L’oppresseur qui est en moi (le libre-arbitre)
J’ai fait partie de ceux et celles qui ont trouvé ou des points intéressants ou des accords avec LA tribune. Il y a par contre dans ce texte des choses avec lesquelles je suis en désaccord comme par exemple « la liberté d’importuner ».
Finalement, peu importe parce que ce qui m’amène aujourd’hui à écrire est au delà de cette tribune, celle-ci est finalement un problème de forme, le fond étant que je me sens très souvent en décalage.
J’ai vécu un gros malentendu avec Philippe DouxLaplace, mais l’échange s’est très bien terminé et pour cause, il a fini par écrire ce tweet qui m’a vraiment interpellé :
Je pense qu’il a raison, parfois mes réactions à contre-courant sont certainement expliquées par le fait que je le vis comme une attaque personnelle et je devrais y réfléchir à deux fois avant de m’embarquer. Pas tant que ça pourrait changer mon point de vue in fine, mais je dois réaliser que c’est ce qui me motive.
Nous avons eu une conversation absolument passionnante avec Virginie et Céline hier soir, elles (je caricature) anti-tribune, moi tentant de défendre certains points. Ça a dérivé et j’ai fini par dire ceci :
« En fait, je coince parce que factuellement à part le fait d’être une femme, je coche toutes les cases des oppresseurs : hétérosexuelle, blanche, occidentale, bourgeoise, croyante même si plus catholique. » Je coche celle de mère célibataire qui doit me donner des points en plus, non ?
Virginie » oui en tant que groupe, tu fais partie des oppresseurs, mais en tant qu’individu tu ne le vis pas comme tel ».
J’ai la prétention de penser que je ne suis ni raciste, ni homophobe et que je ne pratique pas la discrimination sociale. Je suis très respectueuse de la laïcité. En tant qu’individu. Mais en tant que groupe ? J’en sais rien parce que ça suppose que malgré moi j’ai intégré des schémas qui me semblent naturels alors qu’ils sont dégueulasses. Je suis même vieille puisqu’approchant dangereusement la cinquantaine. Je perçois de plus en plus un décalage avec la nouvelle génération même si je ne comprends pas trop le succès d’Hanouna alors que « les millénials » comme on dit sont en train de descendre aujourd’hui la série « Friends ». Chaque génération a ses schizophrénies, j’imagine. Est-ce que dès lors que je vis « mal » une remise en question de la société, c’est le groupe en moi qui parle ? Je devrais donc penser contre moi. Je trouve ça hyper sain de penser contre soi, j’essaye de garder dans les réseaux sociaux des gens « contre moi ». Mais ce qui me précipite au bord du précipice, c’est le concept de libre-arbitre. Où est mon libre -arbitre si j’intègre en permanence que je fais partie des oppresseurs ? Suis-je uniquement la somme de déterminismes sociaux ?
Pour en revenir à la tribune, oui, ça m’inquiète cette vague de puritanisme. J’avais écrit un texte « Le corps des femmes » où grosso modo je me souciais du fait qu’une espèce d’aristocratie du féminisme émergeait avec Beyoncé, Rihanna etc, femmes libres et puissantes qui pouvaient s’habiller n’importe comment, elles ne se faisaient pas agresser dans la rue ; des têtes de gondoles de la liberté des femmes qui prouvaient au reste du monde qu’on peut faire ce qu’on veut pendant qu’en bas, ça se dégrade de plus en plus. Ça me donnait un sentiment d’arnaque totale. Genre « regardez comme ça va mieux ! » alors que c’est un miroir aux alouettes pour moi. Je le vois bien que ma fille fait attention à la façon dont elle s’habille pendant qu’elle sirote des clips de ses stars.
Je suis pro #MeToo évidemment. Mais je n’arrive pas à me départir d’un sentiment de méfiance ; pas vis-à-vis des femmes qui portent ce mouvement, pas sur le mouvement en lui-même évidemment, mais plutôt de ce qui se passe en arrière-plan. Qu’est-ce qui se passe réellement en arrière-plan ? Genre plus personne ne laissera passer de Weinstein ? Vraiment ?
Est-ce que ça change vraiment les choses pour des ouvrières ou des caissières ? Plus on me dit « plus jamais les choses ne seront comme avant » plus j’ai une alarme rouge qui se déclenche, c’est plus fort que moi. Pas que je souhaite qu’elles le redeviennent, non, trois fois non, mais que c’est précisément là que nous les femmes on va se faire entuber. Ça se trouve, j’ai tort. J’espère avoir tort sincèrement. J’y ai cru à « touche pas à mon pote ». 30 ans après qu’en reste-t-il ? Jamais je n’aurais pensé que les gens tiendraient des propos racistes en toute tranquillité, j’avais plus l’habitude qu’ils se cachent. On a gueulé, on a dit que plus jamais ça ne serait comme avant et c’est précisément juste après qu’un retour en arrière s’est déclenché, on constate chaque jour le résultat. Donc oui je me méfie, oui je suis très vigilante sur le retour du puritanisme, on m’a arnaqué une fois, pas deux.
C’est peut-être l’âge qui parle, la Deneuve en moi. Est-ce que c’était une raison pour soutenir quelques points de cette tribune ? Est-ce que ça va trop vite pour moi, femme née dans les années 70, fille de féministe à deux vitesses (en société et à la maison…) ? J’ai beaucoup de mal par exemple avec le fait qu’on dise aux hommes (je caricature, c’est pas le cas de tout le monde) : #MeToo vous n’avez pas le droit d’en parler. J’ai beaucoup de mal avec tous les groupes fermés aux autres, réunions féministes interdites aux hommes ou le camp d’été décolonial par exemple. Je pense qu’on ne peut pas avancer sans les autres, les adversaires finalement. Mais peut-être est-ce du au fait que j’appartiens souvent au groupe des oppresseurs ? Alors que je n’ai choisi en rien d’en faire partie, je n’ai pas choisi d’être blanche ou hétérosexuelle ou bourgeoise. Je le suis. On me traite parfois de néocolonialiste !
Est-ce que je le suis néocolonialiste ? Peut-être, je suis un oppresseur malgré moi. Pour moi probablement. Inconsciemment, je dois défendre mes appartenances, mes zones de pouvoir. C’est terrible parce que dès lors, je ne peux plus me faire confiance quelque part alors que mon libre-arbitre est quelque chose de fondamental pour moi. Par exemple, je crois en Dieu (mettez-y ce que vous voulez) mais je crois qu’il nous a donné le libre-arbitre en cadeau et donc le choix de croire ou pas en lui. Je crois qu’il regarde le coeur des gens et pas sa foi en lui et qu’il lui arrivera de plus respecter des incroyants de par leur comportement que des grenouilles de bénitier. Je crois en mon libre-arbitre parce que barbotant dans une famille de droite, j’ai le coeur et le vote à gauche (la plupart du temps). Je crois que j’ai évolué, changé et j’avoue qu’acter que je ne suis que la somme de déterminismes sociaux m’est insupportable et je suis totalement réfractaire à cette idée parce que précisément ça met un coup d’arrêt à mon évolution, comme si je ne pouvais rien faire contre, une impuissance fondamentale alors que la gestion de l’impuissance est un réel enjeu pour moi. Je tiens par dessus tout à ma liberté. Mais quelle liberté dans ce contexte de pensée ?
Puis-je vraiment affirmer que je suis sans influence ? Que je ne cherche pas à protéger mes intérêts ? Que je veux à la fin avoir raison parce que ma zone de confort est largement plus agréable ?
Il va falloir apprendre à concilier les deux. Je crains de ne pas pouvoir penser tout le temps contre moi. Et en plus je déteste voir le monde à travers UN prisme permanent. Je l’ai toujours dit je suis très admirative des femmes qui envisagent toujours le monde à travers le prisme du féminisme, j’en suis incapable. Admirative et aussi méfiante car on peut finir avec des oeillères de cette façon. Je suis une féministe à la petite semaine. Mais en tant qu’individu, ma vie a été faite de luttes pour m’affranchir, concrètement j’ai vécu comme une féministe. J’ai vécu la violence et une agression. Je suis mère célibataire et les conséquences, je les ai payées très cher. J’ai dû changer de ville à la fois parce que j’avais besoin du soutien de mes proches et aussi parce que je devais mettre des centaines de km entre moi et mon ex-mari pour m’en sortir. Je sais ce que c’est d’être seule et de devoir m’en sortir. Je suis farouchement indépendante, ma mère m’a toujours répété de ne jamais dépendre d’un homme.
J’ai cherché des #Metoo dans mon histoire. J’ai un exemple de main au cul et je ne me suis pas laissée faire. Je me suis débattue contre mon agresseur. J’ai lu les témoignages, mais je ne me suis jamais sentie concernée. Je ne suis pas une #MeToo. Ou alors je ne veux pas qu’on me considère comme une #MeToo. Pourquoi alors que j’ai bien quelques exemples en fait ? Parce que j’ai toujours lutté pour ne pas être considérée comme une victime, j’ai dit souvent que je n’avais aucune vocation à en être une, il y a quelque chose en moi qui est réfractaire et je ne suis pas convaincue que ça soit une bonne nouvelle. Pourquoi je n’arrive pas à me sentir concernée ? Comprenez-moi bien, je suis solidaire hein, je n’arrive juste pas à me sentir comme une #MeToo, je trouvais que je n’avais pas autant subi que toutes celles qui ont parlé, que je n’avais aucune légitimité. Mais est-ce réel ou ma propre légende ?
On me dit souvent « mais toi tu es forte Nat, tu ne te laisses jamais faire, t’as une grande gueule ». Peut-être est-ce du à mon tempérament. Ou alors c’est parce qu’aussi je fais partie des oppresseurs et que j’ai intégré que j’avais le droit de me battre ? Que j’avais des droits, une légitimité, que je faisais partie du bon côté de la barrière, ceux qu’on entend ?
Je n’ai aucune réponse définitive à toutes ces questions. Juste que peut-être pour la première fois de ma vie, j’y pense. Je vais tenter de l’intégrer. Tenter de m’en souvenir quand j’ai une réaction à contre courant sans que pour autant ça ne change fatalement mon point de vue à la fin. J’imagine que ça dépendra.
Mais au moins, je n’oublierai pas que certes je suis un individu, mais je fais partie du monde, de groupes qui m’influencent jour après jour, je n’oublierai pas qu’il y a un oppresseur en moi. Peut-être que c’est là où les lignes commencent à réellement bouger.
Car n’est-ce pas finalement tous notre cas quelque part ?
L’oppresseur qui est en nous ?
MAJ du 15 janvier 2018.
J’ai longuement réfléchi au fait que je me prétendais non victime. En fait, je crois que j’ai toujours plus enregistré les disqualifications que les soutiens. Par ex, quand j’ai écrit un texte sur mon agression, « on » m’a dit que c’était un scandale d’oser écrire un truc pareil car moi, je n’avais pas été violée et que c’était indécent de ma part.
C’est une femme qui a dit ça.
Ça a suffi pour que je me taise.