Tu deviens petit et je t’aime grand.
J’ai cru que je m’étais construite autour de ma mère, sa vie, sa mort mais ce soir, j’ai commencé à envisager que c’était aussi contre mon père. Certes, j’ai toujours été assez rebelle, de là à envisager que c’était au delà, vraiment dans le contre, je n’y ai jamais pensé. Quand j’ai arrêté ma thérapie, je savais que je laissais en suspens le dossier du père. J’ai décidé il y a longtemps de m’attaquer à cet himalaya plus tard. J’ai appuyé sur pause, j’ai trouvé un modus vivendi avec ça, j’ai décidé que j’avais le droit de répondre plus tard. J’ai décidé que j’avais droit à un répit à partir du moment où ça ne m’handicapait pas ; j’ai décidé que j’avais droit à plus tard.
Mais…
Je me demande si mon appétit pour les actualités, en particulier la géo-politique, le Moyen-Orient, ce n’est pas pour être imbattable aux dîners de famille. À force de voir balayer la moindre objection d’un geste léger, celui que l’on réserve aux choses sans importance, j’ai voulu savoir. Ne serait-ce que pour obtenir la satisfaction intérieure de celle qui maîtrise mieux le sujet. Je sais et toi, tu ne racontes que des conneries.
Je me demande si mon obsession d’être à l’écoute, d’être là, d’être un recours affectif, ce n’est pas pour faire une démonstration de force, pour ne pas être complètement à côté de la plaque comme toi. Je suis la mère que tu n’as pas su, pas pu être ; je suis l’absente idéalisée.
Je me demande si le concept de compassion, si cher à mon coeur, si dur à tenir, ce n’est pas pour te contaminer. À quel moment , toi qui vas à l’église tous les dimanches, le concept fondateur du catholicisme t’a-t-il échappé ?
« On n’a qu’à attendre qu’il crève »
Tu ris beaucoup au téléphone, Papa. Tu ris beaucoup en ce moment. Un rire nerveux. Un rire qui ne te ressemble pas. Tu es mal à l’aise. Tu es à l’origine et la situation t’échappe complètement. Tu es désemparé et tu ne sais qu’en faire.
Alors, tu deviens cruel.
Je suis en colère après toi Papa, ce soir. Et je t’aime. Tu tentes de bien faire, mais le temps te ronge. Je te regarde vieillir et sur plein d’aspects, je ne veux surtout pas finir comme toi. Je garde ta joie de voir tes petits-enfants, ton indulgence vis à vis d’eux. Je garde ton plaisir à cuisiner, jouer de la musique, construire des bateaux pour Baptiste. Ta façon de parler aux gens que tu croises. Tes gaffes aussi. Ton côté anarchiste quand c’est drôle et pas un ramassis de poncifs. Quand tu me prends dans tes bras. Ta fierté quand tu regardes Charlotte. Je garde ta culture immense et ta façon de tenter de t’adapter aux technologies. Je garde tout ça mais, tu te fais rattraper par ton éducation, par la vieillesse, par l’étroitesse ; c’est comme un étau qui se resserre autour de toi.
Tu deviens petit et je t’aime grand.
Lorsque nous n’aurons plus droit à plus tard, nous devrions nous souvenir que c’est proprement terrifiant de voir vieillir nos parents. C’est marcher dans les pas de la mort, renifler la nôtre. Alors mal vieillir… Le cours naturel des choses est de se polir, pas de devenir de plus en plus tranchant. Nous devrions nous en souvenir pour que lorsqu’arrive notre tour, nous nous attachions à la douceur et l’indulgence ; une dernière fois avoir un but.
Je suis en colère après toi ce soir, mais je me souviens que tu restes aussi le monsieur de 82 ans qui fait encore des cauchemars à propos de sa mère. Elle devait manquer de compassion…Elle est à l’origine.
82 ans… Un si bel âge et tout s’explique. Lâche ce que tu as à lâcher. En tout cas, tes valeurs sont belles <3