La ligue. 2007- 2012. (Lets take a dive swim right through).

22 février 2020 15 Par Catnatt

la guerre des boutons évidemment

Billet d’aficionados…

5 années de découverte, de lâchage, d’écriture, 5 années de farwest, 5 années à commettre toutes les erreurs possibles et imaginables.

J’ai été contactée plusieurs fois par des journalistes au sujet de la fameuse affaire de la ligue l’année dernière, non pas parce que je les connaissais personnellement -le seul avec qui j’ai peu échangé dans la vraie vie, c’est Guillaume, période OWNI – mais parce que je suis une vieille routière de twitter. J’ai à chaque fois expliqué le même constat, c’est une histoire complexe, les choses ne sont ni noires ni blanches. J’ai échangé professionnellement 3 fois avec François-Luc, étais vaguement pote de réseaux avec Charles, Loic, Bertrand. J’utilise sciemment les prénoms, même si ça ne postule pas d’une quelconque intimité, c’est juste que je n’ai pas l’intention de rajouter ma couche au référencement.

J’ai entendu parler de la lettre à l’époque, du concept de ligue, du harcèlement parce qu’il y en a bien eu ; tout ça flottait dans notre univers, c’était des données dont on devait tenir compte. Ça ne m’a pas empêchée de suivre un jour Vincent bien après toutes ces histoires et de continuer de le suivre aujourd’hui. Je l’ai fait parce que c’est un bon journaliste. Je suis encore Guillaume et lui ai même présenté des excuses parce que j’aurais dû ouvrir ma gueule en février 2019.

Je suis rentrée en internet en 2007 comme on rentre en religion. Mon premier blog qui était collectif a été construit par un grand ponte du web que vous connaissez tous, un expert anti censure, anti tout ce que tu veux, ce qui ne l’a pas empêché de me menacer d’un sale référencement quand ça a tourné au vinaigre. Les principes à géométrie variable en somme ( vous verrez ce principe sera souvent évoqué ici). Je suis arrivée en octobre 2007, 6 mois après je prenais ma première bouffe.

Et des bouffes, j’en ai pris plein : j’ai été trollée, menacée de procès à 2 reprises, harcelée, on a fait du chantage affectif à mes potes, j’ai été trahie, stalkée, moquée, blessée. Guess what ? Je ne suis pas la seule. J’ai trollé, menacé, probablement harcelé, en tout cas perçu comme tel, fais du chantage affectif à mes potes, trahi sûrement, moqué plus souvent que je ne le pense, blessé incontestablement. C’est tout le problème de l’analyse actuelle sur le twitter des années 2007-2012. On a tous déconné sauf peut-être ceux qui avaient 40 ans à l’époque. Et encore… Et quand l’affaire a éclaté, j’en connais un paquet qui ont dû serrer les fesses.

Bacicoline m’avait dit de m’inscrire sur twitter en 2008. Je l’ai fait, je me suis trouvée face au vide. Je suis repartie, je suis revenue en 2009. Et comme pour les blogs, j’ai découvert un vaste terrain de jeu : les règles se créaient en même temps que l’usage. Beaucoup l’ont confondu avec une impunité totale. J’ai parfaitement identifié les trolls, c’est vrai que les 3/4 de la liste étaient perçus comme tels et si on va par là, j’ai perçu longtemps Thomas comme un troll. Comme quoi les grilles de lecture évoluent. J’ai été copine avec la Florence de droite avant d’acter que selon ma grille d’analyse, elle était complètement barjot. J’ai d’ailleurs été copine avec un paquet de gens qui se sont avérés complètement cintrés. J’imagine que le compliment peut m’être renvoyé. Je me suis moi aussi foutue de la gueule de Capucine – allons, c’était un sport national de le faire, TOUT LE MONDE s’est foutu de sa gueule pendant des années, c’est elle qui a pris le plus cher * – j’aimais bien l’autre Florence et je crois même que je suivais Iris ; j’étais pote avec Thomas et Lucille.

Je ne suis plus pote du tout avec Thomas et Lucille, le premier a acté que je n’avais pas l’attitude requise au moment de l’éclatement de l’affaire parce que j’ai estimé et j’estime toujours que Slate était le dernier endroit où traiter cette histoire. Je n’ai plus jamais lu Slate après ça. J’ai été très déçue par la faux culterie qui a régné pendant le règlement de compte : le fameux « Mais moi, c’est pas pareil ». Mais, ma cocotte tu trollais en meute, mon poulet, tu as participé au harcèlement en règle de ce mec. C’est pas à géométrie variable, là non plus.

West side story.

C’est ça l’histoire, une histoire de bandes, les ennemis de mes amis sont mes ennemis, ha mais attend, ennemi commun /conjuguons nos forces, ha mais attend, une semaine plus tard les amis de mes ennemis sont mes ennemis. C’était ridicule et pathétique, c’était pas la guerre des boutons, c’était la guerre des tweets. Rajoutez à ça une ambiance de lycée américain avec les populaires et les losers, vous avez une bonne vision d’ensemble. La bande de la liste c’était l’aristocratie de twitter et soyons francs, tout le monde voulait être pote avec eux ou être vu par eux. Le sentiment d’impunité vient de là aussi. Vincent était le petit prince de twitter et sa popularité immense (enfin à l’aune du réseau hein…) entraînait son entourage dans son sillage. Qui se souvient de Bien Bien Bien ? LE blog de l’époque qui trônait en tête du classement ?

J’ai relu des blogs du moment. C’était pas tellement féministe. J’ai lu des billets où je suis tombée de l’armoire : telle figure de proue du féminisme actuel ne l’était pas tellement. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je trouve ça très bien, vaut mieux tard que jamais. Par contre, s’emparer de sa plus belle plume pour écrire sa révolte n’était franchement pas nécessaire, relis ton blog et fais un examen de conscience. Car oui j’ai une manie, celle de balayer devant ma porte et j’ai la faiblesse de croire que tout le monde devrait en faire autant. Ça rencontre peu d’échos, je ne vous le cache pas.

Le plus ironique de cette affaire c’est de constater que ceux que je perçois comme les plus dangereux sont encore en place. Ça je persiste et je signe. La seule fois (en tout cas dont je me souvienne) où j’ai été confrontée directement à certains membres de la ligue ce n’était ni Vincent ni Alexandre. Ceux qui ont lu le témoignage de Laurence savent de quoi je parle : un billet de blog sur Megaconnard.fr avec des commentaires à teneur antisémite, des photomontages antisémites, une étoile jaune à une chemise blanche, un portrait sur l’entrée d’Auswitch . Et l’une des victimes officielles de la ligue apportant son soutien à ces membres, expliquant doctement que certes c’était limite, mais drôle. Oui, oui. Un photomontage avec une étoile jaune, à l’époque, ça pouvait être perçu comme fun. C’était le mai 68 de l’internet : il était interdit d’interdire et prions Saint Desproges (cf on a le droit de se moquer de tout blablabla). Quand je rappelais la loi Gayssot, on se foutait de ma gueule en coeur. On en a parlé autour de nous, tout le monde nous a dit de laisser pisser. On pensait tous qu’on ne pouvait rien faire. Laurence a porté plainte. Dans le vide, aucune réponse des autorités ne lui a été fournie.

Et voilà on touche du doigt l’ambiguïté crasse dans laquelle on barbote quand on parle de la ligue : selon les jours, ça chassait en meute avec eux et le vent tournait, tu étais finalement l’objet du foutage de gueule faisant de toi une victime. Ce pourquoi si tu cherches vraiment, tu peux tomber sur des échanges extrêmement cordiaux entre victimes et bourreaux. Et que ça s’invite, et que ça se fête les anniversaires, et que ça se marre ensemble. Laurence et moi étions plus âgées, plus armées, ce qui fait que cette petite histoire a eu assez peu d’impact sur nous et surtout nous étions capables de distinguer le vrai connard du fanfaron. Surtout nous avions une vie, une carrière professionnelle et on ne comptait pas sur twitter pour exister.

On avait déjà souhaité ma mort. En 2009 exactement. En fait, non, personne ne souhaitait réellement ma mort, mais on l’écrivait. Il y a eu 5 années où il y a eu un fossé abyssal entre ce qui s’écrivait et ce qui était réel. Les 3/4 de ce qui a été écrit n’auraient jamais été dit dans la vraie vie. Je n’en suis plus si sûre aujourd’hui, les gens ont complètement vrillé. Très vite je l’ai compris et ma bio a été pour toujours la même : se comporte IVL comme en IRL ; se comporte dans la vie virtuelle comme dans la vraie vie. Certains membres oubliaient ça vraisemblablement parce que lorsque Laurence en a eu un au téléphone, il n’en menait pas large. La teneur de la conversation ne sera pas révélée ici, ce qui compte c’est qu’il sait et que nous savons…

Grandes gueules, petits bras.

À l’époque d’Epidemik (2008/2009), on avait une rubrique qui s’appelait le Voicik : c’était le Voici des blogs. Ça volait pas très haut, mais j’avoue que ça fait partie de mes plus grandes crises de rigolade ever. Le principe était de choisir un blog et de traquer les inepties. C’était impitoyable, n’importe quel billet pouvait être retourné. Il y en a eu un particulièrement savoureux sur un blog tenu par une jeune maman, blog honnêtement indigeste. Nous étions des trolls à l’époque, on va pas se raconter d’histoires. « On » – et je dis bien « On » parce que les décisions étaient prises de manière collégiale, pourtant je n’ai pas écrit ce texte – on s’est foutu de sa gueule dans les grandes largueurs. La jeune maman a fermé son blog direct après ça. Est ce qu’elle a pensé à nous lorsque l’affaire de la ligue a éclaté ? Probablement. Est ce qu’elle s’est sentie harcelée à l’époque ? Sûrement même si nous n’utilisions pas ce vocabulaire. Internet était déconnecté du réel. On croyait vraiment que ça l’était. Nous estimions qu’à partir du moment où c’était publié, on avait le droit de se moquer. En somme, toute personne s’exposant sur internet devenait une personnalité publique et donc potentiellement une cible. On savait tous qu’on pouvait en être une un jour ou l’autre ou si nous étions naïfs, on le découvrait quand ça nous tombait sur la gueule.

C’est tombé fin 2008, au détour d’un texte avec des commentaires cette fois ci nous accusant d’antisémitisme. On s’était borné à publier une lettre d’un descendant de la shoah qui avait réclamé ( de mémoire) le retrait de ses ascendants d’un mémorial en raison de la politique israélienne vis à vis de la Palestine. Ce qui a mis le feu aux poudres ? La suppression de commentaires. Ce n’est pas moi qui l’ai fait, mais c’est bel et bien moi qui en ai pris plein la gueule pendant des jours et des jours. Pourquoi ? Parce que j’étais considérée comme le leader. À tort. Je gérais le quotidien, mais le blog était bien tenu techniquement par plusieurs personnes. À tort ou à raison, je pense que c’est exactement le problème de Vincent : être perçu comme le leader alors que je pense, à tort ou à raison, qu’il s’est fait déborder par la suite et par la droite.

C’est à ce moment-là qu’ on a souhaité ma mort. Écrit noir sur blanc. J’ai géré comme une merde. En fait j’ai pas géré du tout, je me suis agitée dans tous les sens, je hurlais à l’injustice, mais ça rencontrait très peu d’écho. Le truc c’est que personne ne se rendait compte qu’en ajoutant son petit commentaire dans son petit coin, j’étais face à une montagne d’insultes alors que je n’avais rien fait à l’origine.

Encore une fois, on touche du doigt l’un des problèmes de la perception des agissements de la ligue. 33 pimpins ne font pas la loi sur twitter, même à l’époque. Ce sont les centaines d’accompagnants qui ont fait la différence. Ces centaines là qui font parfois cause commune avec les victimes d’aujourd’hui. Ces centaines là qui ont la plupart du temps zappé de se remettre en question en février 2019. Et ce pourquoi j’ai claqué la porte pendant des mois. C’est pas moi, c’est lui, ça va 2 minutes.

Le prix du lol. En fait, twitter était une vaste cour de récré, dure et hilarante. Certains membres se grisaient de franchir les lignes rouges les unes après les autres parce que le juridique ne pénétrait pas dans le territoire ; leur territoire. On voulait ABSOLUMENT ET À N’IMPORTE QUEL PRIX se marrer. Plus âgée, j’avais beaucoup plus de limites qu’eux, mais s’ils rencontraient un écho, c’est bel et bien parce qu’on faisait suivre, ça se répandait à chaque retweet manuel. C’était pas une erreur, tu le faisais sciemment. Leur création la plus hilarante faut bien l’avouer – enfin on leur attribue – était un faux compte de journaliste, Pascal Méric, avec les fameux ashtags #dansedesmots #netiquette et reconnaissons le : on s’est tous vraiment marré. Le problème vient de là aussi : ils étaient parfois, souvent hilarants. Si les choses avaient été binaires, ils n’auraient pas eu l’audience qu’ils ont obtenu. Et cette audience, cet impact ressentis par les victimes renvoyées à une terrifiante solitude face à la masse et au pouvoir, c’est bien nous qui les avons apporté sur un plateau.

Les élections présidentielles de 2012 ont sifflé la fin de la récré. Enfin c’est ainsi que je le perçois. Le printemps arabe avait donné une autre impulsion. Les officiels étaient arrivés au compte goutte entre 2009 et 2012. C’était beaucoup plus sérieux, on s’est tous pris au sérieux d’ailleurs, beaucoup trop, la vraie vie est arrivée en ce territoire. On a tous commencé à lisser nos comportements alors qu’on s’était conduits comme une bande de gosses attardés et cruels pendant des années. Il y avait une phrase très juste qui se disait beaucoup : facebook, c’était les potes d’écoles, twitter c’était les potes que tu aurais aimé avoir eu à l’époque. Vaste nuance et déclenchement de surenchère.

Est ce que les victimes officielles de la ligue sont bel et bien victimes ? Elles le sont, elles le croient d’ailleurs en toute bonne foi. Est ce que j’ai un avis nuancé sur certaines ? Bien sûr. Parce que précisément j’ai été des deux côtés de la barrière : j’ai trollé et j’ai été trollée et certains(nes) ont fait exactement pareil. Ce n’est pas parce que tu es victime un jour que ça t’exonère des saloperies que tu as commises avant. Mais ce qui compte c’est leur ressenti, je ne bataille pas ça. Ce n’est pas un billet pour les remettre en cause, c’est un billet de contexte  (en espérant que les gens savent lire…)

La responsabilité est collective. Tous ceux qui avaient un tant soit peu d’influence ont une part de responsabilité dans cette affaire. Et le plus ironique c’est que lorsque je lis certains tweets sur Benjamin Griveaux, j’ai très envie de donner rendez-vous dans 10 ans à certains ; ceux-là même qui pourraient me répondre que ce dernier est une personnalité publique et qu’ils ont le droit. Mais pensent-ils aux enfants de ce type ? Non. Ce qui compte c’est d’exister dans le déferlement, d’avoir apporté sa petite pierre à l’entreprise de démolition.

Hé bien c’est exactement ce qui se passait à l’époque. Twitter avait ses stars, hommes ou femmes (ha oui j’ai oublié de préciser que je ne crois pas un quart de seconde que les femmes étaient particulièrement visées par la ligue. Ils tapaient sur tout le monde) et chaque erreur se payait cash. Tu te levais le matin et tu trépignais à l’idée de hurler de rire sur le dos de quelqu’un ou pas. Et tu pouvais en fait finir l’après midi en chialant parce que c’est toi qui avais pris cher.

Il n’y a pas de syndrome de Stockholm. Tout le monde savait parfaitement ce qu’il faisait. Par contre peu se demandaient quelle soirée allait passer la victime du jour : oh ça va c’est pas grave ! Get over it ! Don’t feed the troll ! Combien de fois on l’a seriné cette p… de phrase sans réaliser que bien évidemment t’as envie de te défendre, de te faire entendre, que c’est le réflexe le plus humain qu’il soit. Mais les victimes étaient désincarnées, c’était une photo et des mots. Elles n’existaient pas pour de vrai. Elles étaient surgies de nulle part, sans passé, sans avenir, sans famille, sans boulot, elles n’étaient rien.

À chaque fois qu’on déshumanise les gens, on peut s’attendre au pire. Qu’ils soient des personnalités publiques ou pas. Le trolling continue sur twitter, le harcèlement continue, la même petite et poisseuse mécanique est à l’oeuvre chaque jour : à chaque fois que tu y vas de ton fiel, que tu tapes sur la vie privée, à chaque fois que tu relances d’un « connard », à chaque fois qu’un nom se retrouve en trending topic et pas pour le féliciter, tu es dans la même mécanique. Matthias a balancé cette liste sans réaliser qu’il faisait exactement la même chose que ses anciens bourreaux : jeter en pâture des noms désincarnés sans se poser un quart de seconde la question de leur implication réelle, leur passé, leur avenir, leur famille, leur taf. Il a balancé une liste en souvenir de ses souffrances passées que je ne conteste pas. Même si à l’époque il a pu être perçu lui aussi comme un troll. Isn’it ironic ? Ça n’enlève rien à son témoignage que j’ai trouvé très touchant, c’est d’ailleurs le seul que j’ai retweeté. C’est juste qu’encore une fois on barbote dans une ambiguïté crasse et des principes à géométrie variable.

Et toi ? Toi qui es si sûr de ton bon droit ? Toi qui te jettes comme un mort de faim sur l’erreur du jour ? À l’affut d’un bon mot, d’une bonne réplique, d’un tweet qui va se répandre comme une épidémie pour t’amener enfin la reconnaissance à laquelle tu as droit ?

Ne pense pas qu’avec le licenciement de certains membres, t’as réglé quoi que ce soit, tu t’es juste fait plaisir 2 minutes ; ces 2 petites minutes de plaisir où tu as le sentiment que l’ordre a été rétabli, ordre érigé évidemment selon ta propre morale, souvent à géométrie variable bien entendu. Et tu veux que je te dise ? Tu es accro à ces deux minutes.

Les mêmes fameuses deux minutes de plaisir qui ont fait « bander » la ligue pendant des années…

« The call to arms was never true
Time to imbibe, here’s to you
I’ll tell you stories bruised and blue
Of drum machines and landslides »

À Guillaume…

*Cette phrase a été modifiée suite à un commentaire.