Des rencontres et des humains : Clémence la courageuse

22 avril 2021 0 Par Catnatt
O-o-be, les Kiowas, 1894

Elle est la première, la toute première, je ne me souviens plus quand, pourquoi, comment les racines de cette relation se sont plantées dans mon coeur. Il y en a eu d’autres après elle, mais ce lien si particulier reste unique. Il y a ma fille, Charlotte et il y a elle.

La première fois que je l’ai vue, elle devait avoir quoi ? 22 ans ? J’ai tout de suite perçue l’énergie particulière, les combats internes, la lutte et l’échappatoire ; Neverland ; le charisme, cette gamine avait du charisme. Une dizaine d’années plus tard, je sais que je ne me suis pas plantée, elle fait ma fierté chaque jour.

C’est inconditionnel avec elle, je crois sincèrement qu’elle pourrait faire les pires trucs que je trouverai les ressources nécessaires pour comprendre et lui pardonner. Parcours complètement différents, mais nous faisons cause commune sur certains points et c’est probablement ce que j’ai perçu dès le départ. Elle reste démunie face à l’inconstance et l’incohérence. Elle est courageuse, bon petit soldat de l’existence, en quête de sens, elle tombe et se relève. Toujours.

On s’est hurlé dessus un jour, on se faisait face, 30 pauvres centimètres nous séparaient, on hurlait, on ne comprenait même plus ce que l’autre disait, la panique autour de nous, ça ressemblait à du sale définitif et pourtant 1 heure après, on s’appelait et on décortiquait tranquillement ce qui s’était dit et cet épisode n’a jamais laissé de traces.

Elle sera seule. Elle sera fatalement seule parce que la liberté, ça se paye cash. Et elle est d’une liberté folle, même quand elle m’aligne des commentaires snobs. Elles sont deux en elle à se battre, la petite fille qui rêvait de paillettes, glamour et show business et celle qui sait pertinemment que tout ça, ce sont des conneries, une session de surf avec des locaux à 5h du mat, c’est bien plus gratifiant qu’une soirée branchouille. Elle rêvait de paillettes parce qu’elle avait déjà compris qu’au final, tout est illusion, quitte à être dans un mirage, autant y être à fond.

Elles sont deux à se battre en elle, celle avant et celle après. Après, après la pierre angulaire. On lui a bousillé son enfance, une seule après-midi, être là au mauvais moment, au mauvais endroit. Après elle a dû faire comme elle a pu, seule. Faire comme si de rien, comme si rien ne s’était passé et on s’étonne de ses accès de colère. Les gens sont fous.

I got to do things my own way darling

Will you ever let me? Will you ever respect me? No!

Do things my own way darling

Et Clémence est tombée. Elle s’est fait rattrapée par ce qui nous poursuit tous, l’enfance, les secrets que personne n’a décidé et pourtant respecté, les accords tacites pour que rien ne trouble l’eau qui dort, ce qui est enfermé, la clé autour du cou.

Je partage avec elle ce que je ne partage pas avec ma fille : cette dernière a depuis longtemps compris que les gens ne sont que ce qu’ils font et ça ne la rend pas dingue comme Clémence et moi lorsqu’ils font de la merde. Ça ne lui perce pas le coeur, les petites trahisons ne la brisent pas un petit peu plus chaque jour.

Et Clémence est tombée. Lors de ces heures passées au téléphone ensemble, à visiter le passé, qu’elle me raconte son histoire, la vraie, l’enfer toujours pavé de bonnes intentions et elle me l’a dit plusieurs fois qu’elle pensait qu’elle ne s’en sortirait jamais. Mais ma chérie, il faut chuter pour tutoyer son humanité, l’humanité. On ne peut comprendre réellement que lorsqu’on a basculé de l’autre côté du miroir.

Ça me rend joyeuse de voir que des personnes traversent une vie sans drames, sans s’écrouler, mais ça n’empêche pas qu’en mon fort intérieur, je pense qu’ils sont passés à côté. Ce n’est que lorsqu’on est à terre qu’on perçoit réellement la fragilité, l’émotion, la petite musique intérieure.

I come fluttering in from Neverland

Time could never stop me, no, no, no, no, I know you try to

Et Clémence est tombée, neverland pendant des mois. Elle aimerait que le monde entier vive dans une vérité plutôt qu’une illusion. Elle sera seule et je n’ai eu de cesse de lui répéter : fais de la solitude ta meilleure amie. Lorsque je dis qu’elle sera seule, je ne sous entends pas qu’elle n’aura pas de compagnon d’existence, des enfants, la panoplie – tu l’auras ma chérie, je te le promets, tu auras tout, tout ce qui te ressemble – je lui dis juste que fatalement, elle se sentira un peu plus seule que les autres parce que la lucidité, ça aussi ça se paye cash.

Tout se paye cash.

When I look outside my window

I can’t get no peace of mind

J’espère qu’elle sait que depuis que nous sommes rentrées dans une intimité, elle et moi, je lui tiens la main et que tant que je serai là, elle pourra se retourner et constater que je la tiens encore. Je suis et reste un recours. Je ne te lâcherai jamais.

La lâcheté la rend dingue, comme moi : les petites, les grandes, celles qu’on a vis à vis de soi-même et les évènements, le recul face à ses responsabilités et le refus de se regarder en face.

Elle qui ne s’estime jamais assez à la hauteur, elle est pourtant largement au dessus de la mêlée. Elle vient de Neverland comme toutes les petites filles fracassées et demande juste de la considération pour ce qu’elle ressent. Faut il être con comme un balai pour pas comprendre ça. On devrait tous avoir de la considération pour ce que l’autre ressent sans pour autant changer de décision, on devrait tous se traiter avec respect. La désinvolture, ce qu’elle cache et ce qu’elle fait comme dégâts jour après jour. Comme si de rien n’était.

Parce qu’on ne lui a pas accordé quand elle s’est fait brisée en deux, elle poursuit la considération originelle, elle te regarde et se demande si toi tu vas enfin vraiment la considérer. C’est pour ça qu’elle fait peur. Ce n’est pas qu’elle juge, elle renifle les dérobades à des kilomètres, les ancestrales et les actuelles. Elle ne t’observe pas toi et tes agitations, elle scrute ton âme pour savoir de quoi elle est faite.

Et Clémence est tombée et a tendu la main à la petite fille qu’elle a été. Répandant son sourire au lieu de sa peine, on s’étonne de ses excès, sa façon de se perdre en soirée parfois, mais toi qui la juges, es tu poursuivi par des démons ?

Ma chérie, ne t’en veux jamais de vouloir oublier pendant quelques heures, d’être excessive parce que ce qu’on t’a fait est inhumain, ce qu’on t’a quelque part demandé était inhumain et qu’il faut toute une vie pour faire la paix avec ça. Tu as droit aux pas de côtés, aux échappatoires. Tu n’es pas folle, tu ne l’as jamais été, ce sont les autres et leurs arrangements avec les petites et grandes barbaries qui sont fous.

Et le temps fera le reste.

Tu apprendras à encaisser la solitude parce qu’il n’y a que là qu’on est dans une vérité. Tu étais dure parfois, qui ne le serait pas à ta place, mais ta chute t’a adoucie. Puisque personne n’a pris la petite fille dans ses bras pour l’écouter, tu l’as fait, toi. Seule. T’as rejoué la scène et tu t’es pris tout pleine balle. Tu as compris que finalement il fallait que tu te considères par toi-même. Tu as traversé le miroir ce que nous devrions tous faire à un moment donné ou un autre de nos existences. Tu as raconté, tu racontes parce qu’il faut que ces histoires existent et tu sais à présent ce qui t’anime, tu n’es plus prisonnière de leviers névrotiques, tu les connais. Tu les verras s’enclencher de loin et tu souriras. Tu continueras de répandre ton sourire au lieu de ta peine, toujours courageuse.

Tu es à l’aube du renouveau, neverland et everland dans tes mains, les deux sont nécessaires pour vivre pleinement une vie. Ton chemin ne ressemble à personne, tu n’as pas à envier les parcours bien propres, ils ne te ressemblent pas, le chaos, lui, est bien réel.

Tu as affronté ton propre démon.

Femme puissante.

Tu es affranchie.

Ma courageuse affranchie.

Tu seras libre.

Et je t’aime tant.

I come fluttering in from Neverland

I got to do things my own way darling