Des rencontres et des humains : Céline, la lumineuse.
J’ai commencé la série « Des rencontres et des humains » en 2008, j’ai écrit une série de portraits de personnes qui avaient été importantes dans ma vie, je les ai toujours illustré avec des photos d’amérindiens du XIXème siècle. J’ai cessé en 2009. Onze ans plus tard, me revoilà.
Céline est mon intrigue, mon opposée et mon amie. Céline est la personne la plus fascinante que je connaisse car Céline est parfaitement équilibrée.
Tous mes amis ou presque ont été fracassés à un moment donné ou à un autre ; ce que j’appelle la pierre angulaire, l’évènement majeur, le mot de trop, le silence de trop, l’instant qui construit votre personnalité, l’avant après. Fêlés, ils laissent passer la lumière, Céline, elle, ouvre grand les portes, elle ouvre grand les bras et que la lumière soit. Je me suis toujours dit que si je reprenais cette série, c’est par elle que je commencerais.
« You put a big bird in a small cage and he’ll sing you a song
That we all love to sing along »
Céline est mon immense oiseau dans une toute petite cage et elle chante. Elle embrasse la vie à pleine mains, sourit au monde et s’entoure de gens tourmentés. Son mari et moi, nous sommes ses âmes complexes et il y en a sûrement d’autres que je ne connais pas. Je ne m’expliquerai jamais vraiment comment peut elle me comprendre à ce point-là. Céline n’a pas de crise existentielle, il est des humains pour qui la vie est une évidence.
On pourrait croire qu’elle manque de profondeur, équilibrée comme elle est, ce fameux mythe que la souffrance génère la perspicacité, mais vous assisteriez à nos conversations, vous seriez vite convaincus. Je ne sais pas, je crois que Céline a l’intelligence de la vie, je crois qu’elle est née avec. Ça ne s’explique pas, ça s’offre à nous comme une bénédiction.
« Mme O’Brien : Il y a deux voies dans la vie : celle de la nature et celle de la grâce. » (Tree of life)
Je dis de certains de mes amis qu’ils sont mes petits miracles, de Cécile à Céline, l’opposée du spectre. Dans tous les sens du terme. Je la regarde et je suis fascinée. Elle a choisi la grâce, elle a choisi la simplicité comme une noblesse. Elle est prof dans un lycée technique et en douze ans, je ne l’ai jamais vu se lasser vraiment, elle aime ses élèves, elle aime la transmission. Elle passe des heures à tenter de rendre ses cours les plus intéressants possible, offre des espaces de discussion, est là présente, sans jamais vraiment juger qui que ce soit. Céline est l’archétype de ce qu’un humain devrait être.
Elle qui ne croit pas m’offre la foi à chaque fois que je la vois. Sais-tu à quel point je t’admire ?
Elle n’est pas exempte de moments de doute, elle aussi par moments ne va pas très bien, s’interroge, ne croyez pas que sa vie est un chemin pavé de fleurs, loin s’en faut, elle n’est pas épargnée, mais cela ne dure que l’espace d’un instant à l’échelle de la vie, elle est douée pour exister. Comment expliquer cela ? Est-ce une chance, oui, une bénédiction ou une construction patiente, un instinct extra-ordinaire, une éthique naturelle ? Je pourrais lui décerner l’Oscar, le César d’une vie méritante, d’un quotidien bien rempli. Je n’ai jamais vu Céline en colère. Oh elle doit l’être, sa fille l’a rendue dingue à un moment donné, mais autant l’on pourrait dire que mes crises me définissent, autant ce n’est pas sa caractéristique première. Je n’ai jamais vu Céline déprimée, enfin si, une fois et l’explication était organique. Je ne m’inquiète jamais vraiment pour elle, c’est probablement mon amitié la plus reposante.
Nous nous installons dans mon canapé deux, trois fois par an et nous commençons à discuter à bâtons rompus. J’appuie toujours où ça fait mal, je ne peux pas m’en empêcher, enfin non, ce n’est pas tout à fait ça, je pointe là où ça grippe, elle me regarde et réfléchit. Céline est un honnête Homme et moi je cherche sa pierre angulaire sans jamais la trouver. Je souris à cette idée car avec le temps, j’espère en fait ne jamais la découvrir. Elle me dit depuis toujours que nos conversations sont essentielles pour elle et ma chérie je te renvoie le compliment. Ton indulgence et ton amour de l’autre sont autant de baumes au coeur. Je décortique, je coupe les cheveux en quatre et toi tu acceptes en souriant que certaines choses restent incompréhensibles comme un pacte que tu aurais passé avec les mystères, les ombres et les silences. Elle est stoïque au sens noble du terme, elle est mon Marc-Aurèle personnel, elle est presque (je n’ose enlever cette nuance) à une de ses citations les plus connues :
« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. »
Elle est la chanson que j’adore fredonner, celle qui me murmure que tout ira bien, que l’espérance est immense, elle est la chanson de tous les jours, celle qui devrait toujours trotter dans nos esprits, une ritournelle clairvoyante, un air qui ne devrait pas nous quitter.
Nous cherchons, je cherche ce qu’il y a de plus grand que la vie et je le trouve pelotonné au fond de mon canapé, un café à minuit à la main, son sourire lumineux et ses dents du bonheur. C’est peut-être pour ça qu’elle les a, comme un signe distinctif de tous les autres humains, qu’on puisse reconnaître la grâce dissimulée sous une existence simple, everyday people, qu’il est inutile de courir après le grandiose et l’éblouissant, la grâce est là, juste dans le parfaitement normal, nichée dans une jolie blonde qui adore être dans sa bagnole, rencontrer des gens, éclater de rire, être surprise par ses élèves qu’elle aime tant, lire pendant des heures, son refuge, une jolie blonde douée pour l’Amour avec un grand A. Tout prend des majuscules avec elle, des particules de noblesse, la noblesse des grands sentiments. Elle Aime.
Céline est mon immense oiseau dans une toute petite cage et elle chante. Je lui offrirai un espace infini où elle pourrait déployer ses ailes si je pouvais, mais dès lors elle ne serait plus la petite joie constante que l’on croise au coin d’une rue.
Céline est la chanson que j’adore fredonner, mon immense oiseau en paix avec l’existence, qui devine la détresse, ouvre grand ses ailes et d’un simple sourire vous rassure : tu trouveras le sens de tout ça un jour.
Très bel hommage. On devrait toujours rendre hommage aux gens de leur vivant.
merci Isa !