Le pardon (The winner takes it all)
JE NE DEMANDERAI JAMAIS PARDON.
Voilà, c’était dit.
L’as de pique sur la table. Tout le monde a abattu ses cartes, il ne reste rien à jouer.
À trop pratiquer aussi le poker menteur, il fallait bien que ça arrive et le vainqueur rafle toute la mise laissant le vaincu si petit.
Comment fait-on face à cette sentence ?
Tu ne demanderas jamais pardon, c’est ainsi, on t’enterrera avec ta version broyée par tes mâchoires, tu ne lâches rien, tu opposes le rouge lorsque c’est manifestement noir, le carreau écrasant le coeur, la dame est partie depuis bien trop longtemps et son fils, le valet, reste démuni.
À quel moment as tu choisi de faire de ta vie une fiction où les absents ont évidemment tous les torts ? Tant d’année à tordre la réalité et que te dis-tu lorsque tu es seul avec ton coeur ? Est-ce réellement la comptine que tu fredonnes lorsque tu t’endors ?
Comment peut-on affirmer qu’on ne demandera jamais pardon ? Je ne m’étais jamais vraiment autorisée à le souhaiter ou même le verbaliser : une espérance flottante, une idée, un possible.
Je ne demanderai jamais pardon et le ton est resté le même, le temps n’a pas de prise sur ce ton-là. L’injonction, le pouvoir, le marteau de celui, celle qui est convaincu(e) d’être dans son bon droit, le droit d’asséner des sentences.
Ça fait des années qu’on joue à cette partie de poker menteur, je vois bien que tu bluffes, je te regarde construire une légende et je sais que la vérité se niche probablement au sein de carnets auxquels je n’aurais jamais accès. Je ne sais pas pourquoi je ne dis rien, enfin si, évidemment, je te protège. Au final nous t’avons tous protégé et je crains que ça ne soit pas forcément par peur, non c’est plus tordu que ça, nous te sentons si fragile finalement. Tu respectes les rites scrupuleusement, mais la guerre fait rage en ton coeur, tu te débats avec les évènements et comme dans tout livre d’Histoire qui se respecte, les amours, les épopées émotionnelles et les récits familiaux, ce sont toujours les vainqueurs qui les écrivent.
The winner takes it all. The loser has to fall.
C’est elle qui a perdu et elle a tiré sa révérence. Au final, tes larmes étaient-elles vraiment liées à la perte d’un être ou avais tu le sentiment, ton épée à la main que tu n’avais pas vraiment gagné ? Etait-ce vraiment elle la coupable ?
On ne t’écoute pas vraiment quand tu débites, on laisse filer, on les a tant entendues ces fictions, ça devrait t’interroger qu’on te laisse déballer autant de chimères sans broncher, mais non plus tu répètes, plus tu dois avoir le sentiment de t’approcher du réel, comme si, comme si un jour nous allions adhérer au récit et par là même, par magie et par tricherie, nous avions le pouvoir de remonter le temps, remonter ta réalité.
Pourquoi est-ce si dur pour certains êtres de demander pardon ? Tu ne le perçois donc pas le soulagement qui pourrait naître de cette phrase ? J’écris, j’écris, mais moi aussi, je devrais demander formellement pardon à une personne. Je l’ai formulé deux cent fois dans ma tête sans jamais arriver à le mettre noir sur blanc. Je ne veux pas causer plus de peine ou c’est ce que je me raconte comme une stratégie d’évitement.
Et lorsque je te vois me regarder droit dans les yeux en criant presque et affirmer que, plutôt crever, tu ne demanderas jamais pardon, je me demande si tu te tortures comme moi. Je donnerais cher pour être dans ta tête. Le doute. Je reviens toujours à cette phrase « « La certitude obéit même à une définition négative : c’est ce qui n’est pas discutable. Mais l’être humain est un être social, qui ne cherche qu’à discuter. Par conséquent vivre assuré de ce qu’on est, et figé dans ce qu’on pense, c’est vivre en inhumain » L. Nunez.
Comment arrives-tu à vivre en inhumain ? Est-ce que ça ne t’épuise pas à force ?
Tu as joué toutes tes cartes et il m’en reste une en fait : le temps. C’est tout le problème, vois tu, le temps qui passe. Ce que tu n’as jamais calculé c’est qu’un jour tu serais faible, à la merci des autres. Enfin, si, pardon, ton révisionnisme affectif tu l’as joué à plein régime, tu pensais que ça serait ta porte de sortie ? Les mensonges empilés les uns sur les autres consciencieusement comme autant de briques qui feraient un mur contre la réalité ? Ton système s’effondre de lui-même, c ‘est un chateau de cartes usé par les parties. Construire ses relations sur le pouvoir, c’est compter sur l’éternité, mais cette dernière n’est qu’un mot à l’échelle de nos vies.
Le vainqueur remporte tout, le vaincu git à terre et c’est toi en fait le vaincu. Le plus fou c’est que j’aurais du être à l’abri en ces murs, mais j’étais une idiote, les règles se jouaient de moi comme dit la chanson.
Alors tu as gagné, je ne parlerai jamais de ma réalité, je te laisserai te conter les histoires que tu veux, tu ne réaliseras même pas le piège qui se referme sur toi, je me crois même capable aujourd’hui de te donner raison lorsque tu m’interpelles car en m’assénant que tu ne demanderas jamais pardon, tu viens de te priver de ta propre rédemption et je suis fatiguée d’essayer de te sauver.
Tu ne demanderas jamais pardon, mais les comptes que tu ne rends pas aujourd’hui, crois-moi, il faudra bien passer à table quand même : ta conscience juste avant de disparaitre aura un dernier sursaut et tu seras face à elle, c’est bien là l’enfer, notre conscience, le lieu de tous nos miroirs. Je ne te souhaite pas ça, je t’aime, mon dieu si tu savais à quel point je t’aime, l’amour et la violence, c’est tordu, j’aurais voulu un chemin de Compostelle, tu as préféré jouer au poker.
Je ne peux pas t’opposer de réalité, je n’étais pas là. C’est ici que tu vaincs. Ton histoire avec elle.
Tu ne peux pas m’opposer de mensonge, j’étais là. C’est ici que tu gis. Mon histoire avec toi.
Vainqueur un jour, vaincu un autre.
Tu ne demanderas jamais pardon et que cela nous serve à tous de leçon. C’est pourtant la phrase la plus humaine qu’il soit, peut-être ce qui nous différencie, nous rend si spécial. Demander pardon ce n’est pas s’agenouiller, c’est reconnaître l’autre et on ne devrait jamais s’infliger ça : au final celui qui ne demande jamais pardon est le solitaire, le figé, l’inhumain, celui qui ne pourra jamais dépasser sa propre condition, vainqueur en papier mâché au bord de l’effondrement. Souvenez-vous en lorsque les mots vous restent au bord des lèvres.
Ça était l’objet de tant de discussions avec mes enfants : j’ai appris à présenter des excuses, je leur en ai présenté tant et eux n’y arrivaient pas. Une bataille de tous les diables avec Charlotte, son orgueil comme une pierre angulaire et c’est un principe si important pour moi. Je voulais absolument briser cette chaîne familiale, cette aptitude dingue à faire mal sans jamais rien réparer.
Demandez pardon lorsque c’est nécessaire, pas pour l’autre, pour vous car toutes les excuses jamais formulées viendront tôt ou tard vous hanter.
Je crois que demander pardon est la plus grande de toutes les victoires, victoire sur soi, sur le temps, sur tout ce qui nous rend si petits et si dérisoires ; demander pardon c’est faire jaillir la lumière des ténèbres pour être grandiloquente.
Tu ne demanderas jamais pardon et tu as signé ta condamnation.
Je te laisse dans le noir, je te reverrai dans le noir, ça me brise le coeur, mais tu ressembles de plus en plus à une cause perdue : tu restes agrippé à la table de jeu, tu ne fais même plus semblant d’avoir trafiqué les cartes, tu sors autant d’as que de phrases assassines, tu défies toutes les règles, je te laisse dans le noir, je te reverrai dans le noir, ça me brise le coeur, mais tu ressembles de plus en plus à une cause perdue : tu erres dans un champ de bataille déserté, vociférant, arrivant à grand peine à soulever ton épée, ton pouvoir en miettes, nous au loin, ivre de tes fictions, ton cri de guerre, the winner takes it all, tes souffrances en étendard, ton égo et ton orgueil comme autant de canons tournés vers toi-même, une tragédie et
Tu ne t’es même pas aperçu que tu étais resté au combat tout seul,
Le coeur au bord de l’effondrement,
Tant pris par ta rage,
Tu n’as pas réalisé que c’était toi le vaincu.
« Throw a dice, cold as ice
Way down here, someone dear
Takes it all, has to fall »
Ce que vous écrivez me touche beaucoup