qui me gène dans l’article. En partant pour débuter, d’un commentaire. Pour abonder dans le sens du commentaire d’Elihah, en partie, en effet la pénétration anale, fut-elle d’un simple doigt, est un tabou et un repoussoir pour une immense quantité d’hommes, et j’ajoute que le langage est porteur de cette approche violente et transitive directe de la sexualité : « je vais te baiser » « il m’a bien niqué », etc, qui assimile directement sexe = coït = destruction ou prise de pouvoir.

 

Mais… dans le cas de la pénétration anale des hommes, le rejet tient aussi, de la part de beaucoup d’hommes, à la volonté de maintenir une conception entièrement sexo-différenciée. Etre pénétré, de ce point de vue, c’est aussi transgresser les normes de genre, et ça autorise des machos pur sucre à pénétrer d’autres hommes sans avoir le sentiment de renoncer si peu que ce soit à se définir comme 100% hétéro (dans ce cas de figure, être le pénétrant définit la masculinité, être pénétré la féminité, ce qui est ma foi tend à remplacer le sexe par le genre, en partie). Or on peut être accro au maintien des normes de genre sans avoir nécessairement de volonté de domination sexuelle, du moins selon mes espoirs et en théorie.

 

Cela dit, nous voilà en plein dedans : la diversité des pratiques sexuelles est autant un gain pour les hommes que pour les femmes. Si on élargit la conception de la sexualité à toute une gamme de pratiques, une relation sexuelle, y compris entre un homme et une femme, peut aussi bien inclure que ne pas inclure le coït. Penser ainsi, c’est rompre une première fois avec la pensée colonisatrice décrite dans ce texte. Le plaisir masculin peut parfaitement y trouver son compte, par les pratiques « reçues » mais aussi celles « dispensées » (caresses, cunnilingus…).


C’est là que survient un autre souci, il faudrait parler dans ce texte de sexualité en général, sinon on ne comprend pas tout. Que par la pénétration ce soit le clitoris qui soit stimulé, pourquoi pas (puisque la plus grand partie du clitoris est interne et située autour du vagin), il n’en reste pas moins que cette stimulation est différente de la stimulation externe du clitoris (caresses, cunnilingus, vibromasseur). Donc le goût pour la pénétration n’est pas qu’une question de conditionnement hétérosexiste, d’ailleurs on ne compte plus les lesbiennes qui utilisent des godes (pas toutes, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas).

 

Reste que la différence entre coït et pénétration digitale ou par objet n’est pas uniquement l’absence de sperme. Humainement, dans l’interaction, ce n’est pas la même chose, il y a des femmes qui aiment les deux, d’autres qui aiment exclusivement l’un à l’exclusion de l’autre.


C’est une nouvelle objection à ce texte sous cette forme : il n’y a plus que des organes, et les personnes disparaissent, ravalées au rang de marionnettes de la domination masculine, pions dans un jeu social où les volontés individuelles n’existent pas. En plus de prendre uniformément le reste de l’univers pour des imbéciles, ça a l’inconvénient majeur d’oublier qu’on parle d’être humains. C’est bien l’obsession de la génitalité, mais ça nie un peu trop la psychologie et les sentiments à mon goût. Les conditionnements sociaux n’anihilent pas toute individualité, la capacité de résistance d’Aginva en est un exemple parmi d’autres.

 

Il y a aussi un problème de logique ou de vocabulaire dans ce texte : la définition du risque. D’abord il n’est pas présenté comme risque, mais aussi, j’y reviendrai, il conviendrait de parler de l’ensemble des risques encouru lors de pratiques sexuelles.


D’abord pour Aginva, coït = dommages causés. Les polémiques récentes sur les pilules de 3e et 4e génération obligent à prendre le sujet très au sérieux, et d’ailleurs toute contraception hormonale est susceptible d’effets négatifs à long terme.


Mais il y a une deuxième égalité dans ce texte, coït = fécondation. Le texte ne démord pas de cette équation, sans alternative. Il est exact, parfaitement exact qu’une seule pénétration peut suffire à déclencher une grossesse, même sous contraceptif. Mais n’importe quelle personne pas trop mal informée, et même la plupart des personnes mal informées, savent que ce n’est pas systématique. Donc le raisonnement du texte est mal posé. Il s’agit de potentialité de manière générale, ou de risque si on veut éviter la grossesse. Or la concrétisation de cette potentialité, de ce risque, est aléatoire. Certains couples qui peinent à avoir des enfants malgré leurs efforts répétés sont bien placés pour le savoir. Il est donc indispensable que les filles et les femmes soient complètement informées des risques de la grossesse, qu’elle soit conduite à son terme ou interrompue. Et que, dans le même temps, tout le monde soit informé de la diversité des pratiques sexuelles potentielles et de la diversité des manières d’avoir du plaisir (individuel ou réciproque). Si c’est le cas, et certaines femmes estiment être dans ce cas, il y a un arbitrage possible. Un « consentement éclairé » pour reprendre une expression chère à CattNat et que je trouve fort juste.


Si une femme aime plutôt le coït (dit comme ça, ça fait déjà moins envie), mais admettons tout de même , alors on entre dans des arbitrages plaisir/risque. Ces arbitrages peuvent varier dans le temps, par exemple au sortir d’une ist ou d’une ivg on peut vouloir fermement repousser le risque d’une fécondation à plus tard, mais reconsidérer l’évaluation de ce risque plus tard.

 

Revenons-y, donc, à cet oubli complet du reste de la sexualité. Soyons logique, à défaut d’être conscient qu’on parle d’humains avec leurs sentiments. Si on parle de risques liés à la sexualités, faisons le complètement, de manière à faire ressortir si le coït est plus ou moins porteur de risques. Sans oublier notamment que la pilule est un fardeau (c’est comme prendre un traitement quotidien alors qu’on n’est pas malade), mais qu’il existe des contraceptions non-hormonales (stérilet, capote, femidon, diaphragme). Restons sur le risque : certaines IST (infections sexuellement transmissibles) peuvent avoir des conséquences au moins aussi graves que des ivg, fausses couches et accouchements. Or certaines pratiques lesbiennes sans pénétration vaginale sont plus unsafe que safe (cf un article passionnant sur rue69 notamment ). De même la sodomie, en raison des différences entre les muqueuses vaginales et anales, est porteuse de risques médicaux plus grands que le coït (soit entendu hors risque de fécondation, avec un homme vasectomisé le risque médical est plus important par sodomie que par coït). Ou encore les pratiques bucales, en raison de la proximité du vagin et de l’anus, sont potentiellement à risque pour la femme qui la reçoit, et ça indépendamment du sexe du partenaire.


A trop vouloir démontrer la domination masculine, que je ne nie pas par ailleurs, ce texte oublie de poser des questions qui du coup lui font prêter le flanc. Si c’est de santé qu’on parle, alors parlons santé sexuelle et reproductive, or ce n’est pas l’objectif de l’article de Aginva.

 

Revenons un moment sur la pénétration comme source de plaisir. Des millions de femmes se sont plaint de s’ennuyer au lit, voir de subir le coït comme une tâche ingrate imposée par le couple, une corvée. Si autant de femmes ont pensé et même confié leur manque d’intérêt pour « la chose », c’est donc que malgré ce qu’en dit la société elles ont gardé une capacité individuelle à aimer ou ne pas aimer. Donc, celles qui aiment le coït, y prennent du plaisir, ne sont pas nécessairement victimes d’un mirage collectif imposé par l’éducation et le conditionnement social. Surtout quand on compte des féministes parmi elles. Il subsiste dans l’océan de conditionnement décrit par Aginva des réalités individuelles, jusque dans le plaisir et la capacité à ne pas en ressentir. C’est capital comme question, puisque Aginva parle de viol, donc d’un acte imposé, ce qui laisse entendre que les femmes penser aimer le coït parce qu’elles n’ont pas d’autre choix. Or toutes ne l’aiment pas, c’est un fait. A quel point le conditionnement social est-il ancré dans nos psyché, d’homme et de femme?

 

On retrouve l’absence des individus, de mon point de vue, dans la fermeté avec lequel ce texte définit le coït comme inévitablement un viol. C’est très problématique. Pour plusieurs raisons, la première étant qu’il est un peu gonflé en 2013 de nier a priori que des femmes féministes, conscientes de la domination masculine et ayant une véritable culture féministe, puissent désirer consciemment le coït. J’ai lu et admiré « quand céder n’est pas consentir », mais heureusement malgré leur petit nombre il y a quelques milliers de femmes qu ont été éduquées dans une logique féministe et d’autonomie de leur libre arbitre et certaines d’entre elles n’ont rien à redire contre le coït, on ne peut pas les écarter d’un revers de la main (ok, de la part d’un homme, il y a un certain paternalisme à écrire une telle phrase, mais je ne crois pas inventer pour autant).


Ensuite, en assimilant sans nuance coït et viol, cet article évacue le consentement. C’est l’évacuer du point de vue des femmes, ce qui est déjà beaucoup. C’est aussi l’évacuer pour les hommes. Ayant lu cet article, si en tant qu’homme hétéro je prends plaisir au coït comme une majorité d’entre nous autres hommes, et que pendant une relation sexuelle ma partenaire prend l’initiative de la pénétration, comment dois-je réagir ? Refuser, lui expliquer qu’elle n’a pas conscience que son initiative à elle conduit de facto à ce que je la viole ?

 

Durant des décennies, les féministes ont combattu le viol en insistant sur le fait que le viol, ce n’est pas de la sexualité, c’est une violence (qui utilise le sexe comme moyen). Autrement dit, c’est une question de consentement et de reconnaissance de l’individu, reconnaître son désir propre (ou l’absence de son désir) et sa capacité à consentir ou non.


Or ici le problème de ce texte c’est 1/ qu’il remplace cette définition du viol par une définition purement physique, ce qui est une manière de nier l’individu et son autonomie ; 2/ il rend complice les femmes consentantes de leur propre viol.


Il manque à mes yeux un pan d’analyse, et pas des moindre, sur ce point. Car en l’état, il est au mieux problématique, et je suis soft. Ce texte aboutit à définir le viol à partir du coït, au lieu de partir d’une analyse du viol pour ensuite en rapprocher le coït. Je ne peux pas me prononcer sur ce que pense Aginva, mais à mon avis il manque un bout du raisonnement dans son article, ou sinon il y a un problème.

 

Mais c’est toujours plus facile de voir ce qui ne colle pas.


Question un jour de Ardisson à Michel Rocard, peu après l’affaire Monica Lewinski : « est-ce que sucer c’est tromper ? » Derrière, l’idée c’est que sucer ce ne serait pas vraiment une relation sexuelle, puisque…. il n’y a pas coït. Honnêtement, Aginva a totalement raison, combien d’hommes, combien de femmes, n’ont pas grandi dans l’idée que « relation sexuelle » ou « sexualité » incluent évidemment un coït ?


Le cadre général d’analyse de la sexualité occidentale, notamment psychiatrique, psychanalytique, et moral, tend à classer les sexualités masculines sans coït parmi les déviances (une partie du SM entre dans ce cadre, par exemple et sans exclusive).

 

Car c’est bien joli, j’ai parlé d’un cas qui fréquent et qui, comme par hasard, m’arrange. N’oubliez pas que c’est un mec hétéro qui écrit ces lignes, on parle toujours « de » quelque part. Et celle qui n’aiment pas ça ? Celles qui ne veulent pas ? Là il faut accepter ce texte à 100% : si une femme hétéro n’aime pas le coït ou si elle veut écarter absolument et sans équivoque tout risque de fécondation (donc refuser le coït,sauf ménopause et hystérectomie c’est à peu près la seule solution), a-t-elle le moindre choix socialement acceptable ? Combien d’hommes accepteront d’avoir avec cette femme une sexualité sans coït ? Dans le monde actuel, entre ceux qui ne comprendront même pas et ceux qui comprendront intellectuellement mais ne voudront pas renoncer au coït, on peut craindre que cette femme ne trouve pas beaucoup de partenaires potentiels.

 

En effet, une sexualité hétéro sans coït n’est pas pensée dans nos sociétés, ou alors sur le mode de l’anormalité, du manque, voire du handicap (l’impuissance pour les hommes, la frigidité pour les femmes). C’est si évident que l’énoncer ne devrait pas choquer grand monde. Or ce texte dit notamment cela, qu’une femme ne peut pas échapper au coït sans passer pour anormale, déviante.


Nier que les deux sexes sont éduqués et socialisés dans l’idée que le coït fait inévitablement partie de tout rapport sexuel serait une grosses erreur, et une belle hypocrisie. Pour toutes celles qui ont tendance à y prendre plaisir, peu importe. Mais pour les autres ? L’assimilation au viol n’est pas aberrante, même si, j’en parlais plus haut, je pense qu’il faut la penser plus ou différemment que dans ce texte.


On en vient à « quand céder n’est pas consentir », cet article remarquable de Nicole-Claude Mathieu, malheureusement pas très facile à se procurer mais tellement indispensable. Céder au coït parce qu’il est impossible d’avoir une sexualité hétéro qui en soit exempte, est-ce vraiment exercer une liberté ? Quel est le coût de cette cession ? On peut admettre qu’il soit variable selon les femmes, ou selon les moments, les partenaires. On peut imaginer que certaines femmes n’y accordent aucune importance sinon un désagrément ou un ennui parmi d’autres du quotidien. On peut aussi entendre que le coût soit plus important, voire qu’on se force. Or si on « se » force, c’est dans le cadre d’une relation mais aussi parce qu’il y a toute une société dans laquelle on a grandi et dans laquelle tous les autres, femmes et hommes, ont grandi aussi. La limite entre « se » forcer et « être forcée », donc violée, n’est pas si claire. Parler de viol n’est pas une vue de l’esprit.


Mais partir du principe que c’est toujours le cas et pour toutes les femmes, ça ne va pas de soi non plus et il y a des raisons légitime de s’y opposer.

 

A partir du moment où il est quasiment impossible de penser la sexualité sans coït, à quel point un consentement, si conscient soit-il, est-il éclairé ?

 

La radicalité est souvent perçu en bloc comme un provocation, mais prenons là comme une provocation à penser. En l’occurrence, malgré de vrais désaccords avec l’argumentation d’Aginva, je dois reconnaître qu’elle m’a vraiment bousculé sur le consensus silencieux autour du coït.

 

Arbobo