Libellé. Archivé.

11 octobre 2013 3 Par Catnatt

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Ces libellés gmail au nom de personnes qui ont disparu de mon existence, pour certaines de manière définitive…Hier je ne sais pas pourquoi – enfin si mais cela n’a que peu d’importance, en tout cas ce n’est pas le sujet qui me préoccupe en l’espèce – j’ai dirigé ma souris vers le « plus » et fait défiler toutes ces petites lignes, les unes après les autres. J’ai souri, j’ai souri franchement, ironiquement, tristement ou légèrement.

 

Evidemment, c’est le champ amoureux qui m’a le plus interpellée, même si j’ai des labels pour tout : la banque, mes enfants, la famille, un par ami(e) chèr(e) à mon coeur, twitter friends, blogs, blogs persos, blogs collectifs, blogs existant, blog fermés, labels de musique, cuisine, Haïti, machin, sfr, texte, tabac, administratif, affaires classées etc etc. Tout est au même niveau, classé sagement par ordre alphabétique. Parfois je cherche quelque chose et je tombe nez à nez avec un prénom. Un prénom aimé, un peu, intensément, vaguement, passionnément, soi-disant, profondément, tous les tempos possibles et imaginables. Un cimetière de mes amours. Des pierres tombales sous forme de libellés. On peut même les colorier.

 


C’est étrange, non ? Et lorsque l’on pense à cette nouvelle génération née avec ces outils, on se dit qu’il n’y aura plus de carnets, il y aura des onglets. Oui, j’avais des amis qui avaient des cahiers où ils consignaient toutes leurs aventures ; à présent les mails, échanges directs ou indirects, seront les témoins privilégiés des battements de coeur et/ou des battements de sexe, selon.

 

Label Nils. 12 mails conservés. Durée 1 an et demi. Mot clé : #connivence. Relation non définie.
Label Joachim. 95 mails conservés. 130 hangouts conservés. Durée 11 ans. Mot clé : #ambiguïté. Dossier classé définitivement par le silence.
Label Christophe. 20 mails conservés. Durée 2 mois. Mot clé : #platitude. Le temps a fait son affaire.
Label Dimitri. 652 objets de mail et hangouts conservés.Durée 4 ans. Mot clé : #complication. Rupture en règle.
Label Marco. 221 objets de mail et hangouts conservés. Durée 1 an. Mot clé : #inconditionnalité. Disparu.
Label Léo. 132 mails conservés. Durée 3 mois. Mot clé : #lâcheté. Catastrophe intégrale.
Label Tristan. 1 mail conservé. Durée 10 jours. Mot clé : #charme. Bon souvenir.
Label Lucas. 12 mails conservés. Durée 3 mois. Mot clé : #révélation. Grande rencontre.
Label Arthur. 32 mails conservés. Durée 6 mois. Mot clé : #franchise. Devenu un pote.

 

Evidemment, je ne crée pas de libellé sans un minimum d’histoire : il faut qu’il y ait une série, les pilotes ne sont pas conservés. Avant j’étais sur hotmail et il y a eu d’autres dossiers, supprimés avec la messagerie ; je suis sur gmail depuis 2005.

 

Je ne sais pas pourquoi je conserve ça. Après tout, il restera l’essentiel dans ce qui me sert de cerveau, ma moulinette ; il restera l’essentiel sur ma peau aussi, j’imagine.

 

Mais tous ces prénoms, tous ces prénoms cachés derrière un « plus », vite archivons, que cela continue d’exister sans toutefois l’avoir sous les yeux… Gardés au cas où la discussion reprendrait. Conservés en cas de coup de nostalgie. Sauvegardés pour ne pas oublier et les saloperies et les grandes déclarations d’amour. Tous ces prénoms comme une piqure de rappel de notre aptitude à nous enflammer et notre aptitude à nous éteindre. Pour toujours et à jamais. Vaste blague.

 

Si je maintenais ma messagerie gmail jusqu’à ma mort, il y aurait toutes mes rencontres. Mais pour qui cela aurait du sens à part moi ? Je serai la seule à me souvenir en lisant ce mail de 2007 que j’avais le coeur qui battait à tout rompre en me rendant à ce rendez-vous, cette simple adresse et ce « je t’embrasse ». Je serai la seule en lisant ce mail de 2010 « tu m’emmerdes » à me souvenir de l’engueulade, des cris et des reproches juste avant et à deviner la tendresse dissimulée dans ces trois mots. Je serai la seule en lisant ce mail de 2009 « J’ai jamais… » à me souvenir de la nuit d’avant, les regards et les mains. Internet c’est, quelque part, la dictature de la mémoire ; si ce n’est nous qui conservons, ce sera l’autre. Pourtant ces mails, ce sont juste des curseurs, ça ne raconte rien, ce sont juste des balises, pas des émotions. Et parfois, c’est bien d’oublier, laisser la mémoire, l’inconscient faire le tri sous peine de devenir un maniaque du stockage de données infiniment personnelles. Le droit à l’oubli n’est pas qu’extérieur, il est aussi intérieur.

 

Alors…

 

Je crois qu’il est temps.

 

DELETE.