Le vocabulaire de l’horreur
« Saisi d’horreur ». « Épouvanté ».
J’ai ressenti un malaise face à ces tweets parce que je ne partageais pas le vocabulaire. « Épouvanté » : Terreur profonde et soudaine provoquée par quelque chose d’inattendu et qu’on juge très dangereux ; horreur.
Je me suis juste sentie triste et désabusée quand j’ai appris la nouvelle. Inattendu ? Non. Surprise ? Non. Je suis en train de m’habituer en fait. Suis-je la seule ? Ne sommes-nous pas en train de tous nous habituer ? La solidarité et la compassion restent, mais l’épouvante ? Sincèrement ? Je me suis sentie plus raccord avec ce tweet par exemple :
Quels mots sincères vont-ils rester au final ? Ce ne sera pas la dernière attaque, malheureusement. Nous avons pris perpète ou plutôt des années d’horreur. Est-ce incompressible ? Prisonniers de nos géopolitiques passées et présentes, nous subissons. Et je crois que nous nous acclimatons juste avant de nous en accommoder. Nous aurons peur au détour d’une rame de métro – est-ce ici et maintenant ? – en se promenant dans un lieu fréquenté que nous pourrons analyser comme cible, en rencontrant le regard d’une personne qui pourrait ressembler à un terroriste, image d’Épinal. Oui, nous aurons peur. Mais est-ce qu’on va tomber de l’armoire à chaque fois que l’on apprend que des cinglés s’en sont pris à des innocents ?
Au bout de combien d’attentats les mots se videront-ils complètement de leur substance ? Je n’ai pas su quoi dire. Et puis surtout cette gêne palpable à l’idée de me sentir concernée par ce qui se passe en Europe alors que je passe mon tour sur les attentats quotidiens qui rythment le Moyen-Orient. Le Yémen ? Comment fait-on ? Je recherche la cohérence : tweeter systématiquement quand des citoyens sont attaqués dans leur quotidien quel que soit la région ? Ne rien tweeter si on est pas dans cette optique-là ? Ma solidarité et ma compassion sont-elles à géographie variable ? Plus ça se rapproche de moi, me, myself and I plus je suis terrifiée ? Ou résignée ?
Et cette tristesse sourde. À quel moment vais-je devenir complètement blasée ? Je crois les politiques sincères dans ces circonstances, plus hypocrites dans le choix du vocabulaire. Nous aussi probablement. Nous avons tous besoin de signaler que nous nous sentons concernés. Parce que toi c’est moi et moi c’est toi. Cet après-midi, je regarderai peut-être distraitement les nouvelles d’Allemagne probablement pour confirmer que c’est bien un attentat terroriste, que les deux types faisaient partie de la mouvance Daesh. Encore.
« La reine des neiges » s’est maintenue en TT sur twitter même après l’assassinat du diplomate russe à Ankara, même après les premiers tweets sur l’attentat en Allemagne. Ça m’a agacée. Mais finalement ça ressemble à ce que j’éprouve : on apprend la nouvelle, on manifeste sa solidarité, mais le temps ne s’arrête plus. Il faudra que l’on ait peur d’avoir perdu quelqu’un pour que l’angoisse remonte, mais à moins de ça on se sent juste triste pour le monde, on ferme son ordi, on pose son téléphone et on regarde « la reine des neiges », une tristesse sourde au fond du coeur…
J’ai fait le choix de ne rien dire, de ne plus commenter. Je continue à faire les petites choses qui donnent du sens à mon existence. Au fond de mon être cela ne change rien : je hurle à la mort comme une vieille louve blessée.