Avant 10 ans (l’impact)

18 janvier 2020 3 Par Catnatt
My Shadow » from A Child’s Garden of Verses (LOC)

Je t’écris aujourd’hui pour que tu ne m’écrives pas le 28 mai 2020. Je sais, c’est très précis. Je suis sûre que tu y penses, que tu l’envisages et je ne veux surtout pas que tu le fasses. Épargne-moi ça s’il te plait, je pense que tu me le dois.

Ce que je te dois, moi, c’est une explication à ce refus prémédité.

Par où commencer ? J’ai relu attentivement ce mail « ça fait maintenant 10 ans », c’est le seul que j’ai conservé, tout le reste est parti à la poubelle. Je te dois une confession, tu sais, ces journaux que je tenais pendant nous, je les ai jeté un par un à des semaines de distance, j’ai mis des mois, j’ai pris un soin maniaque à ce que jamais personne ne puisse les relier entre eux, c’est te dire à quel point l’entreprise de destruction était massive nous concernant.

J’ai relu ce mail et j’espère que tu n’en penses plus un mot. C’est dingue comme rien ne s’est passé comme tu l’avais écrit, d’ailleurs, à croire que l’univers s’est bien foutu de notre gueule dès le départ. Tu as refait ta vie, c’est très bien, je n’ai pas refait la mienne, s’entend comme être en couple et j’en suis très satisfaite. Cette satisfaction te donne un bon indice : après notre histoire que je qualifierai de boucherie intégrale – et oui, c’est ainsi que je la perçois – il est devenu hors de question qu’un homme vienne à la maison. C’est simple, depuis la séparation avec le père de mes enfants, tu as été le seul à être impliqué tant physiquement que psychologiquement. Je tente désespérément à présent de n’avoir aucun regret, tu es le seul à être une pente glissante…

Je le sais d’autant plus que je suis obligée de constater que l’entrée en amour de mes enfants passe par des histoires que je ne suis pas loin de qualifier de toxiques.

Voilà, c’est dit. Alors, gardons le sens de la proportion, on ne parle ni de violence ni de pervers narcissique ou autre appellation bien percutantes, allons, parlons de relation entachée.

Ça m’a pétée à la figure hier, depuis je ne cesse d’y penser. Be hard, rewind, à quel moment ça a dérapé ? Je retourne le truc dans tous les sens, je ne vois pas ce que je n’ai pas fait, j’ai été honnête avec eux, sincère si tant est que ça soit réellement possible, j’ai discuté, expliqué, remis en question, présenté des excuses lorsque cela me semblait légitime.

Alors évidemment, j’ai le gros morceau, l’absence du père derrière laquelle me réfugier, la faute du père, la grande faute.

Bien sûr.

Bien sûr que mes enfants courent après leur père, ce qu’il n’a pas dit, ce qu’il n’a pas fait, peu de fantasmes, ses décisions y laissent peu de place, mais perlent à la surface quelques envies, quelques questions. Se frotter à des personnes de leur âge, pas loin d’être dysfonctionnelles serait une manière de se rapprocher de leur père, tenter de comprendre les méandres de son cerveau et de son coeur. Allez, okay, je prends.

Mais ça serait trop facile, trop confortable de ma part de ne pas prendre quelques heures pour balayer devant ma porte. Ce n’est pas tant ce que je n’ai pas fait que ce que j’ai choisi.

Mes enfants ont été préservés pendant 13 ans de toute incursion masculine amoureuse dans leur univers, j’y ai accordé un grand soin : d’abord parce que ma vie privée ne les regardait pas, ensuite parce qu’aucun ne représentait un intérêt familial. Et il y a eu tes 4 ans : 4 ans d’hystérie générale, ne nous leurrons pas, 4 ans de quelques moments de bonheur au milieu de hurlements, de mensonges, de plans foireux, de haine, d’amour aussi, surtout 4 années d’épuisement. J’en suis sortie lessivée, toi aussi.

La seule fois où mes enfants et particulièrement Baptiste m’ont vue en couple, ils m’ont vue pleurer plus souvent qu’à mon tour. Charlotte avait 7 ans quand tu es arrivé, Baptiste 3. Quand tu es parti, elle en avait 11, Bapt 7. Quelle image ? Quels ravages ai-je commis ?

Je ne saurais jamais, je crois, la part du père et la mienne. J’ai la faiblesse de croire que mon discours a toujours été positif vis à vis de l’amour, des histoires, oui ça vaut le coup, oui, c’est merveilleux. J’ai tenu ça tout en expliquant que je ne me sentais plus concernée. Aurais-je dû faire semblant ? Je ne crois pas. C’était ma vérité, elle est audible. Mais peut-être qu’avec la tournure (très, trop rapide) de notre histoire, j’aurais dû te faire sortir de la maison. C’est trop tard de toute manière, c’est fait. J’aurais peut-être dû me contrôler un peu plus, c’est certain. Voeu pieu…

Je ne me suis pas arrêtée là puisqu’après toi, il y a eu Ulrich. Et non seulement, les amoureux ne sont plus venus à la maison, mais aussi les amis. J’ai fermée la porte à double tour, la maison est devenu un sanctuaire avec mes enfants, leurs amis et quelques personnes que je compte sur les doigts de la main : Virginie, Isa, Céline. Point. Des femmes, je m’en aperçois aujourd’hui.

La maison est le lieu de sécurité absolue. Rien à part nos engueulades à nous. Et ça je reste persuadée, vois tu, que j’ai bien fait. La vie peut être douce. Les rires des potes des enfants, les leurs, ont résonné dans ces lieux, il y a eu les pizzas et le pop corn, le bordel, les matelas partout, j’ai été disponible, j’ai été attentive. Ils m’ont vue sortir, ils m’ont soupçonnée d’avoir des histoires, mais très vite ils ont compris que ça ne les concernait pas. Il n’y avait aucun impact sur eux.

En fait, c’est ça, je ne voulais plus aucun impact. À présent, leurs propres choix les impactent. Ils sont formidables, j’ai une chance extraordinaire d’avoir des enfants pareils ! Mais quoi que je dise, ils ont été abîmés. La vie abîme, remarque, c’est ainsi, surtout mon fils qui a depuis toujours compris que grandir, c’était pas si grandiose que ça.

J’espère qu’ils ne se souviennent pas de toi. J’espère qu’ils ne se souviennent de rien parce que moi, quand je pense à certaines séquences, je me taperai dessus. Mais, souvenir ou pas, ils ont été impactés, c’est certain.

Qui sommes-nous pour faire des enfants ? Qui mesure l’immense responsabilité ? Qui réalise l’humilité que cela représente ? Qui sommes-nous pour faire des enfants ? Lorsque nous ne sommes que des êtres humains ? Ces quelques secondes où nous choisissons d’être des dieux ? Sans mesurer que l’éternité, la mémoire, le coeur de nos enfants nous attendent au tournant ?

Tu vois pour toutes ces raisons, ne m’envoie pas de mail. Tu es globalement un mauvais souvenir, un choix terrible à conséquences multiples que je m’efforce d’assumer. Même mon ex-mari, j’arrive à penser à notre histoire sereinement, j’ai fait la paix avec, mais toi… Je n’y arrive pas. Je n’y vois qu’un désastre.

Et vois-tu un désastre, ça ne se fête pas.

Alors avant dix ans, garde tes sentiments, tes souvenirs, ta légende et ton fantasme pour toi. C’est une prière.

Pourtant,

Pourtant, l’espoir, ma foi, l’éternel recommencement, ce coeur qui se régénère toujours, ce phoenix

Pourtant, je continuerai à dire à mes enfants en dépit de tout :

« The greatest thing you’ll ever learn
Is just to love and be loved in return »

Cela reste figé dans mon coeur comme un mantra, j’ai juste choisi d’autres formes d’amour.

J’espère que tu aimes et que tu es aimé en retour . C’est mon cas, je le suis.

C’est tout ce qui reste finalement à la fin.

À mon fils…

« There was a boy, a very strange enchanted boy
They say he wandered very far, very far, over land and sea
A little shy and sad of eye, but very wise was he
And then one day, one magic day he came my way
And while we spoke of many things, fools and kings
This he said to me: « 

(Ne te méprends pas, ces paroles me parlent de mon fils)