Home again, la petite note
Cette fois-ci c’est vraiment la fin. Home.
« Home again, home again »
Home, c’était ma maison pendant treize ans et demi. J’ai eu deux maisons, la mienne et le travail et avec le départ de Clémence ce soir, c’en est bien fini.
Je n’ai pas réussi à écrire sur ce sujet jusque là. Tant que Clémence était près de moi, il restait un vague parfum, une ombre de ce qui avait été. Elle est, était mon alliée envers et contre tout, engueulades et réconciliations comprises. C’est essentiel les alliés dans le travail, bienveillants et non complaisants. On barbote toujours en plein affectif dans le boulot, ceux qui croient le contraire commettent une erreur monumentale.
Home m’a sauvée. C’est aussi important que ça. Quand j’ai débarqué avec mes deux enfants sous le bras il y a bientôt quinze ans, j’ai eu l’immense chance de tomber sur ce taf, ces personnes, ce patron où très vite il a été établi que la confiance régnait, que si je ne pouvais pas venir à cause de mes enfants, c’est que je ne pouvais vraiment pas venir. Si l’on se demande d’où vient ma loyauté quasi absolue, c’est que je n’ai pas oublié. Jamais personne ne m’en a tenu rigueur et c’est précieux. Je ne m’en serais jamais sortie sans eux et même lui. Celui que je ne nommerai pas parce qu’impardonnable. Je ne lui pardonnerai jamais.
J’ai eu dix magnifiques années. Je souhaite à tout le monde de connaitre ça, ce bonheur de se lever chaque matin content d’aller au travail parce qu’on allait faire du bon boulot et se marrer. Il n’y a pas eu un jour où je n’ai pas ri. Ça portait si bien son nom.
« Smile again, smile again »
Je sais qu’on nous a souvent pris pour une bande de branleurs. C’était pas le cas, même lui. Je lui reconnais de s’être défoncé pendant 10 ans pour cette boîte et d’avoir lâché la rampe ensuite. Il n’a pas su. On bossait, on riait, on s’engueulait, on était ensemble, c’est tout. Laurence et Najat c’est les compagnes du début, celles qui, entre autres, me livrent des courses parce que je suis en galère et que je n’y arrive plus. Clémence, c’est comme ma grande fille, point essentiel pour élever mes enfants qui grandissent, celle qui me connecte à la nouvelle génération, celle qui me prend toujours dans ses bras quand je flanche. Bianca c’est celle qui sera le soutien de la fin.
Je me rappelle de l’entretien du début avec Vincent. C’est moi qui posais les questions hahaha ! Je me souviens de mon premier jour où j’étais littéralement habillée en schtroumpf, je ne sais pas ce qui m’a pris. Les dîners, les fêtes, la période Sylvaine. Les discussions philosophiques avec Daniel, celui qui me foutait pourtant le plus la trouille au début. Les barres de rire et la musique avec Laurent. Vincent qui râle mais sur qui on peut compter. Laurence qui nous filmait toute la journée et championne du monde pour tous nos délires les plus farfelus. Le clip pour l’anniversaire de notre boss. Najat et ses lubies et son humanité. Il n’y a que Clémence qui sait l’enfer que ça était quand ça a déraillé, les décisions à prendre à l’aveugle, faire comme si tout roulait, se démerder pour tout savoir au cas où. Au cas où a été notre mantra pendant 3 ans.
La vie change et tout a été emporté en un an et demi. Tout ce qui a été mon quotidien pendant des années a disparu : ma maison personnelle et ma maison professionnelle. Tant que Clémence était là, il restait une petite note de musique familière.
Elle a fait un choix infiniment courageux, je suis si fière d’elle pour ce que ça vaut. Je n’en dis pas plus, c’est son histoire. La mienne continue, différente. Je suis perdue, j’ai enchaîné les actions sans savoir ce que je fabriquais vraiment au final, mais il n’y a pas eu véritablement de choix. C’est là où la démarche de Clémence est intéressante, elle en a posé un et ça me renvoie fatalement au mien, inexistant. Je suis la seule qui soit restée, tous les autres sont partis. Je me sens très souvent étrangère en ces murs que je connais pourtant si bien, que j’ai pourtant aidé à changer. D’autres gens ont investi l’espace et leurs voix me précipitent dans l’inconnu. Je perçois encore les anciennes silhouettes, je me retourne j’ai confondu avec ceux qui foulent le sol depuis juillet. Je me fais parfois l’impression d’être la gardienne du temple, c’est ridicule ; gardienne du temple et à la fois intruse, seule face à des groupes déjà constitués.
J’ai été longtemps la mère célibataire formidable et l’âme de Home. On me l’a assez souvent dit pour que j’ai la faiblesse de le croire. Les enfants ont grandi, ma boîte a fermé brutalement et j’en ai intégré une autre avec des missions différentes. Qui suis-je à présent ? Où est ma place ? Suis-je une mère aussi formidable que ça avec mes ados ? Je suis une amie en dessous de tout en ce moment. Est-ce que je fais du bon travail ? Ça faisait bien longtemps que je ne m’étais pas trouvée nulle. Je perçois de l’hostilité de ceux que je ne soupçonnais pas, je reçois de l’aide de ceux que je n’espérais pas. C’est dur ce chamboulement et je suis restée peut-être trop longtemps dans ma zone de confort. Je suis partout et nulle part, par monts et par vaux, étage et étage, moi seule ai une vision complète de mon travail et en réalité personne avec qui la partager. Je suis avec les autres par petits bouts.
Lost again, lost again
En même temps… Tout ça aussi a un parfum d’avenir, même de lendemains qui chantent. Qu’est-ce que la vie sinon le mouvement ? Ce soir, il y a eu quelqu’un qui ne me connaissait pas avant qui m’a dit que je faisais du bon boulot, qui reconnaissait ce que je faisais. Ça m’a fait un bien fou ! Clémence se sent-elle aussi perdue malgré le choix qu’elle fait ? Les périodes de transition, ça flotte et c’est pas mon fort l’incertitude. Mais quoi de mieux pour rester en vie ? Se rédéfinir une identité, une place. Que serai-je demain ? Je ne serai plus jamais l’âme de quoi que ce soit et alors ? Je l’ai été, il est nettement plus intéressant d’endosser un autre rôle. Je les aime bien les petits qui sont là, que je ne connais pas vraiment. Que puis-je leur apporter ? Le gap générationnel est-il trop important ? Je les observe et je les vois faire la fête ensemble et rigoler comme nous tous autrefois et je le sais bien que le temps passe implacable et que ça deviendra juste une petite note de musique familière, simple souvenir d’une symphonie oubliée de tous ou presque ; à l’aube, le concert a un parfum d’éternité, au crépuscule, on s’accroche à l’écho d’un bémol.
« Born again, born again »
Mais je ne sais pas où est ma place. Pas encore. Je ne sais même pas si elle est possible là où je suis. Peut-être que je partirai moi aussi. Mes « filles » sont toutes parties les unes après les autres, Émilie aux US, Roxane est loin, Bianca pas encore, Clémence quitte le nid, Zoé reste dans les parages vaguement. Je vis une répétition de ce qui va m’arriver avec mes enfants ; c’est bien, c’est douloureux, mais bien. Je sais qu’elles font des choix qui leur ressemblent et ça… Ça c’est tout ce que je leur souhaitais !
Clémence s’en va et je lui souhaite et l’épanouissement et quelques régulières heures de bonheur, les rencontres et l’excitation, de continuer à rechercher la cohérence avec soi et la remise en question, de suivre son chemin quel qu’il soit et de rester celle qu’elle est dans ses fondamentaux.
Je t’aime ma chérie et tu vas tellement me manquer… Nos conversations et nos fous-rires, notre complicité et notre affection, mon alliée et mon amie. Ton sourire légendaire était aussi l’illusion l’espace de quelques secondes que nous étions encore un peu à la maison.
« Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais » Romain Gary.
Cette promesse, c’est une place sans conditions.
Je sais une chose, je suis certaine d’une chose comme une promesse, cette promesse, ici ou ailleurs parce que c’est tout ce que nous recherchons en ce bas monde quelle que soit la manière dont cela s’incarne ; Ce que nous recherchons tous, nos amours, nos amitiés, nos enfants, notre travail, cette quête, notre place devenue sous conditions, celle qui s’incarne à travers toutes les petites notes, quête insatiable ou accomplie, ce fragile parfum d’aube, ce sentiment enfin :
« Home again
Home again
One day I know
I’ll feel home again »
Au revoir Home.