« Les mains sales »
François Morel a fait un élégant mea culpa au sujet de sa désormais fameuse « lettre » à une « sale petite conne », « lettre » qui m’avait fait bondir il y a quinze jours. J’ai trouvé ça intelligent. Reconnaître que la colère est mauvaise conseillère même si elle est légitime, reconnaître que l’on aurait pu faire autrement, c’est courageux.
A une petite fille sensible, espiègle, artiste… par franceinter
Cette semaine, j’ai eu une discussion un peu vive avec une personne sur twitter suite à la petite sortie de Melenchon sur Marine Le Pen : « »Marine Le Pen est sortie de sa cage ». J’estimais que Melenchon était descendu au niveau des « bananiers » de Mme Taubira et l’autre estimait de son côté que ce n’était absolument pas comparable, qu’il avait eu « raison » et que personnellement, elle avait été suffisamment patiente ; à un moment donné, on est obligé de hausser le ton et de manier l' »insulte » (ce billet est garanti avec guillemets) et de me citer « les mains sales » de Sartre.
« Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars ! Comme tu as peur de te salir les mains. Et bien, reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongés dans la merde et dans le sang. »
Je comprends. Pour autant, je crois qu’on est en train de se faire piéger et que tout ça va se retourner contre nous, un « nous » qui désigne des républicains qui ne supportent ni la xénophobie ni l’homophobie, le rejet de l’autre bref le racisme au sens très large du terme.
La preuve en est avec la dernière sortie de Zemmour (à voir ici). Alors, entendons-nous bien, Zemmour biaise tout. Le problème c’est que ceux et celles qui se reconnaissent dans ce discours tendancieux (au bas mot) vont faire exactement pareil. Zemmour place sur le même terrain la « guenon » de Mme Taubira et l' »étron » dont on l’a qualifié dans Libération. Zemmour place sur le même terrain le « voyou de la République » de Sarkozy et la « guenon » de Mme Taubira : ce sont des insultes.
Là où Zemmour commet une erreur monumentale – mais s’il était subtil, ça se saurait et être honnête ne servirait pas sa posture/gagne-pain/credo – c’est que Mme Taubira n’a pas été jugée quand on la traite de guenon sur ce qu’elle fait mais sur ce qu’elle EST. Sur ce qu’elle n’A PAS CHOISI : sa couleur de peau.
C’est simple, le jour où mon fils m’a demandé ce qu’était le racisme, j’ai eu une réponse pédagogique, je crois, mais qui ne correspond clairement pas à la définition première. J’ai regardé mon fils et je lui ai dit :
« Le racisme, Baptiste, c’est de condamner, critiquer, se moquer, se servir de ce qu’un individu n’a pas choisi : sa couleur de peau, son origine, sa religion, son sexe, sa sexualité et même son physique ».
Définition simpliste mais qui a eu le mérite d’être très claire pour un enfant de huit ans. J’aurais pu choisir « xénophobie » ou lister d’autres termes mais je tenais à faire court et limpide. Baptiste n’est jamais revenu sur la question, c’est totalement intégré.
Pour revenir à Zemmour, il fait de la contorsion mentale et pour lui, le dénominateur commun, c’est l’insulte. Alors que pour moi, il n’y a pas de dénominateur commun puisqu’il y a un jugement, certes violent, sur des actes, des paroles et de l’autre il y a un jugement sur ce qu’un être humain n’a jamais choisi.
Le problème, c’est que je peux toujours répéter ça à l’envie à Monsieur Zemmour, il n’entendra pas parce qu’il ne veut pas entendre et il en sera de même avec ses sympathisants. Il n’y a qu’à voir sa réaction face à la contradiction dans la vidéo citée ci-dessus.
Il faut donc s’attaquer à leur dénominateur commun. Quand je réagis vivement à la « lettre » de Morel, c’est bien parce que je vois ce piège arriver. Et je prends soin de préciser dans ma « réponse » que je fais attention de ne pas qualifier l’être avec les enfants mais bel et bien le comportement – ce qui ne signifie pas que j’y arrive toujours hein ? Ca sort plus vite que je ne réfléchis parfois. Ca donne un « Mais t’es con ou quoi ?! Ha merde, non, ce que tu as fait est très con, tu sais ». J’ai jamais su si mes enfants y faisaient gaffe, il faudrait que je leur demande, mais cette précaution fragile, il serait peut-être temps de l’appliquer également aux adultes.
Si je comprends la réaction de la personne sur twitter, même si j’ai souvent envie de faire pareil, même si ça m’est déjà arrivée de faire pareil, je crois fondamentalement qu’il faut commencer à faire très attention au maniement de l’insulte. Chacun se radicalise et la violence appelle la violence. Les racistes justifieront tout au nom des insultes personnelles et générales qu’ils auront subies même si encore une fois elles qualifient les actes et non les êtres. Ils n’auront que faire de cette nuance-là.
J’ai envoyé une contribution à la page facebook de « Racisme, incitation à la haine : ASSEZ ! » (que je vous suggère de rejoindre par ailleurs). Je vous mets ici un résumé :
« Le 14 novembre, je suis à la caisse d’un monoprix. Les deux caissiers sont en train de discuter. Pour faire court, j’ai assisté, médusée – jamais je n’aurais cru entendre ça, jamais ! – à la sortie suivante : « Et puis les camps de concentration n’ont jamais existé, vous le saviez ? » Après avoir expliqué calmement que cette personne faisait du négationnisme, je suis repartie à mon boulot. J’ai cherché la page wikipédia de la loi Gayssot. Je l’ai imprimée. Je suis redescendue au Monoprix. J’ai tendu la quinzaine de pages (puisqu’il aime lire) : « Ca c’est la loi Gayssot ». » Oh c’est pas la peine de faire un scandale hein ! » J’ai insisté : « c’est la loi Gayssot ».
Je lui ai mis dans les mains et je suis repartie. Je crois que j’ai fait le job : ne pas crier, donner des éléments de réflexion, être pédago.
Je ne crois pas que me mettre à hurler servait à quelque chose dans cette anecdote. Mais il y a une lame de fond raciste en France et plus généralement en Europe. Elle a toujours existé mais elle avait été, en grande partie, endiguée par 39-45, je crois. Les années « Touche pas à mon pote » aussi, j’imagine. Les années passent et le souvenir se perd. La même mécanique est en marche. Il y a des racistes purs et durs et puis il y a une majorité. Un peu minable, elle rejette une masse mais se comporte (à peu près) normalement quand elle est face à une incarnation : un individu. Elle ne se méfie pas d’elle-même puisque elle a des amis de couleur ou de diverses confessions religieuses. C’est probablement elle la plus dangereuse car elle glisse sans s’en rendre compte. Le raciste pur et dur se sait en dehors de la société. Cette majorité se sent parfaitement légitime, elle dérape un peu (plus ?) tous les jours et elle fait sortir du placard les purs et durs. »
En d’autres temps, j’aurais eu une réaction comme la personne que je citais en début de billet. Me mettre à crier, insulter. Je l’ai longtemps fait. Je n’avais aucune illusion, ces gens ne cesseraient pas d’être racistes mais je pouvais les obliger à le taire, c’était pas si mal. Force est de constater que ça ne marche plus. Parce qu’ils ont des voix dans les médias, jamais (ou pas toujours) frontalement racistes mais dont le discours est insidieux et distille une différence jour après jour : « ils » ne seront jamais pareils que nous. C’est Zemmour, c’est certains élus de l’UMP, c’est Valeurs Actuelles, c’est les couvertures de certains hebdos, c’est aussi, ne vous en déplaise, Manuel Valls qui explique que « les roms n’ont pas vocation à s’intégrer ». Je ne sais si c’est « certains », j’ai pas envie de vérifier, le mal est fait. C’est un lent bourrage de crâne qui a pris corps.
Et toutes les insultes qui ont été proférées vont servir à alimenter la justification des racistes.
Plus je vois que les enchères montent, plus je vois que ça s’énerve, plus j’ai envie de me calmer. Ca yé, on y est. L’extrême-droite quelle que soit sa diversité existe politiquement partout en Europe. En France, elle se multiplie sous des formes diverses et variées. Il y a de quoi avoir peur. Je crois vraiment qu’il faut se méfier. La violence appelle la violence. Nous sommes embarqués dans une spirale dont je ne vois pas l’issue. Je n’ai pas la solution miracle, la colère est partout, des deux côtés de la barrière idéologique, mais la surenchère de violence verbale ne me semble pas constructive même si elle est diablement tentante…Il faut songer très, très sérieusement à se calmer si nous voulons que nos idées « liberté, égalité, fraternité » arrivent à garder la tête hors des eaux boueuses du racisme sous peine de les entraîner dans la noyade. Nous « débattre » ne servira à rien, il faut respirer et garder la tête froide.
En Grèce, le 16 novembre, un groupe d’extrême gauche a revendiqué le meurtre de deux néonazis.
« Nous, les Pouvoirs révolutionnaires combattants du peuple, revendiquons la responsabilité des exécutions politiques des membres fascistes du parti néonazi Aube dorée »
Une vengeance. Oeil pour oeil, dent pour dent et on double la mise tant qu’à faire.
Félicitations, vous avez désormais « les mains sales »…
MAJ du 19 novembre 15h30
Au départ, je citais le nom de la personne avec qui j’avais eu l’échange. Celle-ci pense que d’une, j’ai déformé ses propos, de deux elle n’a jamais donné raison à Melenchon. J’avoue que je n’ai pas eu l’impression de déformer, j’ai pris la précaution de mettre le « Melenchon avait eu « raison » entre guillemets parce que je sais que ce n’est pas exactement cela qu’elle pensait. Mais je trouve la réaction un peu douteuse. Du coup, je l’ai laissé tel quel en supprimant l’identité. Ca me semble le meilleur compromis.