Le diner

30 novembre 2008 0 Par Catnatt

Bain News Service,, publisher.

Je suis invitée à un dîner. Chez des personnes que je ne connais pas. Nous sommes nombreux. Les conversations fusent. Je trouve tout le monde de prime abord sympathique. Des anonymes avec qui j’échange. Avec qui je me marre. Ils sont, bien évidemment d’accord sur Sarkozy. L’attitude du Président est proprement scandaleuse. Oui, bien sûr. L’annulation du mariage pour absence de virginité, c’est indigne.Oui, bien sûr. TF1, c’est vraiment de la merde. Oui, bien sûr. Les sans papiers ? C’est vraiment dégueulasse. Oui, bien sûr. J’ai la sensation d’avoir rencontré des frères d’armes, toutes proportions gardées.

 

Je me raconte. Un peu. Deci delà. J’en apprends un peu plus sur eux. Nous rigolons beaucoup. L’apéro se prolonge. Ils adorent ça apparemment. Des blagues de cul. Des jeux de mots débiles. Belle partie de ping pong verbal. Si, au début, je ris, je commence à me lasser. Nous sommes passés à table. La crise financière. La faute au capitalisme. À l’individualisme. Oui, bien sûr. Le fils Sarkozy ? Effarant. Oui, bien sûr. Et j’aborde le sujet des enfants soldats. Tout le monde est révolté. Oui, bien sûr. Mais quand je leur propose d’acheter le cd qui permet de financer leur retour à une vie normale, c’est curieux, je n’entends rien. Pas la moindre réaction. Enfin, si, une ou deux. Mais vu le nombre de personnes à table, je suis déstabilisée. Allez quelques blagues graveleuses pour faire passer. Je ne me décourage pas. Puisqu’ils ont l’air d’humains impliqués, j’évoque l’histoire de Yaya Roy. Un Ivoirien avec des papiers en règle qui, en dépit du bon sens, s’est retrouvé en zone de rétention, et que le gouvernement français a voulu réexpédier dans son pays. J’ai comme l’impression de déranger. Encore une fois, il y a bien quelques réactions mais mes mots résonnent dans le vide. Nos hotes nous servent rapidement le trou normand. Question de digérer…

 

Je commence à envisager mes compagnons de table sous un oeil différent. J’envoie comme une bouteille à la mer un dernier sujet qui me tient à cœur. Le problème de la Cimade, organisme veillant au bon respect des droits des étrangers, en particulier dans les zones de rétention. Je me lève et j’annonce que je souhaiterais lire la lettre ouverte d’Eva Joly parue dans le Monde. Les regards se détournent. Ils prennent de la distance. Ils baissent la tête. Je casse l’ambiance apparemment. Ils ont envie de faire la fête devant leur assiette vide mais qui a été remplie. Devant leur verre de vin, car ils peuvent se leur permettre, ils ont de l’eau potable à profusion. Ils ont envie d’oublier tout cela car ils peuvent se permettre ce luxe inouï qui est l’indifférence quand on n’est pas dans la merde. Ce sont les mêmes qui braillent après Sarkozy et sa politique. Les mêmes qui chialent devant TF1 le dimanche soir de 7 à 8 et qui se précipitent devant la météo pour savoir le temps qu’il fait et « Vraiment, c’est déprimant, il pleut encore demain. ». Devant « Envoyé Spécial ». « T’as vu comme c’est dégueulasse, quand même, cette guerre ignoble en Tchétchénie ? ». « Ha ouais, c’est horrible. Tiens, j’ai une petite faim, va chercher des glaces et la chantilly, s’il te plait ». C’est absurde. La douleur du monde en spectacle, à distance, assis confortablement dans son fauteuil. Cela n’a aucun sens. Ce n’est pas décent.

 

Nous n’avons plus d’excuses. Nous savons. Un film va sortir (Merci à Angelina de l’avoir signalé sur son blog): “Nos enfants nous accuseront”. Oui, bien sur, ils nous accuseront. Nous avons fait partie de la masse, docile et silencieuse. En serrant les fesses pour que ce que l’on voit devant sa télé, ne nous tombe pas sur la gueule. Il n’y a pas d’autre issue pour l’humanité que la solidarité. L’individualisme ne fonctionne pas, force est de le constater en ce moment. On se casse tous la gueule, le monde est un jeu de dominos géant. J’ai bien envie de me barrer, de quitter la table. De claquer la porte en faisant une sortie spectaculaire. Mais je me dis que ce n’est pas possible, nous avions, à priori, le même idéal. C’est peut-être une question de moment. Ces invités n’avaient pas envie de se prendre la tête, là, maintenant. Sauf que le monde continue de tourner, de sombrer. Il n’y a pas de temps mort.

 

Je ne prétends pas être une héroïne. Loin de là, je suis une belle égoïste comme tout le monde. Je dis simplement que si chacun, à la mesure de ses moyens, faisait en sorte d’être un peu plus en accord concret avec ses principes, le monde irait mieux. Que les déclarations d’intention ont clairement atteint leurs limites. Parce que là, c’est un peu écoeurant à force. C’est peut etre vous. Des personnes comme vous et moi. Qui me donnent juste envie de dégueuler présentement. Que je n’ai plus envie d’écouter. Des inconscients. Inertes. Amorphes. Capacité concrète de révolte au degré zéro. Même pas foutus de dépenser ne serait-ce que 0,99 cents pour acheter un morceau de l’album des enfants soldats. Même pas foutus de relayer l’information sur le sort qui est fait à un étranger en règle dans notre pays. Même pas foutu de lire une lettre tirant la sonnette d’alarme. Ce qu’ils veulent c’est rigoler ! Pour oublier leur médiocrité ? La médiocrité ambiante ? Je veux bien, à condition de ne pas laisser le reste de l’humanité, celle qui ne rigole pas du tout, mais alors pas du tout, en plan.

 

Nous sommes dimanche matin. Et oui, j’ai envie de faire chier. Ce repas m’est resté en travers. J’ai eu beaucoup de mal à le digérer. Je me suis plantée à ce point là ? Ou alors j’étais à un dîner de con. Mais, contrairement aux apparences, je ne suis pas Pierre Brochant. Je suis François Pignon. En d’autres termes, c’est peut-être moi, la conne de service. Qu’en pensez-vous ? C’est moi qui suis à côté de la plaque, c’est ça ?Je suis lourdingue, non ? Je suis la conne du dîner. C’est ça, je suis une grande débile. Complètement à côté de ses pompes et du monde.

 

Is there a time for keeping your distance ?

A time to turn your eyes away ?

Is there a time for keeping your head down ?

For getting on with your day ?


Non. Désolée. J’aimerais bien. Mais il n’y a aucun temps pour garder ses distances avec le reste du monde. Aucun temps pour détourner le regard. Aucun temps pour baisser la tête et continuer sa journée comme si rien de n’était. Il n’y a pas de temps mort tant que l’injustice régnera en ce bas monde. Vous êtes d’autant plus responsable que vous êtes à l’abri, au chaud, planqué derrière votre ordi. C’est votre devoir vis-à-vis de la déclaration universelle des droits de l’homme qui VOUS protège actuellement. Vous êtes juste du bon coté de la barrière. Il n’y a pas de temps mort…Réveillez-vous…

 

Crédit photo Flickr