18 cerfs volants
On a parlé de ton anniversaire, de ce que tu voulais, « ha non Maman, t’avais dit que tu choisirais un cadeau toute seule » – et merde – on a rigolé et je suis partie dans la cuisine.
Je me suis mise à pleurer.
Sans raisons.
Tu vas avoir 18 ans samedi, Charlotte. Je t’ai écrit une longue lettre pour tes 16 ans. Tout a été quasiment dit dedans. Les gens continuent d’être ce qu’ils font pour toi, ton orgueil est toujours aussi démesuré et je te l’ai souvent dit, il sera ton ennemi et ta négociation.
Tu vas avoir 18 ans et tu seras majeure civilement. Tu peux signer des contrats, te marier, tu peux boire et voter ; ou boire et aller voter ou voter et aller boire dans l’ordre, au stade où nous en sommes, ça peut être tentant.
Tu es libre.
Je suis satisfaite d’une chose : avoir compris bien avant qu’il fallait t’apprendre à prendre des décisions tout en étant encore sous ma responsabilité, question que tu sois prête quand légalement tu pourrais faire ce que tu veux. Un terrain d’entraînement. Ça fait des années maintenant que tu sors quand tu veux, que je ne mets aucune restriction d’horaires, que je ne surveille plus tes devoirs. Tu t' »autorégules ». Quand vous vous êtes fait choper lors du voyage scolaire en train de faire la fête, tu m’as prévenue dès le lendemain. C’est devenu un réflexe chez toi, tu me préviens parce que tu as confiance en moi. Une confiance absolue. Plus de batterie, je reçois un texto qui m’indique un numéro où te joindre. Je n’ai jamais eu à te le demander depuis des années.
Je suis contente que Baptiste reste plus enfant qu’ado. Il a toujours été plus fragile, plus incertain et quelque part, avoir un pied et demi encore dans l’enfance le protège du manque de maturité qu’il a. C’est bien foutu. À 14 ans tu commençais à faire des fêtes, Baptiste reste aux jeux video. Il gagne du temps, il lutte contre le temps ; comme d’habitude.
Tu vas avoir 18 ans, tu termines toutes tes douches à l’eau froide et tu fais des pompes de mecs. Tu bosses comme une tarée, tu fais attention à ce que tu manges, légumes et fruits. Tu es une machine de guerre.
Peut-être trop ?
On parlait de toi avec Clémence samedi (je l’appelle au secours dès que je coince sur un truc avec toi qu’il soit frivole ou grave, elle est entre nous deux, elle est mon recours te concernant) et elle m’a dit « elle est bad-ass Charlotte ! ».
J’ai eu une conversation sur twitter sur le harcèlement scolaire et je me suis dit en mon for intérieur que j’étais aussi satisfaite d’avoir été un peu dure avec toi, avec vous. Je n’ai jamais cru en la méthode caricaturée de Dolto. J’en ai retenu le dialogue, pour le reste j’ai laissé tomber. J’aurais préféré vous élever en vous expliquant la douceur et la répétition, mais je souhaitais que vous soyez préparé à la société que vous alliez affronter. Oui, affronter… Le rapport de force la définit. Je ne voulais pas que mes enfants en soient victimes tout en sachant tristement que ce n’était pas ainsi qu’on changeait le monde. Mais te voilà :
Une combattante. Bad ass.
Pourquoi je me suis mise à pleurer ? Je n’en sais toujours rien, je n’ai pourtant aucune nostalgie de votre prime enfance. En fait pour tout t’avouer je me suis bien plus éclatée à vous élever pré-ado que bébé ou enfant. Ça me touchait, mais ça ne m’intéressait pas vraiment. C’est dur ce que je dis ? Je n’ai jamais été une maman joueuse, ça me gonflait, je lisais des histoires évidemment, mais me mettre à « votre niveau » m’ennuyait. Sans le réaliser sur le moment, j’étais impatiente que vous deveniez des individus à part entière. C’est maladroit ce que je dis : vous voir et vous apprendre à être en interaction avec le monde était bien plus fascinant qu’en vase clos. Après tout, on met au monde, pas à soi. J’ai adoré vous observer, même si ça m’a brisé le coeur plus d’une fois quand vous preniez une gifle de la vie.
Tout ça ne répond pas à la question de mes larmes et je vais terminer ce billet sans savoir. Peut-être est-ce à cause de « The river of no return »; La vie tout simplement justement. Tu n’auras 18 ans qu’une fois ; évidemment. Mais ce que je veux dire c’est que peut-être je sais que mon job est fini ou presque. Je ne pleure pas sur tes 18 ans ma chérie, je pleure sur la fin et ainsi même, je quitte la combattante que je suis, que tu es pour rejoindre ton frère quelques instants ou plus, je gagne du temps, je lutte contre. Je suis vous deux, j’ai toujours été vous deux.
Lorsque nous sommes allées faire faire ton passeport pour ton départ pour l’Australie, tu m’as dit :
« Je ferai bien la démarche de prendre ton nom. Je suis une C. C’est ma famille. J’ai envie de le faire pour Nono, pour toi, pour moi ».
Abandonner le nom de ton père à l’usage, tu auras le droit de le faire à 18 ans. J’ai toujours été très partagée à cet endroit : il y a une part en moi infiniment fière, égocentrique qui clame oui ! C’est moi qui t’ai élevée seule, tu es plus une C qu’une FDJ. Et juste à côté, je me dis que c’est important que tu gardes le seul lien que tu as avec ton père. J’ai toujours refusé de le faire avant, je voulais que vous preniez la décision. En dépit de ce qu’il pense, j’ai fait attention je crois à ce que vous ayez accès à du positif le concernant même s’il s’est acharné à le bousiller. Si tu fais ça ma chérie et si Baptiste te suit aucun de ses trois enfants ne porteront son nom. Qu’est ce que ça dit de lui ?
Et si tu prends mon nom, que cela signifie-t-il de moi ? Les femmes gagnent toujours dans cette famille. On reste toujours plus C malgré les unions.
Ton passeport est pour cinq ans, c’est bien que tu attendes un peu. Je gagne du temps, je lutte contre.
J’en ai peut-être fini de t’élever, ça fait un moment que je t’accompagne, mais notre complicité est là, bien réelle. C’est précieux. Quoi qu’il arrive, « on ira faire un tour de barque, on ira déjeuner au parc ».
« Les cerfs volants » est une chanson que j’ai écoutée en boucle lorsque tu avais deux ans. Tu as joué dessus, tu t’es endormie avec, tu as rêvé pendant. J’ai adoré cet album. C’était il y a 16 ans mia amata bambina.
« À mesure que le temps passe, je mesure le temps qui passe »…
La rivière sans retour et 18 cerfs volants autour.
J’espère qu’un jour je serai capable d’écrire d’aussi belles choses à mes enfants. J’en doute. En attendant, j’ai la chair de poule.
Mais oui thomas, tu écriras aussi bien, voire mieux pour tes enfants. Et je serai là pour les lire <3
Magnifique texte ! Que d’émotions en le lisant, des mots qui sonnent comme un écho en moi.
Merci 🙂
Comme c’est joli…
Joie ( il en faut ) des changements de vie en vue, tomber sur un texte écrit lorsque Rose dormant alors qu’elle n’avait quelques jours et sachant que cette quiétude passagère et particulière se devait de s’inscrire dans une forme de ce que je te dirai toujours.
A 16, à 18 ans aussi, peut-être.
Ta belle écriture, enfin revenue au service des sentiments purs, des aveux de faiblesse sans arrière pensée, ( on pleure toujours un peu sur soi mais ça n’engage que moi comme idée ;-)), ta belle plume de maman qui sait que le nid ne retiendra pas éternellement ce qui était un enfant, et sera pour toujours ton oiseau.
Bravo Miss.
Love.
Merci pour ton délicieux et toujours aussi bien écrit commentaire Cee <3
Je ne sais pas si elle l’a déjà lu. Mais mon ressenti est que tu pourrais bien lui faire du mal avec ton « Les gens continuent d’être ce qu’ils font pour toi, ton orgueil est toujours aussi démesuré ».
Encore une fois c’est un ressenti mais j’ai trouvé ça violent.
A toi de voir, tu « vous » connais suffisamment.
Parfois j’écris des choses que je regrette…
Joyeux anniversaire à ta fille en toit cas !
C’est quelque chose qu’elle a déjà lu ds la précédente lettre et dont nous discutons souvent.
Charlotte s’accommode assez bien de ma brutalité et me fait remarquer si je vais trop loin. Elle sait que je n’ai jamais fait semblant 😉
En TOUT cas
Et encore une fois j’ai tellement l’impression de (re)lire une lettre de ma propre mère.
C’est à la fois très dur et si précieux que je voudrais m’y rouler dedans pendant des heures.
Alors si ça peut éclairer ton interrogation, ma mère a elle aussi fondu en larmes sans raisons dans la cuisine (je m’étais empressée de lui faire remarquer avec un haussement de sourcil de dédain et un poil de suffisance dans la voix, enfin tu vois ce que ça peut donner.) Et c’est exactement la conclusion qu’elle en avait tiré : elle avait terminé sa tâche ardue de m’élever correctement. Soulagement, nostalgie et période de manque par anticipation. Le vide, l’absence. Encore aujourd’hui elle le dit, c’est super de ne plus nous avoir dans les pattes, mais ça lui manque.
…et Les Cerfs-volants c’est également un magnifique roman de Romain Gary 😉
Joyeux anniversaire à Charlotte !
Haaa Romain Gary !
Merci pour cet adorable commentaire
« Mais ce que je veux dire c’est que peut-être je sais que mon job est fini ou presque »
Je crois bien que notre job ne finit jamais, tant que nous sommes en vie, et c’est génial, bien qu’un peu pesant parfois 🙂
Tu ne vas pas t’en tirer comme ça, donc ! :p
Signé : une mère solo d’un bientôt 18 ans et d’une récemment 22 ans:)
Merci pour ce beau texte.
Hahaha ! Merci à toi 🙂
Ton texte est magnifique, tu m’as ému (j’ai moi même une fille de « presque » 17 ans) par tes mots, ta tendresse qui perle à chaque phrase.
Tu es et a été une super maman pour Charlotte et le demeure pour Baptiste.
Mille bravos
Oh merci Jeff!
Merci pour le frisson du matin !
(Quand je lis des textes comme celui-là, je me dis qu’il y a encore de l’espoir pour la blogosphère.)