De l’espérance ( Immensità )
Et je me suis demandée quelle était la différence entre espoir et espérance, cette dernière me semblant naturellement plus grande que le premier. J’ai cherché et la réponse m’a convenue :
- L’espoir est le fait d’attendre et désirer quelque chose de meilleur, pour soi ou pour les autres : il peut être considéré comme une émotion ou une passion,
- L’espérance est une confiance pure et désintéressée en l’avenir. C’est une valeur présente dans diverses traditions religieuses ou spirituelles. *
On peut lister les différences suivantes entre espoir et espérance :
- l’espoir est joie et désir alors que l’espérance est prudence et patience,
- l’espoir peut être déçu, ce qui n’est pas le cas pour l’espérance,
- l’espoir relève souvent de l’illusion alors que l’espérance relève de l’intuition,
- l’espoir ne dure pas, alors que l’espérance ne s’éteint jamais,
- l’espoir meurt avec l’échec, ce qui n’est pas le cas pour l’espérance,
- etc*
Le confinement m’a posé un problème entre autres : j’ai beaucoup de mal à entendre les inquiétudes générales. Ce que je veux dire, c’est que si j’écoute attentivement les angoisses personnelles de mon entourage, basées mettons sur des faits, du concret, je bloque dès lors qu’il s’agissait de peurs – allons je ne vais pas dire irrationnelles car nos dirigeants ne sont pas spécialement à la hauteur de l’enjeu – mais mettons abstraites.
Car j’ai l’espérance chevillée au coeur. Je ne m’en suis jamais cachée, je suis croyante. L’espérance fait partie des trois vertus théologales du christianisme et même si je suis partie, on ne change pas aussi facilement. C’est précisément dès lors que le catholicisme entrave ces trois vertus, les plus hautes à mon sens, que je me mets en colère : la foi, la charité et l’espérance, la foi à titre personnel étant la plus grande, la plus folle : qu’est-ce ça veut dire de croire en l’invisible, l’inexistant pour tant de gens, l’inconnu, quelque part la magie ou plutôt une pensée magique, l’irrationnel, quelque chose qui pare d’un costume de gestionnaire l’univers ? Quelque chose qui remet de l’ordre et du sens là où nous sommes complètement dans le noir ? Poser une petite lumière dans la plus grande obscurité. J’admire sincèrement les athées qui arrivent à encaisser un monde sans sens. Je dois être trop lâche pour ça ou version plus flatteuse, j’ai foi en quelque chose de plus grand que moi, j’ai foi en l’invisible. Qui de nous deux ?
Hawkins disait : « « Parce qu’il y a des lois comme la gravité, l’univers peut et doit secréer lui-même à partir de rien. […] La création spontanée est la raison pour laquelle il y a quelque chose plutôt que rien, pourquoi l’univers existe, pourquoi nous existons. Il n’est pas nécessaire d’invoquer Dieu pour appuyer sur la touche ‘on’ et faire démarrer l’univers. »**
Alors mettons nous d’accord ici pour parler d’univers. Cela n’empêche aucunement l’espérance que l’on ait la foi ou que l’on soit athée. Après tout, l’on peut considérer que l’univers est une espérance aussi puisque spontané. De rien surgit le tout.
Mais pour revenir aux angoisses abstraites, je ne vois pas le point de dire qu’on va tous « mourir », notre avenir est pourri, ça va être horrible, ce monde est atroce etc parce que si je me laisse aller, je pense qu’évidemment je vais me faire licencier, vivre sous les ponts avec mes enfants, ceux-ci étant devenus toxicomanes bien sûr et décéder dans d’atroces souffrances de préférence.
Voilà, on est pas bien là ?
Je crois que c’est un temps à vivre au jour le jour. Le sentiment d’impuissance qu’il génère en chacun de nous peut donner deux états : le désespoir ou l’humilité. Personne ne sait ce qui va se passer, y compris ceux qui devraient l’entrevoir, dont c’est le job de l’apercevoir. Nous voilà tous renvoyés à nos limites. Nous ne sommes rien ; nous ne sommes rien, mais l’espérance se niche dans l’infiniment petit. De rien surgit le tout.
J’ai conscience que c’est probablement facile de par mon statut social de penser ainsi : je coche toutes les cases de l’oppresseur sauf celui d’homme et j’ai le bonus mère célibataire. Mais encore une fois je ne parle pas des angoisses liées au concret dans nos vies, le fait par exemple d’être en CDD ou au chômage pendant cette crise absolument démentielle ou de ne plus avoir de revenus du tout comme ma chère H. Je parle de peurs fantasmatiques, la chute de la France, le grand effondrement, et j’ai envie d’étrangler Le Maire quand il parle de la plus grande crise depuis 1945 : sans déconner, mec, tu crois pas qu’on a tous percuté que ça allait être dur ?! Que nous n’avons pas besoin d’être diplômée d’HEC pour savoir dans nos tripes que cette crise est majeure : ça fait combien de temps que l’économie mondiale n’a pas été à l’arrêt ? )
Pointer scrupuleusement tout ce qui ne va pas va nous dévorer vivant.
Non, je refuse de cauchemarder des lendemains qui pleurent, j’ai besoin que ça chante, je lis Socialter sur le réveil des imaginaires, j’écoute le débat sur le revenu universel, je donne quand je peux, toi c’est moi et moi c’est toi, je refuse de m’avouer vaincue par la sinistrose : assisterons-nous à une dépression collective ? Le monde sous anxiolytiques ? Et j’écoute religieusement tous les jours « Immensità » d’Andrea Lazlo de Simone. Je suis tombée amoureuse. Je suis tombée amoureuse de ce disque, l’élan du coeur et de l’ouïe, j’ai toujours eu un faible pour la musique grandiloquente, grotesque comme dit l’auteur. L’on en dit que c’est « la mise en œuvre d’un ou plusieurs de ces motifs : redoublement, hybridité, métamorphose »****. C’était la musique dont j’avais besoin en ce moment, il me chante l’immensité et demain et tous les possibles, une métamorphose, de rien surgira le tout.
« Tutta la realtà è immensità
Come il sogno poi si dissolverà
Da domani rinizierà una nuova immensità
Da domani.. »
SPERANZA.
L’espérance, elle est chez le personnel médical dévoué malgré la fatigue, dans les dons au plus démunis, les couturières qui ont travaillé gratuitement, chez le voisin qui remplit les bidons d’eau potable du squat d’à côté, chez N qui tient la main de son fils à la Salpêtrière, dans le rire de ma fille, la poésie de mon fils, dans des projets politiques différents, dans l’humanité toute entière, chacun à son tout petit niveau.
Je ne prie jamais. Ma relation avec celui/celle que nous allons nommer Univers ici ne suppose pas que je lui demande quelque chose. Ça ne marche pas comme ça chez moi et prier quoi qu’on en dise c’est demander alors que cette « entité » n’est responsable de rien en ce bas monde. Non, j’assimile ça à une éternelle conversation avec ma conscience.
Je converse avec ma conscience et je convoque mon espérance en m’accrochant aux statistiques globales qui s’améliorent factuellement, la faim, la mortalité, l’éducation, à Steven Pinker *** et je finis en invoquant demain. De rien surgira le tout.
SPERANZA.
Anéantie par la mort de ma mère, je me suis construite, reconstruite jour après jour, année après année pour ne pas me laisser aller au désespoir, erreur après erreur, expérience après expérience pour ne pas me laisser aller à mon penchant pour les scénarios catastrophes et me voilà à 50 ans à savoir, vraiment savoir, que choisir la sale version ne sert à rien, n’est pas plus utile que préférer la jolie. Sauf que cette dernière rend le coeur moins lourd, l’entourage plus joyeux, le corps plus léger et si cette idée me précipite quand même dans le marasme, tant pis, j’aurais vécu les derniers instants dans la réjouissance.
L’espérance est ce qui t’évitera de te faire dévorer par l’angoisse. Cela ne t’empêchera pas de te battre pour tes idées. Justement ! Aies foi en l’humanité et sa capacité à s’adapter, se réinventer pour certes mieux retomber dans ses excès, mais qui au final fait preuve d’une ingéniosité unique. Qui aurait pu croire il y a un siècle que les femmes auraient le droit de vote, que la sécurité sociale existerait, que l’on donnerait de l’argent à ceux qui ne peuvent pas travailler ? Les aides individuelles sont devenues affaires d’état. Certes, il y a des coups de boutoir, mais il ne sera plus jamais considéré normal que l’on vive son merdier sans l’aide de l’État. Parce que nous l’avons vécu grâce à l’espérance de personnes à présent disparues.
Qui aurait pu croire en 1980 que beaucoup de gens deviendraient vegan, que le sujet des animaux en deviendrait un ? Que l’on reviendrait au vélo ? Jamais je n’aurais pensé fêté la joie au coeur le mariage de deux personnes du même sexe. 7 ans déjà !
Et même cette pandémie ? Quand tu penses qu’il y a 50 ans, on a laissé courir la grippe de Hong Kong avec un million de morts à la clé, ne peut-on pas se dire aussi que désormais ce n’est plus toléré ? Certains pensent que le capitalisme ne peut se permettre la perte massive de travailleurs et/ou de consommateurs. Je choisis la jolie version, celle où l’on n’accepte plus que des êtres humains meurent aussi facilement.
C’est ça l’espérance, choisir la jolie version. Parce quel que soit notre choix de prise de vue, le résultat est exactement le même : tu n’es rien à l’échelle de la planète. Ensemble, c’est tout et pas au sens claquage de porte, ensemble, c’est tout comme un absolu, une immensité, un demain.
Qui aurait cru à la fin de la ségrégation (même s’il reste beaucoup à faire) sans l’espérance de certains, sans l’espérance de Martin Luther king ?
Il disait :
« Aujourd’hui, dans la nuit du monde et dans l’espérance, j’affirme ma foi dans l’avenir de l’humanité. Je refuse de croire que les circonstances actuelles rendent les hommes incapables de faire une terre meilleure. Je refuse de partager l’avis de ceux qui prétendent l’homme à ce point captif de la nuit, que l’aurore de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir une réalité. Je crois que la vérité et l’amour, sans conditions, auront le dernier mot effectivement. La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte que la mort. Je crois fermement qu’il reste l’espoir d’un matin radieux, je crois que la bonté pacifique deviendra un jour la loi. Chaque homme pourra s’asseoir sous son figuier, dans sa vigne, et plus personne n’aura plus de raison d’avoir peur. » *****
Au final, la foi ça n’est que ça, une immense espérance, la plus grande. Tant qu’à faire, je préfère être ambitieuse, viser grand, de rien surgira le tout.
Je dis souvent, ne t’inquiète pas, tout ira bien. Je n’en sais rien en fait, c’est mon espérance qui parle et mon coeur et mon invisible. J’espère de toute ma joie être une vieille dame qui caresse doucement les joues en murmurant ne t’inquiète pas, tout ira bien, une phrase, quelques mots et quelques secondes d’espérance. C’est tout ce que j’aurais à donner.
Je choisis l’espérance et demain pour tenter de laisser une jolie empreinte, un dernier souffle radieux, je choisis l’espérance et demain pour que mon sourire soit la dernière chose qui reste, je choisis l’immensité.
J’aurais eu un rêve…
De rien surgira le tout.
SPERANZA.
« Compiere sempre scelte di cuore
Chiedere scusa per un errore
Anche questa è immensità »
Je me suis appuyée sur ces articles pour écrire :
*https://www.jepense.org/difference-espoir-esperance/